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Par Chokri Azzouz : Empêchement provisoire  ou abandon volontaire ? Propos sur le  la délégation de  ses  pouvoirs  par le Président du Gouvernement

Par Chokri Azzouz : Empêchement provisoire  ou abandon volontaire ? Propos sur le  la délégation de  ses  pouvoirs  par le Président du Gouvernement

La décision prise  par le  Président du Gouvernement M. Youssef Chahed de déléguer ses pouvoirs à son ministre  chargé de la Fonction Publique pourrait paraître conforme aux dispositions de l’article 92 de la Constitution tunisienne in fine. Pourtant, rien n’en est moins sûr. Il s’agit d’une acrobatie juridique malheureuse qui vient s’ajouter aux innombrables maladresses et amateurismes qui ne cessent de jalonner l’exercice du pouvoir politique  en Tunisie depuis 2011.

Rendue publique  par les chaînes radio et tv le 22 août 2019, la décision s’est avérée unique en son genre, voire même atypique. Peut- on  parler de décision gouvernementale  ayant des effets  juridiques sur  les  différents services  de l’Etat  en l’absence  de publication au Journal Officiel ? Les personnes physiques ou morales lésées par une telle décision peuvent-elles l’attaquer en justice sur la base d’une séquence télévisée ou radiodiffusée ?

Il est traditionnellement  convenu qu’une  délégation , quelle qu’ en soit la nature , ne  peut avoir lieu en l‘absence  d’un texte constitutionnel  ou juridique (exceptionnellement réglementaire ) qui la prévoit et précise ses  limites. En droit, ce texte s’appelle acte d’habilitation. Si le titulaire des compétences veut s’en décharger en tout ou partie, la conformité  littérale  à l’acte d’habilitation s’impose. La raison en  est de  principe; les compétences politiques et administratives  doivent être exercées  par leurs titulaires; les transférer n’est qu’une exception.

L’article  92 de la Constitution, bien qu’il stipule l’existence d’un cas d’empêchement provisoire comme condition nécessaire pour déclencher la  procédure d transfert, reste  quand  même muet quant à la  définition de la  notion même dudit empêchement. Ce  silence n’est toutefois  pas  fatal. Une  lecture globale  de  la  Constitution tunisienne de 2014 permet de cerner les  circonstances pouvant construire un cas d’empêchement provisoire.

En effet, les  dispositions constitutionnelles relatives aux pouvoirs exécutif et législatif poussent à croire qu’on est en présence d’un régime politique plutôt parlementaire. Les  techniques de  désignation du Président du Gouvernement ainsi que  celles relatives au contrôle de l’activité  gouvernementale par la Chambre des Députés en sont  la  preuve. Le  gouvernement et son chef  dépendent d’une investiture parlementaire suite à une désignation par le  Président de  la République, il devient, par conséquent, clair que les compétences  du Président du Gouvernement sont attribuées  par une autorité constitutionnelle souveraine et bien supérieure. Elles  ne peuvent être exercées que  dans  le cadre des  domaines limitativement  énumérés par l’article 92 de  la Constitution. La délégation ne peut avoir lieu que  pour des  motifs susceptibles d’empêcher l’exercice normal de ces compétences.

Toute autre est la raison avancée par M. Youssef  Chahed pour asseoir sa décision de  déléguer ses pouvoirs à son ministre de la  Fonction Publique – et président du conseil national de son parti Tahya Tounes – M Kamel Morjane. Assurer le bon déroulement de sa campagne électorale présidentielle et lui garantir les conditions de réussite font partie des  intérêts personnels et ne peuvent aucunement présenter un souci  général.

La confusion est manifestement grave entre droits personnels et subjectifs dont on peut disposer à sa  guise d’une part et compétences attribuées qui n’appartiennent pas  à leur  titulaire et dont l’exercice dépend rigoureusement des règles  préétablies, d’ autre part

Par Chokri Azzouz : Avocat spécialiste en droit public. 

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