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Par Ahmed Nejib Chebbi : À contre-courant pour trouver une issue à la crise

Par Ahmed Nejib Chebbi : À contre-courant pour trouver une issue à la crise

Trois déclarations attribuées au chef de l’Etat ont attiré l’attention et, comme à son habitude, provoqué une tempête de réactions. Ces propos ont été rapportés par M. Noureddine Taboubi sur la chaîne El Hiwar Ettounsi, vendredi dernier.

La première est que le chef de l’État envisage de proposer un retour à la constitution de 1959 au lieu de celle de 2014.

La seconde est son intention d’inviter le peuple à choisir le système politique par le biais d’un référendum.

La troisième est sa volonté d’organiser des élections générales législatives et présidentielles anticipées pour « sortir du col de la bouteille ».

La constitution est un contrat qui rassemble la famille nationale sur la nature et la manière de gérer les institutions de l’État afin de garantir les droits et libertés du citoyen. C’est un devoir de respect pour assurer la stabilité et la paix civile.

Cependant, les constitutions ne sont pas sacrées et sont soumises à la loi du l’évolution et de la mise à jour. Prenons des exemples proches de notre culture, il faut noter que la France a connu dans son histoire moderne cinq constitutions républicaines, sans compter les régimes de monarchie et d’empire qui ont suivi la Révolution de 1789. Quant aux États-Unis d’Amérique, il n’a connu qu’une seule constitution depuis son établissement en 1787, mais elle a depuis subi 27 amendements fondamentaux.

Les constitutions sont donc des contrats qui doivent être respectés à moins qu’il ne soit nécessaire de les développer ou de les modifier, et le changement ne se produit généralement qu’à la suite d’une crise politique majeure.

Aujourd’hui, dix ans après la Révolution, le pays connaît une crise politique sans précédent, que tout le monde s’accorde à décrire : instabilité gouvernementale, conflit entre les différentes institutions de l’Etat et fragmentation de la scène parlementaire jusqu’à sa paralysie.

Les signes les plus marquants de la crise tunisienne sont donc deux grandes questions : l’instabilité gouvernementale et le conflit entre les institutions étatiques.

Si les gens s’accordent sur la description de ses symptômes, ils diffèrent dans le diagnostic de ses causes : certains le réfèrent au système électoral, et certains le voient comme résidant dans la structure du système politique lui-même.

Certes, le système électoral a un impact sur le système politique, mais les systèmes électoraux sont affectés par leur rôle, et ils reflètent généralement l’état d’harmonie politique ou de division dans la société.

La Tunisie a choisi le système proportionnel lors des élections, qui est la tendance suivie par des sociétés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, du fait qu’il réalise le pluralisme et l’équité dans la représentation parlementaire. Cependant, l’un de ses inconvénients en général, est qu’il ne permet pas l’émergence d’un pouvoir majoritaire capable de gouverner seul, l’obligeant à établir des alliances de partis. Sa stabilité dépend du degré d’harmonie ou de division de la classe politique (ex : Allemagne, Espagne, Italie et bien d’autres aujourd’hui).

La Tunisie peut apporter toutes les modifications qu’elle souhaite au système électoral actuel (fixation du seuil) voire introduire une dose de vote sur les listes individuelles, comme c’est le cas en Allemagne, au Japon et en Italie.

Cependant, ces modifications ne permettront pas d’aborder deux questions principales à savoir la réticence électorale et la fragmentation de la carte des partis.

Ces deux facteurs sont à l’origine de la perturbation du travail parlementaire et de l’instabilité gouvernementale.

De ce fait, ces amendements ne résoudront pas le conflit de pouvoirs entre les institutions de la présidence de la République et celle du gouvernement.

À y regarder de plus près, il est clair que l’origine des maux dans le système politique établi depuis 2011 (la petite constitution) et appliqué dans la constitution de 2014 réside dans la création d’une dualité à la tête du pouvoir exécutif, entre le président de la République et le chef du gouvernement.

Elle réside également dans l’attribution du portefeuille des pouvoirs exécutifs entre les mains du Chef du gouvernement et de le soumettre à l’autorité des partis.

Cette option a engendré deux conséquences : primo un conflit et une répulsion jusqu’à la paralysie entre les deux chefs du pouvoir exécutif (Marzouki face à Jbali, puis Larayedh puis Jemaa, ensuite le conflit entre Caïd Essebsi et Chahed, et aujourd’hui entre Saied et Mechichi). Secundo, la mise en place du système des partis à l’origine de l’appropriation de l’État et de l’instabilité gouvernementale.

Si tel est le cas, alors la solution réside dans le rétablissement de l’unité du pouvoir exécutif sous l’un des deux systèmes : parlementaire ou présidentiel.

La Tunisie ne répond pas aux conditions d’un système parlementaire, car parmi ses conditions figure la mise en place d’un système partisan ancré dans la société, porteur de visions et de projets autour desquels les citoyens peuvent s’aligner.

Ce système parlementaire est né à l’ombre d’un bipartisme (Grande-Bretagne) ou la polarité (France) encouragée par le système de vote sur listes individuelles (en une ou deux tours).

L’expérience a prouvé l’injustice de ce système en termes de pluralisme et de représentation parlementaire, et il a commencé à montrer des signes de défaillance dans son pays d’origine, la Grande-Bretagne, et ce depuis le début du millénaire actuel.

Aux États-Unis, il a maintenu sa vitalité grâce aux primaires qui donnent la priorité à l’électeur aux dépens des organes centraux du parti.

D’autre part, le système présidentiel, né aux États-Unis il y a cent cinquante ans, se caractérise par l’instauration d’une véritable séparation entre le législatif et l’exécutif : le législatif légifère et contrôle, et l’exécutif dérive sa légitimité du suffrage universel, dans lequel la formation du gouvernement est léguée au Président de la République sous le contrôle de la Chambre des représentants. La séparation entre les deux pouvoirs est absolue, mais repose sur l’équilibre et l’échange de contrôle entre eux.

La formation du gouvernement par le président épargne l’État de la tyrannie des partis. Les partis ne forment pas le gouvernement dans le système présidentiel, mais le surveillent plutôt et se spécialisent dans la fonction de législation.

Ils ont suffisamment de temps pour devenir des partis modernes, ancrés dans la société, porteurs de visions, de projets et de programmes capables d’encadrer la société, ce qui est leur fonction principale et originale. Les partis sont au service de l’État, qui n’est en aucun source de conflit d’influence entre eux.

La Constitution de 2014 n’est pas mauvaise, car elle contient des articles qui n’étaient pas inclus dans la constitution de 1959 : la liste des droits et libertés, le chapitre sur le pouvoir judiciaire, la cour constitutionnelle, la gouvernance locale et les organes constitutionnels indépendants… Mais la relation entre les autorités législatives et exécutives représentent l’origine des maux dans le système politique établi par cette constitution, basée uniquement sur des calculs partisans.

La question se limite donc à la manière dont cet amendement constitutionnel est mis en œuvre et qui le met en œuvre.

Naturellement, il est question de réviser la constitution selon les règles qu’y sont énoncés (les deux tiers des membres du Parlement), mais cette condition est hors de portée compte tenu de la composition actuelle de l’ARP.

De même, la constitution n’a pas établi un autre mécanisme donnant au peuple tunisien le droit d’exprimer son opinion sur les crises à travers un référendum, bien que son troisième article stipule que le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire de ses représentants ou par référendum.

C’est là que réside l’importance des trois déclarations qui ont été évoquées par M. Noureddine Taboubi, qu’elles soient ou non attribués au Président de la République, car il ne les a prononcés qu’aujourd’hui.

Face à l’aggravation de la crise et à la calcification du système constitutionnel existant, il ne reste plus qu’à recourir à un référendum pour que le peuple choisisse entre le maintien du système politique actuel ou son remplacement par un système présidentiel, suivi directement d’élections générales anticipées, présidentielles et législatives.

Ces propositions peuvent constituer la base d’une sortie de crise, mais le droit au référendum confisqué par la constitution de 2014, peut être inclus en vertu d’un amendement approuvé par un dialogue national global et sérieux, ou imposé par un mouvement citoyen massif à l’ARP.

J’avais déjà proposé en 2011 de se contenter de la révision de la Constitution de 1959, et cette proposition a déclenché la levée d’une tempête.

Dans des circonstances qui demeurent ambiguës pour moi, « il a été décidé d’aller vers l’élection d’une assemblée constituante »… et c’est ce qui s’est passé.

Je suis pleinement conscient que ma défense de la Cour constitutionnelle peut profiter à Ennahdha dans son conflit avec Saïed, mais je crois qu’il s’agit d’un intérêt limité (avec la composition de l’ARP et la séparation des trois pouvoirs) et transitoire.

Or la Cour constitutionnelle représente l’aiguille de l’équilibre de notre système constitutionnel moderne et un phare pour les générations futures, génération après génération.

Je suis également conscient que ma défense (continue) du changement de système politique peut en bénéficier aujourd’hui, Kais Saied dans sa lutte contre le mouvement Ennahdha, mais je suis sûr que Saied est éphémère et que le système politique restera vivant et ne mourra pas, tant qu’il répond aux besoins de ce qu’on appelle la Tunisie.

Je voudrais mentionner à cette occasion, que le « populisme » est l’expression politique d’une crise sociale et culturelle profonde qui ne disparaît que si ses causes sont éliminées, et que la dictature et l’autocratie absolue peuvent s’adapter à toutes sortes de systèmes politiques.

Le lecteur devra méditer sur l’expérience parlementaire allemande et italienne de l’entre-deux-guerres, qui a produit les pires dictatures du monde (Hitler et Mussolini), et je conclue par les propos de Taboubi lors de son interview : « Celui qui a peur de choisir son peuple devrait rester chez lui».

 

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