Société

Par Abdelaziz Gatri : Rendez-nous notre capitale

Par Abdelaziz Gatri : Rendez-nous notre capitale

En inaugurant en 1911  la statue de Jules Ferry, président du conseil français derrière la campagne de Tunisie, statue érigée sur la place où trône aujourd’hui celle d’Ibn Khaldoun, le résident général René Millet, instigateur de la politique de colonisation des terres tunisiennes restée en application durant toute la colonisation française, disait dans son discours devant un parterre de personnalités françaises venues de la métropole et de  Tunisie : « j’ai l’honneur de vous présenter le monument qui a été élevé, AUX FRAIS DU GOUVERNEMENT TUNISIEN, à la mémoire du grand citoyen Jules Ferry ». Précision de taille, la question de la prise en charge des frais  affirme la domination à laquelle les beys avaient soumis le petit Etat dont ils avaient la charge. Et d’ajouter « songez que c’est la première statue qu’on dresse ici depuis la chute de l’empire romain, c’est-à-dire depuis quatorze siècles ». En désignant Ferry comme le digne descendant des occupants romains, Millet ne pensait pas si bien dire, quand on sait le prix payé par notre peuple, tant suite à la destruction de Carthage par incendie et au carnage de ses citoyens, que suite aux incursions terrestres et maritimes des troupes françaises. L’usage du terme «citoyen» pour qualifier l’homme d’Etat français cache mal la connotation religieuse du propos.

Georges Perrot, archéologue et historien français, qui avait fait un compte-rendu précis de l’évènement, y met du sien en écrivant « debout, au terme de l’avenue de la marine, elle (la statue) est tournée vers la ville arabe qu’elle a soumise à la France ».

Et même si l’on doit reconnaître aujourd’hui que c’est la France qui a construit l’actuel centre-ville de Tunis, il n’en est pas moins vrai qu’elle ne l’avait pas fait par œuvre de charité chrétienne ou pour les beaux yeux des tunisiens. Elle l’a planifié et réalisé pour la nouvelle population française venue s’installer au dernier quart du 19ème siècle dans la nouvelle colonie et grossir le nombre des européens déjà établis depuis des décennies, voir des siècles, après avoir fui les affres de la répression, de l’extorsion et de la famine dans leurs pays respectifs. Bon nombre de maltais, de siciliens, d’italiens continentaux, de grecs, d’anglais y vivaient déjà, en communauté, dans les quartiers populaires  baptisés au nom de leur contrées d’origine : Petite Malte, Petite Sicile…, et jusqu’en 1938, ils étaient plus nombreux que les français. Ils y avaient bâti leurs maisons, leurs églises, leurs écoles, leurs bar-restaurants, leurs commerces, et vivaient dans la concorde avec la population autochtone. Ce n’est que sous le son du bruit des bottes allemandes que des dizaines de milliers de français avaient débarqué à La Goulette, faisant pencher la balance démographique en leur faveur.

C’était donc à l’origine européenne de ses premiers habitants que l’actuel centre-ville de Tunis devait son nom : la ville européenne, par opposition à la ville arabe, el-bled el-arbi, restée confinée à l’intérieur des vieux remparts, ou de ses quartiers suburbains insalubres, où viennent s’entasser au fil des ans des populations rurales chassées par les colons : Jebel Lahmar, Mellassine, Sayda…

Et pour bien marquer son terrain du sceau européen, l’autorité coloniale n’y est était pas allée de main morte. Outre le tracé angulaire des rues, et rectangulaire des arrondissements, qui contraste avec le tracé ondulatoire des rues du vieux Tunis, avec une grande Avenue principale sur les vestiges de l’ancienne avenue de la marine, telle Les Champs Elysées, baptisée au nom du sieur Ferry ci-haut cité, et on y installa le siège du Résident général, détenteur du pouvoir absolu. En face de cette imposante bâtisse, symbolisant la domination politique, on fit construire une majestueuse cathédrale dédiée à Saint-Vincent-de-Paul et Sainte Olive, adossée à l’archidiocèse de Tunis, symbole de la domination religieuse, et entre les deux, au beau milieu de l’avenue, on fit ériger une homérique statue à l’effigie du même Ferry. Pour parfaire l’humiliation, le sculpteur avait jugé opportun d’y sculpter une paysanne tunisienne aux pieds du gigantesque personnage, illustrant ainsi la soumission de la Tunisie à la loi du plus fort.

En réalité, les autorités françaises n’avaient pas attendu de mettre la main sur la Tunisie pour exercer des pressions coercitives et hautement symboliques sur les beys pour les forcer à de rabaissantes concessions. Déjà, immédiatement après la prise d’Alger, la France, en porte drapeau de la chrétienté, fit signer à Hussein Bey de Tunis un traité comportant une clause tenue secrète l’autorisant à ériger un monument à la mémoire du roi Louis IX, dit Saint-Louis après sa sanctification pour avoir conduit une croisade en Tunisie, mort du choléra à Carthage à la fin du 13ème siècle. En 1848, Ahmed Bey fut contraint à changer le monticule de crânes de soldats espagnols sur la plage de Houmt-Souk, témoignant de la défaite espagnole en 1560 face aux ottomans, par un monument moins dérangeant.

Pendant la colonisation, les actes de défiance envers la foi et l’honneur des tunisiens vont se multiplier. Ainsi, on donna le nom de Ferry, encore lui, à la ville sidérurgique qui sera bâtie au sud de Bizerte. Beaucoup de rues des principales villes tunisiennes porteront son nom, et d’autres rues, collèges, lycées et places porteront les noms de présidents, d’hommes politiques ou de lettres, mais aussi de diplomates, d’officiers de l’armée française et de résidents généraux de triste mémoire, tels ce Théodore Roustan, consul général de France à Tunis depuis 1874 qui a préparé avec soins la campagne de Tunisie et le traité du Bardo.

Mais deux actes demeurent à mon avis et selon les témoignages de contemporains les plus significatifs de la volonté des autorités coloniales de consacrer le caractère de défiance éminemment religieux de la colonisation, et qui ont provoqué une vive réaction de la part des forces vives de la nation.

Le premier a trait à la statue du Cardinal Lavigerie. Nommé archevêque d’Alger en 1867, celui qui allait devenir « premier colon d’Algérie » y débarque en fervent champion du prosélytisme catholique, avec la ferme volonté de christianiser le pays, puis toute l’Afrique. Pour ce faire, il fonde deux corps d’ecclésiastiques très engagés, les Pères Blancs et les Sœurs Blanches comme têtes de pont du christianisme en Afrique, et adopte le travail caritatif et le secours aux pauvres et aux atteints de choléra comme tactique de conquête. En dix ans d’archidiocèse en Algérie, Lavigerie avait construit quarante-neuf lieux de culte et onze congrégations. Immédiatement après la conclusion du traité du bardo le 12 mai 1981, le pape Léon XIII nomme Lavigerie administrateur du vicariat apostolique de Carthage le 28 juin, puis, coup sur coup, le fait cardinal, restaure le siège épiscopal de Carthage, l’érige en archevêché et le confie à Lavigerie qui devient archevêque de Tunis et d’Alger, une première dans les annales du Vatican, puis Primat d’Afrique. Il mourra en 1892 et sera inhumé à Carthage aux cotés de Saint-Louis. Trente-trois ans plus tard, une statue à sa mémoire sera décidée par le conseil municipal de Tunis avec la bénédiction des autorités religieuses de l’islam. Pire, elle sera érigée à l’actuelle place de la victoire, dite Bab el Bahr, à l’entrée de la Médina, pas loin de la mosquée Ezzitouna, comme un pied-de-nez à la population autochtone. Il s’en est suivi un mouvement protestataire de la part des jeunes zeitouniens, mouvement durement réprimé par la police, sur ordre du résident général, et qui sera considéré comme la nouvelle étincelle de la lutte pour l’indépendance.

L’autre incident est concomitant au premier,  il aura l’effet d’un tremblement de terre et ses répliques se feront sentir jusqu’en 1938 et le bain de sang du 9 avril.  Son étincelle remonte à 1923, quand le gouvernement français prit une nouvelle loi incitant les tunisiens à se naturaliser français, ce qui provoqua l’indignation générale et eut pour mérite d’unir le peuple tunisien derrière la direction de la résistance, toutes couches confondues.

Certes, l’indépendance venue, le nouvel Etat indépendant liquida quelques contentieux d’ordre religieux en reprenant en main la basilique dite Saint-Louis, en déboulonnant les statues de la honte et rebaptisant villes et rues du nom des héros  de la décolonisation.

Mais UN symbole demeure jusqu’à nos jours, comme une insulte à la mémoire des chouhada, à la dignité des tunisiens et à la souveraineté de leur Etat : la bâtisse du siège de la résidence générale, symbole de la soumission de la Tunisie soixante-quinze ans durant, par la force des armes à la France coloniale, devenue siège de l’ambassade de France. Elle est toujours là, en plein centre de la capitale, comme une verrue sur la joue de la ville, pour nous rappeler jour après jour cette humiliation permanente. Et le comble, c’est quand les autorités des gouvernements révolutionnaires et post révolution interdisent tous les trottoirs des quatre rues entourant l’ambassade aux piétons et la chaussée aux automobilistes, avec force blindés, barricades, barbelés et troupes, donnant à la ville des airs de guerre civile. Adieu la rue de Hollande, déjà squattée par un tramway nommé métro. Adieu la rue de Yougoslavie, déjà rebaptisée Radhia Haddad. Adieu les trottoirs de la rue Gamal Andennasser et de l’avenue Bourguiba.

Pendant ce temps, la France a décidé de façon unilatérale de réduire à 70%  le nombre de visas accordés aux tunisiens, comme mesure de rétorsion visant à forcer le gouvernement à rapatrier des ressortissants radicalisés en France. Tourisme oblige, le gouvernement Bouden a obtempéré, et les rapatriements vont bon train, mais les refus de visas et les humiliations restent de rigueur.

Soixante-quinze ans après l’indépendance donc, il reste en plein cœur de la capitale, Tunis le cœur battant de la Tunisie, une poche de la colonisation qu’il va falloir un jour ou l’autre évacuer, tout comme ces nids d’aigles surplombant le palais de Carthage, véritables temples de l’espionnage qui ne disent pas leur nom, déguisés en ambassades.

Tournons définitivement une triste  page de l’histoire de nos deux pays, et ouvrons une nouvelle page de paix entre les deux Etats, de concorde et de prospérité entre les deux peuples, dans le respect mutuel, la réciprocité et la dignité.

Sans dignité, aucune véritable paix n’est envisageable.  

Pour ne froisser personne, je propose de construire une cité internationale, sur un beau site comme la Tunisie en regorge, pas loin de la capitale, dédiée à toutes les missions diplomatiques étrangères et à la résidence des ambassadeurs, consuls et autres personnels, et de transformer le bâtiment de l’actuelle ambassade en musée de la colonisation.

En attendant, j’en appelle à mesdames la cheffe du gouvernement et la maire de Tunis, à Messieurs le président de la république, le ministre de l’intérieur et l’ambassadeur de France de nous rendre notre capitale, en y rétablissant la circulation piétonne et automobile sur TOUTE l’avenue Bourguiba et les rues avoisinantes, et en démantelant les barricades.

Abdelaziz Gatri,

activiste politique, Alliance patriotique pour l’ordre et la souveraineté (A.P.O.S).

 

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