“La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie“, avait asséné en 2003, dans un discours historique au Conseil de sécurité de l’ONU, le sémillant chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin. Il l’avait dit pour empêcher les va-t-en-guerre, les Américains, de mettre les pieds dans le bourbier irakien. Vous connaissez la suite. En novembre 2023 on a entendu l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac donner des leçons de géopolitique aux présidents Emmanuel Macron et Joe Biden, sur les terrifiants développements au Proche-Orient. Il est revenu à la charge en avril 2024, en insistant sur les vertus d’un Etat palestinien pour la Paix dans la région. Inutile de vous dire que le bons sens n’est pas en train de l’emporter. L’infatigable de Villepin est remonté au front, cette fois sur le conflit entre Paris et Alger, un dossier politisé par le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, au point qu’il est devenu plus populaire – selon les sondages – que tous ses collègues au gouvernement, comme le fut Nicolas Sarkozy, la clé de sa victoire à la présidentielle de 2007. Retailleau en rêve pour 2027, même s’il faut pour cela marcher sur le cadavre des Accords de 1968 entre la France et l’Algérie. Mais ce funeste horizon n’est pas une fatalité, de Villepin indique la voie dans un entretien accordé à la chaine algérienne AL24 News. Pourvu que cette fois il soit entendu.
A la question “Aujourd’hui le torchon brûle entre la France et l’Algérie, ce n’est un secret pour personne. Le point de départ c’était bien sûr le retournement de situation sur le Sahara occidental. Pourquoi ce changement de cap selon vous, de la part d’Emmanuel Macron ?”, de Villepin a répondu ceci :
“Alors… il y a un certain nombre de choix historiques qui sont faits, le président de République et le diplomatie française ont souhaité avancer pour essayer d’apaiser les choses sur les questions du Sahara occidental, d’où la décision du président de la république, d’où son déplacement au Maroc. Ce qu’il faut souhaiter c’est qu’au-delà de l’incompréhension, que je comprends pleinement du côté des autorités algériennes et des Algériens, nous soyions capables, à partir des décisions qui ont été prises, de faire en sorte d’avancer ensemble”.
La journaliste a embrayé : “Comment ?”…
De Villepin a répliqué : “C’est une décision qui se situe dans le cadre d’un processus international, qui est un processus qui se situe dans le cadre de l’ONU, avec des principes qui peuvent paraître contradictoires… Le principe de reconnaissance et le principe d’autodétermination”
La journaliste : “Qui est contraire en fait… cette reconnaissance est contraire à la…”
De Villepin : “Et c’est pour cela que nous avons du travail à faire. Et c’est pour cela qu’entre nos deux peuples, la France et l’Algérie, entre les autorités algériennes et les autorités françaises, il y a du travail. Et moi je fais partie de ceux qui pensent que quand il y a un problème il faut tout faire pour le résoudre. Et conjuguons nos efforts, mettons nos talents respectifs autour de la table pour essayer de voir quelles sont les meilleurs façons d’avancer…
Et je pars d’un principe simple : Entre la France et l’Algérie nous avons une obligation de part et d’autre, cette obligation c’est celle qui nous est dictée par tous ceux qui ont fait l’histoire, parfois douloureuse, parfois tragique de ce 20e siècle et du 19e siècle, et qui doit nous conduire aujourd’hui à laisser de côté tout ce qui peut nous diviser et nous séparer pour nous attaquer à cette tâche essentielle, qui est de permettre à nos deux peuples de se retrouver”.
La journaliste :“A travers le dialogue ?”
De Villepin : “Le dialogue, le partage que nous avons de la langue, de la culture, de l’histoire, y compris de l’histoire tragique, croyez bien, je ne sous-estime pas ce qu’ont été ces décennies et ces périodes si difficiles et si tragiques. Ma famille a habité en Algérie, moi je suis né au Maroc après, donc je connais cette histoire tragique et j’ai grandi avec le poids de cette histoire. Mais l’histoire elle est faite pour être transformée, et les jeunes n’ont pas aujourd’hui, les jeunes Algériens, les jeunes Français, les Algériens de France, les binationaux, n’ont pas à porter le poids de ces douleurs…
Et c’est pour ça que le travail de reconnaissance nous devons nous Français le faire. Et de la même façon nos amis algériens doivent aussi avancer, nous devons leur tendre la main. Pourquoi ? L’histoire nous oblige, mais aussi nous devons être conscients de tout ce que nous pouvons et devons faire ensemble. Il y a dans le partenariat possible entre la France et l’Algérie des défis formidables, l’Algérie a des capacités, l’Algérie a des richesses, la France a des atouts qui mis ensemble peuvent constituer des chances de croissance, des chances d’ouverture au monde, des chances pour la stabilité, à la fois de l’Afrique mais aussi d’autres régions du monde.
Conjuguons ces talents, conjuguons, conjuguons ces efforts, ne cédons pas à la tentation de l’amertume ou du dépit. Dans cette relation, que j’ai suivie de près dans des fonctions différentes, mais j’ai en particulier été aux côtés de Jacques Chirac lors de son voyage en Algérie, j’étais avec lui quand il y a eu cette ferveur et que nous avons tous senti que l’histoire nous obligeait. Et bien nous avons eu des déceptions depuis, nous avons eu le sentiment qu’à un moment donné les choses ne se passaient pas comme nous avions souhaité qu’elles se passent.
Et bien la responsabilité qu’est la nôtre, chacun à notre place, c’est de faire en sorte que les fils puissent se tisser à nouveau. Alors je n’ignore rien des difficultés, je n’ignore rien des obstacles. Mais ce que je sais c’est que notre volonté doit être plus forte. Alors il y a la situation d’un écrivain, Boualem Sansal, il y a une situation difficile… Mais nous sommes attachés à la liberté d’expression, y a un homme malade. Nous devons trouver les voies qui nous permettent de régler ces difficultés. Parce que tout ce qui est à venir entre nos deux peuples est trop important.
Et que cette jeunesse, la jeunesse de France, la jeunesse d’Algérie, tous ceux qui ont en partage ces deux rives de la Méditerranée, je ne veux pas qu’ils désespèrent, je ne veux pas qu’ils aient le sentiment que notre génération… Moi je fais partie de la même génération que le président Tebboune et de beaucoup de dirigeants algériens, que notre génération n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour que nous puissions nous retrouver.
Et je vais vous dire la vérité. Je vois bien la tentation qui existe de s’envoyer quelques compliments aigres des deux côtés de la Méditerranée. Mais je crois pouvoir dire, je le sens dans la vie quotidienne en rencontrant les uns et les autres, il y a une attente de part et d’autre. Nous avons hâte de pouvoir franchir ce pas, travailler à cette réconciliation, nous fixer des idéaux et des objectifs communs. Je pense que le peuple algérien, le peuple français l’attendent. Et donc voilà, il faut de l’énergie, il faut de la patience, il faut de la générosité, de part et d’autre.
Je sais combien c’est difficile, mais je sais aussi que nous devons tout faire, en tout cas en ce qui me concerne tout ce qui peut être fait à la place qui est la mienne, et je crois pouvoir dire de plus en plus, quand je rencontre ici des dirigeants français, j’ai lu attentivement l’interview du président Tebboune. Je vois que les choses bougent et j’aimerais pouvoir dire je crois qu’elles bougent dans le bons sens…”.
La journaliste : “En parlant de cette interview du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, vous avez été mentionné parmi les hommes respectés avec lesquels l’Algérie aime parler (…), vous êtes une personne très respectée dans la presse du monde arabe, vous représentez une France qui avait son poids. Est-ce que vous êtes prêt à jouer le rôle de médiateur entre l’Algérie et la France dans cette crise ?”
De Villepin : “On ne s’auto-désigne pas médiateur, mais ce que je peux dire, pour voir beaucoup de responsables en France dans tous les milieux, politiques, économiques, y a une attente, une grande attente, y a un espoir que les choses puissent se dénouer. Je sais que chacun est prêt à faire sa part. Et nous sommes prêts, les uns et les autres, à oeuvrer pour que ce qui nous sépare aujourd’hui puisse permettre de renouer le dialogue”.
L’ancien Premier ministre a clairement tendu la perche en direction des exécutifs, français et algériens, donc affaire à suivre de très près…
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