Alors que l’été s’installe avec son cortège de pics de consommation, l’Égypte craint un retour brutal aux coupures d’électricité, un scénario déjà douloureusement vécu à l’été 2023. Cette fois, les autorités invoquent un contexte géopolitique exacerbé par le conflit entre Israël et l’Iran, qui affecte directement l’approvisionnement en gaz naturel, pilier du mix énergétique égyptien.
Dans le gouvernorat de Gizeh, l’un des plus peuplés du pays, un propriétaire de supermarché confie anonymement son inquiétude : « L’été dernier, les coupures nous ont fait perdre des stocks entiers. La réfrigération est vitale pour notre activité. » Une crainte largement partagée dans les secteurs alimentaires et industriels.
Malgré les promesses gouvernementales, la prudence domine. Lors d’un récent conseil ministériel, le Premier ministre égyptien Mostafa Madbouly a appelé les citoyens à réduire leur consommation électrique, tout en admettant la possibilité de coupures localisées dues à des incidents techniques ou aux surcharges estivales.
Pour limiter la pression sur le réseau, l’exécutif a ordonné des mesures strictes :
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fermeture des commerces à 23h ;
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réduction de 30 % de la consommation dans les services publics ;
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limitation de l’éclairage public et des panneaux lumineux ;
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arrêt systématique des appareils électriques dans les bâtiments administratifs dès 20h.
Parallèlement, le gouvernement a suspendu temporairement la livraison de mazout et de diesel à certaines industries, dans l’objectif de réaffecter environ 9 000 tonnes de diesel par jour aux centrales électriques, en attendant l’arrivée de cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL).
Mais selon Hafez Salmawy, ancien directeur de l’Autorité de régulation de l’électricité, ces mesures restent insuffisantes. « Le vrai changement passe par l’évolution des comportements, pas seulement par des restrictions ponctuelles. Actuellement, les efforts de rationalisation ne permettent d’économiser que 3 à 4 % de la consommation nationale », explique-t-il.
La situation énergétique est rendue encore plus fragile par la baisse des importations de gaz israélien, qui couvraient environ 15 % des besoins égyptiens à un coût de 7,5 dollars par million de BTU.
Face à un déficit structurel de 30 %, l’Égypte doit recourir au GNL sur les marchés internationaux… à un prix presque doublé.
Depuis l’arrêt partiel du gaz israélien, deux stratégies ont été mises en œuvre :
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réduire les approvisionnements pour certaines industries ;
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activer des centrales électriques fonctionnant au mazout – un substitut moins efficace de 30 % mais jugé acceptable temporairement.
Le scénario le plus préoccupant reste celui où l’Égypte serait contrainte de multiplier les importations de GNL, ce qui pèserait lourdement sur ses finances. Le pays exploite actuellement trois unités de regazéification (deux en mer Rouge et une en Méditerranée), mais l’absence d’une quatrième infrastructure, indispensable si la guerre s’étend, pourrait rendre les délestages inévitables.
D’après l’économiste Anouar El-Kassem, analyste pour le Financial Times, « le plus grand risque est l’arrêt prolongé du gaz, car il affecterait immédiatement l’industrie nationale et les exportations ». Il exhorte Le Caire à diversifier ses sources d’approvisionnement, tout en lançant une campagne urgente d’économies d’énergie et d’investissements dans les découvertes gazières.
Sur le plan macroéconomique, la facture énergétique de l’Égypte a déjà doublé en 2024, atteignant 11,3 milliards de dollars, ce qui a fait grimper le déficit courant à 6,2 % du PIB. Elle pourrait encore s’aggraver cet été : les besoins en gaz passent de 6,2 à 7 milliards de pieds cubes par jour pendant la saison chaude, alors que la production plafonne à 4,2 milliards.
Analyse : Une dépendance structurelle sous pression
Dépendance au gaz israélien :
« Le gaz israélien y représente environ 15 % des besoins énergétiques de l’Égypte, avec un coût estimé à 7,5 dollars par million de BTU. »
Ce pourcentage est significatif, surtout dans un pays où le gaz constitue 80 % du combustible utilisé dans les centrales électriques.
« Depuis l’arrêt partiel du gaz israélien, l’Égypte a dû :
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Réduire les approvisionnements de gaz à certaines industries ;
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Faire tourner des centrales au mazout, un substitut 30 % moins efficace, mais temporairement acceptable. »
Cela montre que l’arrêt du gaz israélien perturbe directement l’équilibre énergétique national.
« Si le conflit s’intensifie, l’Égypte pourrait devoir importer plus de gaz naturel liquéfié (GNL) à un coût deux fois plus élevé que celui du gaz israélien. »
Ce scénario souligne que l’approvisionnement en gaz israélien est non seulement vital mais aussi économiquement plus avantageux que les alternatives sur le marché international.
La crise énergétique actuelle met en lumière plusieurs faiblesses structurelles du système égyptien :
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Une dépendance excessive au gaz : 80 % de la production électrique repose sur cette ressource, ce qui rend le pays vulnérable aux perturbations géopolitiques.
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Un modèle de consommation rigide : Les politiques de rationalisation restent principalement administratives. L’absence de sensibilisation massive ou de solutions technologiques (compteurs intelligents, tarification dynamique) freine les économies durables.
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Des choix d’investissement urgents : Le besoin d’une quatrième unité de regazéification est évident. Sans elle, toute montée en tension de la demande ou rupture d’approvisionnement expose le pays à des coupures systémiques.
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Un coût énergétique explosif : Avec un GNL deux fois plus cher que le gaz israélien, les importations pèsent fortement sur la balance des paiements. Ce déséquilibre fragilise la stabilité monétaire et complique l’accès au financement international.
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Des alternatives limitées à court terme : Le recours au mazout reste un pansement coûteux et polluant, incompatible avec les engagements environnementaux à long terme.
Si l’Égypte veut sortir du piège de la fragilité énergétique, elle devra accélérer ses investissements dans les énergies renouvelables, renforcer la diplomatie énergétique, et revoir son architecture de consommation interne.
Faute de quoi, les coupures de courant resteront une réalité récurrente, et non plus un aléa exceptionnel.
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