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C’est plus grave qu’une aide américaine de 101 millions de dollars supprimée

C’est plus grave qu’une aide américaine de 101 millions de dollars supprimée

L’information est presque passée inaperçue, entre les pénuries que se coltine le citoyen tunisien et les longues queues pour avoir sa baguette de pain. On a appris le 1er avril que l’administration américaine envisage tout bonnement de baisser de moitié l’aide militaire accordée à la Tunisie. Le motif vous le devinerez aisément : Washington n’apprécie pas tout la trajectoire prise par le chef de l’Etat, Kais Saied. Certains parmi les partisans zélés du président de  République diront qu’après tout 61 millions de dollars d’aide militaire alors que Tunis attendait 112 millions, ce n’est pas cher payé et qu’il n’y a pas de quoi troubler Saied. Ils auraient tort, ce coup de semonce américain est à prendre au sérieux…

Il fallait s’y attendre

Ce même article dit que la Maison Blanche projette également de rogner de 40 millions le soutien économique réservé à la Tunisie, ce qui fait une réduction de 50% par rapport à la requête de l’exécutif tunisien. L’administration du président Joe Biden sait que cette coupe budgétaire fera mal, elle sait que le nerf de la guerre – l’argent – est ce qui fait cruellement défaut à la Tunisie et que cette dernière se débat auprès du FMI pour en avoir. Mais pour Washington c’est la seule manière “de continuer de soutenir le peuple tunisien” et d'”encourager le retour du gouvernement à la gouvernance constitutionnelle”, a confié par courrier électronique un porte-parole du département d’État à Al-Monitor

Les réductions de l’aide économique et sécuritaire des États-Unis, par rapport aux demandes de l’année précédente, reflètent nos importantes préoccupations concernant le recul démocratique continu,” ajoute le texte. A noter que ce tour de vis vient après une longue série de salves : Il y a eu la sortie musclée du sénateur Chris Murphy ; il y a eu les deux communiqués très appuyés du département d’Etat – deux posts dans la même journée dans un intervalle de 2 heures ; il y a eu le texte signé par une cinquante de personnalités américaines ; il y a eu le message très fort du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, à l’occasion de la fête de l’Indépendance tunisienne ; le même Blinken était à deux pas d’ici il y a peu, à Alger, mais n’a pas daigné venir à Tunis (c’est son deuxième coup du genre), etc.

Gordon Gray, ancien ambassadeur des USA à Tunis, avait plaidé pour un maintien de l’aide financière américaine mais qu’à côté il fallait continuer à mettre la pression sur le chef de l’exécutif tunisien. Biden aura finalement choisi en même temps la réduction du paquet et la pression sur Kais Saied. Le président américain avait déjà envoyé un message très clair à la Tunisie en la boudant pour son sommet mondial sur la démocratie. Il a décidé de mettre un coup d’accélérateur…

Que veut Biden ?

En fait il ne s’agit pas de couper les ponts avec Tunis, ce que les Etats-Unis cherchent à obtenir c’est l’assurance que Saied préservera les fondements de cette démocratie qui lui ont permis d’arriver au pouvoir. C’est ce que les Européens veulent également. Il ne faut pas s’y méprendre : le chèque de 1,milliard d’euros n’est pas un chèque en blanc sur les plans politique et institutionnel, et encore moins un brevet de satisfecit démocratique, c’est un encouragement pour achever le processus de transition politique. C’est ce que la présidente de la Commission européenne pour la démocratie par le droit était venue rappeler à Tunis

Ne nous méprenons pas, on ne parle pas de la défense de la classe politique qui a mis le pays dans cet état, les Occidentaux savent aussi bien que nous les dégâts qu’elle a provoqués, ici on parle du maintien des institutions, de leur pérennité. Ce n’est pas une affaire d’hommes ou de noms, c’est une affaire de principes constitutionnels au-dessus de tout. Il ne s’agit pas de rouvrir le Parlement aux énergumènes qui l’occupaient avant, d’ailleurs eux-mêmes savent que leurs carottes sont cuites, il s’agit de ne pas obstruer la voie pour avoir à terme une vraie Assemblée nationale qui serve de contre-pouvoir à un exécutif très tenté par la toute-puissance…

Les gouvernements passent et les institutions restent, les présidents passent et le socle de la démocratie demeure. Aux USA les Républicains et les Démocrates alternent au pouvoir sans que les piliers de la démocratie ne soient remis en cause. C’est pour avoir combattu ostensiblement cette donne gravée sur le marbre que Donald Trump a été privé d’un deuxième mandat malgré un bilan économique qui se défend plutôt bien. Ce que Biden veut pour les USA c’est ce qu’il exige des partenaires des Etats-Unis…

Certes on pourrait épiloguer sur les tares américaines, qui ont commencé par le massacre des populations autochtones – les indiens – pour leur voler leurs terres, cela s’est poursuivi par le crime contre l’humanité de l’esclavage pour bâtir l’économie du pays. Que dire du problème chronique des droits civiques des Afro-Américains, une affaire qui n’est toujours pas réglée plus de 150 ans après la fin officielle de l’esclavage. Que dire de la mort et de la désolation que les USA ont semées en Afghanistan, en Irak… Etc. La liste est encore archi longue. Mais le fait est que pour Biden les idéaux démocratiques comptent et il a décidé de les défendre aux quatre coins du monde. Il n’y parviendra pas partout, mais la Tunisie très vulnérable de par sa dépendance à l’étranger est une cible facile pour le président américain…

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