Economie

Etude : La production de l’hydrogène vert en Tunisie consacre un modèle extractiviste coûteux et risqué

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Le bureau de l’ONG allemande Heinrich-Böll-Stiftung en Tunisie, vient de publier une nouvelle étude intitulée « A qui profite la stratégie tunisienne pour l’hydrogène vert ? »  intègrant les remarques soulevées par un panel d’experts lors d’un atelier de travail tenu le 12 octobre dernier à la Cité des Sciences à Tunis.

L’étude est présentée comme un travail qui vise à éclairer les décideurs et l’opinion publique sur les opportunités et les risques qui tournent autour de la production de l’hydrogène vert pour la Tunisie tout en adressant une série de conditions pour que l’hydrogène vert soit vraiment durable, juste et économiquement bénéfique au pays.

Risques sous-estimés

À l’heure où un marché mondial de l’hydrogène vert est en train de se façonner, la Tunisie entame l’élaboration de sa propre stratégie, qu’elle prépare depuis le début de l’année 2022 et qui devrait être finalisée en 2024, indique l’étude tout en précisant que bien que le Ministère tunisien de l’Energie ait accordé une grande importance au projet, aucun dialogue avec la société civile, les scientifiques et les populations concernées n’a eu lieu. Le pays rate ainsi l’occasion d’identifier les éventuels risques, tant au niveau environnemental que social alors que des doutent émergent quant à son intérêt pour la Tunisie.

Toujours selon l’ONG, la production de l’hydrogène vert à grande échelle – alimentée par des mégaprojets éoliens et solaires requiert une mobilisation importante de différents types de ressources, tout au long de la chaîne de fabrication et même si le Ministère de l’Energie affirme que « ces projets n’ont a priori pas d’impact négatif sur l’environnement », rien n’est moins sûr en réalité sachant qu’alors que les discussions actuelles portent essentiellement sur le positionnement de la Tunisie sur ce marché mondial naissant, les coûts sociaux et écologiques de ces projets majeurs sont rarement considérés.

Les études se sont pourtant récemment multipliées, alertant sur les répercussions que de tels mégaprojets pourraient avoir sur les ressources naturelles – l’eau, les sols, etc. – dans des pays fortement menacés par le dérèglement climatique, note-t-on.

Des doutes émergent aussi quant au réel apport de ce nouveau secteur vis-à-vis des engagements climatiques tunisiens et tandis que le pays est à ce jour dépendant à 97% du gaz algérien pour sa production électrique et que sa transition énergétique stagne, il est envisagé que la majeure partie de l’hydrogène vert produit sur le sol tunisien soit exportée, notamment vers Europe, comme l’ont confirmé les entretiens réalisés dans le cadre de l’étude de Heinrich-Böll-Stiftung – Tunisie.

Modèle extractiviste peu rentable

La production de l’hydrogène vert en Tunisie soulève également un autre problème de fond, celui de la reproduction d’un modèle extractiviste, basé sur la surexploitation des ressources naturelles destinées à l’exportation vers les marchés mondiaux sans véritablement considérer les besoins énergétiques des populations locales, les risques sociaux et écologiques tel que le stress hydrique, ainsi que la dette financière résultant de tels investissements, martèle l’ONG.

Notons que selon un rapport récent du think tank Transnational Institute (TNI), de grandes interrogations subsistent quant à savoir si l’hydrogène vert pourra un jour être exporté à des prix suffisamment attractifs, compte tenu des coûts de production et de transport élevés.

Et pour cause, l’utilisation d’énergies renouvelables intermittentes pour alimenter les électrolyseurs entraînera des coûts plus élevés, mais la connexion au réseau pour atténuer cela pourrait encore augmenter les coûts, ainsi que l’empreinte CO2e. 

En outre, TNI précise que l’expédition de l’hydrogène vert par voie maritime nécessite trois fois plus d’énergie pour le liquéfier que le gaz naturel, alors que le même volume de pétrolier ne transporterait que 27% de l’énergie. De plus, 0,2% de l’hydrogène bouillirait chaque jour pendant le transport. 

L’hydrogène vert pourrait coûter jusqu’à 11 fois plus que le gaz naturel par unité d’énergie aux prix d’avant la crise énergétique hivernale et l’invasion de l’Ukraine, avant même le stockage et le transport. L’hydrogène est coûteux à distribuer par voie maritime et par pipeline et les gouvernements et les entreprises nord-africains doivent donc se méfier des promesses de grands marchés d’exportation pour l’hydrogène vert coûteux à fabriquer et à expédier, et les carburants synthétiques fabriqués à partir de celui-ci, conclut le TNI. 

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Publié par
Mohamed Ben Abderrazek