Economie

Exclusif : Morgan Stanley prévoit d’éventuels troubles sociaux à cause de l’inflation (1/2)

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La Tunisie se dirige vers un défaut de paiement si la détérioration actuelle de ses finances se poursuit, a averti hier lundi 21 mars 2022 la banque américaine d’investissement Morgan Stanley (MS) qui a déclaré que dans un scénario où le rythme actuel de détérioration budgétaire se poursuit, il est probable que la Tunisie fasse défaut sur sa dette.

L’institution financière a indiqué que cela se produirait probablement l’année prochaine à moins qu’un un programme rapide de financement par le FMI soit conclu et que le pays adopte un plan consacrant d’importantes réductions des dépenses publiques.

Au détail, MS a élaboré un rapport d’évaluation du profil du crédit souverain de la Tunisie. Nous publions en exclusivité les principaux faits saillants, de ce rapport.

Trois axes d’intérêt

MS met trois axes d’intérêt ou d’analyse et pense qu’un programme de financement auprès du FMI est probable mais elle prévoit sa concrétisation en 2023 compte tenu de la situation politique et des résistances de grande envergure aux réformes. Entre temps, une inflation élevée pourrait être la cause d’un risque de troubles sociaux. La banque n’exclut pas la survenance d’un défaut de paiement de la dette extérieure et avance même un ordre de grandeur de la valeur de récupération des bons d’Etat tunisiens, à ce titre.

Dans le sillage des troubles de janvier 2011 lors de la vague du printemps arabe, l’économie a depuis eu du mal à trouver une stabilité politique, ce qui a entraîné une détérioration importante de la situation budgétaire. La croissance au cours des 10 dernières années a ralenti, passant d’un pic de 4,1% en 2012 à un creux de -8,6% en 2020, avec un taux de croissance moyen attendu de 2,5% au cours des cinq prochaines années.

La croissance médiocre a entraîné une création de revenus qui n’a pas suivi le rythme des dépenses, ce qui a finalement conduit à ratio dette publique/PIB qui s’est accru de 45% en 2010 à 90%. Inévitablement, le chômage a augmenté progressivement, ajoutant de nouveaux risques à la stabilité sociale sur fond de perspectives économiques négatives.

  • Axe 1 : Le financement du FMI est indispensable

La dette de la Tunisie deviendrait insoutenable à moins qu’un programme solide et crédible ne soit adopté avec un large soutien, selon le FMI.

La conviction du FMI sur le besoin urgent de réforme est un sentiment que partage MS. La poursuite de la détérioration des finances publiques s’est traduite par un déficit budgétaire atteignant 8,3% du PIB en 2021 et faisant grimper le ratio dette publique/PIB à 90%. En l’absence de financement extérieur en 2021, les autorités ses sont appuyées fortement sur le marché intérieur pour se financer à hauteur de 9,9 milliards de dinars contre une moyenne annuelle de 1,4 milliard de dinars sur les cinq dernières années.

Dans un scénario où un programme du FMI accuse du retard et soit signé en 2023 (hypothèse de base de MS), les autorités seraient à nouveau obligées de lever un financement intérieur à 6,7% du PIB en 2022 dans un contexte de financement extérieur limité.

Cela pourrait s’avérer difficile compte tenu des importants déficits budgétaires et de l’amortissement particulièrement élevé de la dette extérieure, que MS estime à environ 4% du PIB. En supposant que la Tunisie s’en tire en 2022, et sans réformes substantielles, cela augmente la probabilité de défaut en 2023 en raison des besoins de financement élevés.

Évidemment, cela accélérerait la volonté des autorités de signer un accord avec le FMI. Un tel programme obligerait le FMI à insister sur des réformes des subventions aux carburants et un financement quasi nul de la banque centrale. Les réserves de change élevées (bien qu’en baisse) soutiennent certainement un scénario flou.

Lorsque le programme sera signé, MS voit des risques notables de réformes plus lentes que prévu compte tenu de la résistance des syndicats. Le scénario de référence de MS (c’est-à-dire le programme du FMI en 2023) prévoit une stabilisation de la dette/PIB à 93% en 2023, stimulée par la réduction des coûts financement extérieur et un retour à un excédent primaire. Dans un scénario sans réforme (baissier) où un programme du FMI est annulé, la dette dépassera 100% en 2025.

  • Axe II : L’inflation, un risque social

Le soulèvement de 2010 qui a finalement conduit à la destitution de l’ancien président Ben Ali s’est produit dans un contexte de prix élevés des produits alimentaires à l’échelle mondiale, qui ont impacté les prix locaux.

Bien que l’inflation n’ait pas été la seule raison du soulèvement, elle a été un facteur décisif car le gouvernement a été contraint d’augmenter les subventions pour tenter d’amortir l’impact.

Cette situation était insoutenable et a contribué en partie à la forte détérioration des finances publiques.

Les prix des denrées alimentaires dans le monde sont à nouveau en hausse en raison des défis mondiaux du côté de l’offre, de la hausse des prix des produits de base et de l’amélioration de la demande globale au lendemain de la pandémie.

L’inflation locale a tendance à augmenter, se situant désormais à des niveaux observés pour la dernière fois en 2019, ce qui fait craindre que la poursuite de la hausse des prix ne conduise à des troubles sociaux, ce qui, dans un contexte de fortes tensions politiques, pourrait être négatif pour la trajectoire économique.

Les données historiques suggèrent qu’une certaine corrélation entre l’inflation alimentaire mondiale et les manifestations existe.

La monétisation potentielle de la dette (recours au financement intérieur) ajoute un risque supplémentaire aux perspectives d’inflation. Les sources de financement du pays étant limitées en raison de l’absence de programme du FMI, il est probable que la monétisation de la dette sera à nouveau une source de financement cette année comme ce fut le cas en 2021.

Au cours de cette période, les réserves internationales ont chuté de 1 milliard de dollars à 8,1 milliards de dollars US alors que la croissance annuelle est restée négative à presque deux chiffres.

Les évolutions dans le secteur des carburants aggravent les risques à la hausse de l’inflation. Récemment, les autorités ont pris des mesures pour réduire la subvention aux carburants, qui s’élevait à 1,8% du PIB en 2021. Cela s’est traduit par une augmentation des prix à la pompe à deux reprises en février en réponse à la hausse du prix du pétrole brut Brent.

Les prix du pétrole ont encore augmenté de 13% depuis le début du mois, tandis que le dinar est près de 2% plus faible par rapport au dollar, ce qui suggère que davantage d’augmentations des prix du carburant sont nécessaires si la subvention au carburant doit être réduite. Cependant, l’UGTT s’est toujours opposée à la réduction des subventions afin de pouvoir s’opposer à de telles augmentations de prix.

MS pense que les prévisions de l’inflation estimé par le FMI à 6,5 % pour 2022 présente des risques importants à la hausse : les risques de protestations resteront élevés en 2022, car les consommateurs restent sous pression.

(A suivre)

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Publié par
Mohamed Ben Abderrazek
Tags: FMI