Economie

Exclusif – Rapport complet Moody’s : Les risques institutionnels engendrent des perspectives négatives pour les banques tunisiennes

Partager

La maison de notation Moody’s vient de publier hier lundi 27 juin 2022 un rapport sur les perspectives du secteur bancaire tunisien. Elle considère que les perspectives du secteur sont négatives en raison de son contexte d’activité marqué par la montée des troubles politiques et économiques que connaissent le pays depuis que le président de la République Kais Saied a pris le pouvoir exécutif l’année dernière. Les banques sont fortement exposées au risque souverain liée à la gestion des finances publiques par le gouvernement dont les perspectives sont également négatives, selon Moody’s.

Les pressions inflationnistes, exacerbées par l’impact du conflit militaire en Ukraine et la dépréciation éventuelle de la monnaie nationale en cas d’échec des discussions sur un troisième programme de financement du pays par le FMI, exacerberont les problèmes des créances des banques, augmenteront le manque de liquidités et risqueront d’éroder la rentabilité du secteur bancaire, indique l’agence. En outre, la fragile reprise économique après une forte récession provoquée par le coronavirus en 2020, les déficits budgétaires et courants persistants et l’incapacité d’accéder aux marchés internationaux des capitaux pèseront sur la solvabilité et la liquidité des banques au cours des 12 – 18 prochains mois.

Forte exposition du secteur bancaire au risque souverain et politique

Le ralentissement des exportations et la hausse de l’inflation affaibliront la reprise économique de la Tunisie, note le rapport de la maison de notation. Après une forte contraction du PIB réel de 8,7 % en 2020 et un modeste rebond de 3,1 % en 2021, la croissance devrait se limiter à 2,2 % cette année et ne dépassera pas 2,5 % l’an prochain et ce, loin des niveaux de 5% d’avant la révolution de 2011. Une reprise économique par rapport aux niveaux d’avant la pandémie n’est pas probable avant 2024.

Moody’s ajoute que la hausse du chômage (17,4 % en 2020 contre 14,9 % en 2019) risque d’alimenter les troubles sociaux. Les réserves de change élevées grâce à de forts transferts de fonds de la diaspora, à une certaine reprise des exportations du phosphate et de l’industrie et les nouveaux engagements de financement de la part des bailleurs de fonds soutiennent la monnaie nationale qui se déprécie actuellement. Cependant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a exacerbé les risques déjà pesants pour le secteur bancaire en augmentant les prix des importations du pétrole, en attisant l’inflation, en réduisant le potentiel de secteur du tourisme et en affaiblissant les exportations, autant de facteurs qui rendront plus difficile pour les clients des banques de rembourser leurs prêts.

Une crise constitutionnelle en juillet 2021 et un paysage politique turbulent nuisent au climat d’investissement et au profil de crédit du pays. La dissolution du Parlement par le président Kais Saied et la gouvernance par décret à partir de la fin du mois de mars dernier menacent de prolonger l’impasse politique au pays et de compromettre un accord avec le FMI sur un nouveau programme pluriannuel de sauvetage économique.

L’exposition des banques tunisiennes au risque encouru par le gouvernement, notamment en raison de leurs souscriptions aux bons du Trésor et leur participation aux prêts syndiqués en devises à l’État et l’octroi des prêts aux entreprises publiques, est estimée à environ 1,2 fois leurs capitaux propres déclarés en novembre 2021, précise Moody’s.

L’exposition des banques à la dette publique pourrait même augmenter, car le financement additionnel du FMI et des bailleurs de fonds du gouvernement tunisien reste conditionné par la réalisation de réformes économiques structurelles qui n’ont pas encore fait l’objet de consensus, indique l’agence qui souligne aussi et sous ce même angle que l’accès aux marchés internationaux des capitaux est inexistant. L’exposition du gouvernement aux risques souverains influe le profil de crédit des banques et l’adosse sur celui de l’État, dont la faible note Caa1 est estimée avec une perspective négative.

Faible performance

Les créances accrochées des banques resteront élevées en 2022, à environ 12 à 13% du portefeuille de prêts global du secteur, car la croissance de l’encours des crédits reste relativement lente et les mesures prises pendant la pandémie, à ce niveau, ont pris fin. Les emprunteurs subiront de nouvelles pressions de la part de la Banque centrale tunisienne (CBT) qui resserre sa politique monétaire afin de préserver la stabilité des prix.

Le provisionnement des créances irrécouvrables entrainera une détérioration du rendement des prêts, du fait que la détérioration des conditions d’exploitation des clients des banques compromettra leur capacité de remboursement. Les créances accrochées, selon Moody’s, sont concentrés dans les secteurs du tourisme, de l’industrie, du commerce de détail et de l’immobilier.

On assure que le provisionnement des créances accrochées impactera l’amélioration de la rentabilité et des résultats nets des banques. La concurrence intense au niveau de la collecte des dépôts maintiendra les marges d’intérêt des banques serrées, bien que des taux d’intérêt plus élevés sur les prêts apporteront une certaine amélioration de ladite marge.

La capacité du gouvernement à soutenir les banques en difficulté s’affaiblit

Les banques tunisiennes ont entièrement conservé leurs bénéfices en 2020 pour renforcer les fonds propres pendant la pandémie et la banque centrale a plafonné la distribution de dividendes en 2021. Néanmoins, le ratio de fonds propres (Tier 1) à l’échelle du secteur ne représentait que 10,8 % des actifs pondérés en fonction du risque en septembre 2020, un niveau modeste compte tenu des volumes élevés de créances accrochées.

L’adoption des normes comptables IFRS 9 désormais attendue en 2023 et la faible couverture du provisionnement des créances accrochées pourraient réduire davantage les niveaux de la capitalisation du secteur bancaire Tunisie au cours des 12 – 18 prochains mois, précise-t-on.

De nouveaux retards dans l’obtention d’un nouveau programme du FMI éroderaient les réserves de change par le biais de prélèvements pour les paiements du service de la dette exacerbant ainsi les risques de balance des paiements. Ces préoccupations sont à l’origine de la vision négative de Moody’s de la notation souveraine. Dans ce scénario, la probabilité d’une restructuration de la dette du secteur public augmenterait, entraînant des pertes pour les créanciers du secteur privé, y compris les banques.

Laissez un commentaire
Publié par
Mohamed Ben Abderrazek
Tags: FMI