Inviter à diner ou à déjeuner les cadres de son parti ou les membres de son groupe parlementaire fait partie des usages de la 5e République. Le chef de l’Etat convie parfois les présidents de tous les partis et des groupes parlementaires quand la gravité de la conjoncture nationale l’exige ou quand il s’agit d’engager l’armée française à l’extérieur. Mais inviter tous les élus de la nation, députés et sénateurs réunis, quelque 1000 personnes, c’est inédit. Et ce n’est pas le président Emmanuel Macron qui s’essayera à cet exercice hors normes mais bien le ministre de la Justice, Gérald Darmanin…
Est-ce sa façon à lui de marquer des points au centre, où les noms des anciens Premiers ministres Edouard Philippe et Gabriel Attal sont en pole position – selon les sondages – pour la prochaine présidentielle ? Est-ce une manière de briller face à son collègue à l’Intérieur, Bruno Retailleau, le ministre le plus populaire du gouvernement, également obsédé par la présidentielle de 2027 ? Mystère.
En tout cas le mail du «secrétariat particulier de M. Gérald Darmanin», daté du 5 mai 2025, a bien été réception par tous les parlementaires, de l’extrême gauche à l’extrême droite. L’invitation, qui en a étonné plus d’un, désarçonné même, était calée pour ce lundi 12 mai, à l’heure de l’apéro, officiellement pour «un temps d’échange» avec le garde des Sceaux, a rapporté Public Sénat. On verra après qui des 577 députés, des 348 sénateurs et des 81 eurodéputés français a fait le déplacement.
Ce qui est certain c’est que pour inviter quelque 1006 invités il faut vraiment que ce soit important, on ne peut pas se permettre de se louper devant toute la représentation nationale, surtout quand on a des ambitions aussi grandes. Pour Darmanin recevoir ne serait-ce que la moitié de cette assistance sera déjà un succès éclatant… et un record absolu. Alors oui, le jeu en vaut la chandelle pour le ministre de la Justice.
«Et comme ils ne connaissent manifestement pas la copie cachée, on a toute la liste», se gausse un parlementaire communiste. Le mail est tout ce qu’il y a de plus simple : «Monsieur Gérald Darmanin, Ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a le plaisir de convier l’ensemble des parlementaires à un temps d’échange sur les grandes orientations du ministère de la Justice, suivi d’un cocktail dinatoire».
Dans une lettre adressée aux magistrats Darmanin avance la possibilité «d’élargir le principe du plaider-coupable de certains délits aux affaires criminelles (…). Dans la perspective de cette rencontre, vous recevrez très prochainement un courrier que le Garde des Sceaux va adresser aux magistrats, greffiers et l’ensemble des agents administratifs et techniques travaillant en juridiction», indique le mail envoyé aux élus.
Il n’est pas certain que le ministre verra défiler beaucoup de parlementaires de gauche vu sa politique très à droite. «On est tous invités pour son grand raout à la Chancellerie. Ce n’est pas sérieux. On va servir de faire valoir à la présentation de son programme présidentiel. On attend qu’il vienne davantage devant la commission des lois», éructe la sénatrice socialiste de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie….
Elle ajoute : «Rencontrer un ministre dans le cadre d’une séance de travail oui, mais pas pour faire figurant parmi des centaines de parlementaires pour écouter la bonne parole. Je n’irai pas faire la claque».
Patrick Kanner, patron des sénateurs du Parti socialiste (PS), fait part de sa surprise devant cette méga invitation. «J’ai été dans un gouvernement pendant trois ans, je n’ai jamais vu ça. Ça ne se produit qu’une seule fois, le 14 juillet. C’était pour la garden-party. Et c’est le Président d’habitude», souligne le sénateur du Nord, qui ne s’y rendra pas. L’ancien ministre argue une autre urgence dans son département dans la perspective du congrès du PS, en juin prochain.
«Inviter tout le monde, c’est un acte politique totalement autonome, indépendant», commente Patrick Kanner, qui pointe «un gouvernement d’auto-entrepreneurs (…). De la part du Président, de la part du Premier ministre, pas de problème. De la part d’un ministre, même Gérald Darmanin, c’est la course à l’échalote. Mais je ne suis plus étonné de rien», lâche le socialiste…
«La Macronie, et tout ce qui tourne autour, ça ose tout, c’est à ça qu’on la reconnaît», assène-t-il, en accusant le camp du président d’utiliser les moyens de l’Etat pour son propre agenda politique. «C’est l’occasion de montrer qu’il existe. Mais inviter tout le monde, c’est un non-sens politique. La logique aurait été qu’il invite les commissaires aux lois», ajoute-t-il.
Par contre un autre parlementaire de l’opposition, un sénateur écologiste, a décidé de s’y rendre, par curiosité. «Je ne vois pas à quoi ça rime, mais j’irai voir», plaide-t-il.
En tout cas des doutes Darmanin lui n’en a pas, il fonce. Quand il avait quitté le ministère de l’Intérieur en septembre 2024, avec un discours haut en couleurs, il avait promis de s’en tenir à son fauteuil de député, au travail d’élu de terrain. Ses ambitions sont vite revenues au galop, surtout avec le ramdam que fait son successeur à la Place Beauvau, Retailleau. Quand Darmanin a hérité du portefeuille de la Justice il a en fait une tribune médiatique. Et depuis il talonne le ministre de l’Intérieur sur tous les sujets, même sur les terrains les plus vaseux…
Il est allé jusqu’à menacer de démissionner dernièrement si le gouvernement recule sur le port du voile dans la pratique sportive. C’est dire qu’il ne recule devant rien pour sortir du lot. Décidément l’élection présidentielle leur fait perdre le nord à tous.
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