L’obsession de l’Algérie, jusqu’à la déraison, jusqu’à installer un froid diplomatique très préjudiciable pour Alger mais aussi pour Paris. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, bouge et parle au point qu’il est devenu le membre du gouvernement le plus populaire (disent les sondages). Alors il s’est dit qu’il ne faut pas s’arrêter de brasser de l’air, quitte à se saisir de dossiers qui de toute évidence sont trop volumineux pour ses petites épaules. L’ancien président Nicolas Sarkozy a acquis sa popularité au ministère de l’Intérieur, c’est grâce à son volontarisme très surfait qu’il a gagné l’élection de 2007. Le scrutin de 2027 est sans doute dans la tête de Retailleau mais il est mu par autre chose, plus puissant encore, plus funeste aussi…
Les fantômes de Le Pen, qui a tué et torturé en Algérie
Ceux qui connaissant le ministre de l’Intérieur disent qu’il ne feint pas, qu’il ne fait pas semblant, qu’il a des convictions fermes bien ancrées à droite. On en a vu la manifestation, on a vu surtout une course avec l’extrême droite sur la détestation de l’Algérie et des Algériens. Si pour le Rassemblement national ce dossier est inscrit dans son ADN, porté par le père fondateur de la mouvance, feu Jean-Marie Le Pen, qui a tué et torturé en Algérie, pour Retailleau on cherche encore les raisons de cette haine primaire.
Bien avant les dernières éruptions entre la France et l’Algérie le ministre s’était déjà embarqué dans sa croisade anti-Accord de 1968, il l’a fait dès qu’il s’est installé Place Beauvau, un empressement plus que suspect. Il a accéléré quand Alger a renvoyé vers Paris l’influenceur algérien «Doualemn», expulsé le 9 janvier. Tout le gouvernement, à part le ministre de la Justice Gérald Moussa Darmanin, a tenté de garder son calme, tout le monde sauf Retailleau. Il a mal pris le fait que son feu sur l’abrogation de l’Accord de 1968 n’ait pas pris…
Il a surtout très mal pris la leçon administrée par le chef de la diplomatie française, le jeune Jean-Noël Barrot (41 ans), qui a rappelé au duo anti-algérien que c’est lui qui porte la parole de la France, après le président Emmanuel Macron. Barrot en a rajouté à l’irritation de Retailleau et Darmanin en annonçant au Parlement le 15 janvier qu’il est disposé à aller à Alger pour trancher tous les noeuds gordiens. Alors le ministre de l’Intérieur s’est vengé en se fendant d’un long entretien avec “L’Express”, publiée hier mardi 21 janvier.
Retailleau, comme si le gouvernement n’avait pas de Chef – que fait François Bayrou ?! -, a encore tiré en direction de Barrot en critiquant la politique de visas, trop permissive à son goût. Il a aussi fustigé le ministère des Finances, qui aurait dû serrer la vis sur le patrimoine de certains dignitaires algériens. Le ministre de l’Intérieur, avec plus que jamais des accents de Sarkozy, a marché sur les plates bandes de ses collègues en assénant qu’il faut «dépassionner» et «normaliser» les liens franco-algériens, et que la France doit être «plus agressive».
Un poison lent et fatal : le silence de Macron…
De toute évidence Retailleau n’a retenu aucune des leçons de Barrot, il les a même ostensiblement foulées au pied. Et çà Gérard Araud, ancien ambassadeur de la France en Israël, n’a pas du tout aimé. Il a condamné des «postures de matamore» qui volent bas. «Qu’il se taise ! Je sais qu’il satisfait ainsi une partie de son électorat mais qu’il pense à l’intérêt national. Ce n’est pas ainsi qu’on fait de la politique étrangère», a lâché l’ancien diplomatique.
Avant Araud l’ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, Dominique de Villepin, avait pointé un air de «malentendu» avec un «ministre de l’Intérieur qui veut régler des questions qui ne se règlent que par la diplomatie». Au Sénat et l’Assemblée nationale aussi la méthode Retailleau commence à agacer. Abdelkader Lahmar, élu la France insoumise du Rhône, dénonce la guerre de tranchées entre la Place Beauvau et le Quai Orsay, sur fond de «calcul pour séduire l’extrême droite»…
Le sénateur socialiste du Val-d’Oise Rachid Temal a préféré une interrogation sous le sceau de l’ironie, sur X : «Quelle est la position du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ?». Bayrou avait promis de «laisser de l’autonomie» aux poids lourds du gouvernement et de leur permettre de s’exprimer «à titre personnel», rapporte “Libération”. La porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, est même d’avis que Retailleau fait preuve «d’une grande détermination» face à l’Algérie. Sauf que là l’expression libre vire au pugilat interne.
Très mauvais signal pour un gouvernement qui n’est pas assis sur une majorité parlementaire et qui marche sur des oeufs, pour chaque grand dossier. Barrot certainement ne fait pas le poids face à Retailleau, politiquement parlant, mais en l’écrasant c’est tout le gouvernement et le pays que le ministre de l’Intérieur écrase…
«Chacun est libre d’exprimer ses opinions ou de formuler des propositions. Mais c’est bien au Quai d’Orsay et sous l’autorité du président de la République que se forge la politique étrangère de la France», a martelé lundi dernier sur “RMC-BFMTV” le ministre des Affaires étrangères. Et qu’a répliqué Retailleau le lendemain sur “Express” ? «Les relations diplomatiques sont du domaine du chef de l’État, élu au suffrage universel». Une manière de ratatiner Barrot.
Jusqu’ici le président Macron n’a pas dit un mot, il n’a pas commenté publiquement l’affaire «Doualemn» et ses développements, il n’a rien dit depuis son coup de sang du 6 janvier sur l’Algérie, suivi par la volée de bois vert envoyée par d’Alger. L’Elysée est sans doute en train de sous-peser le coût de chaque sortie médiatique, le prix à payer pour Paris. Macron a raison de temporiser, mais pas trop longtemps, il faudra bien arbitrer entre Retailleau et Barrot, puisque Bayrou ne le fait pas…
Que le chef de l’Etat soit d’accord avec les flammes de l’un ou avec le bons sens de l’autre il faudra bien qu’il le dise clairement. Autrement ce silence finira par empoisonner l’ambiance gouvernementale.
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