Le Premier ministre François Bayrou a servi son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. Il a obligé les députés à l’écouter jusqu’au bout, pour entendre ce qu’il fera de la France et des montagnes de difficultés qui l’attendent. C’est le 28e exercice du genre dans l’histoire de la République, le rendez-vous de ce mardi 14 janvier était sans doute l’un des plus importants. Et pour cause : Bayrou succède à un chef de gouvernement – Michel Barnier – qui a tenu moins de 2 mois après son passage dans le chaudron du Parlement. Donc pour l’actuel Premier ministre il s’agissait avant tout d’avoir l’écoute des parlementaires sur quelques sujets clés, décisifs pour la majorité à géométrie variable qui aidera le gouvernement à arriver à bon port.
Il a commencé par l’os le plus dur, très habile !
Il s’agit de faire mieux que l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, qui est resté à peine 8 mois à Matignon. Mais lui au moins ce n’était pas de sa faute, c’était celle du président de la République, qui a eu la funeste idée de dissoudre l’Assemblée pour convoquer des législatives anticipées, qu’il a perdues. Tout ça trottait dans la tête de Bayrou quand il s’est adressé à la représentation nationale. Ce qu’on peut dire d’ores et déjà, en attendant les contours de l’assise parlementaire qui naîtra de tout ça – ou pas -, c’est que le Professeur agrégé de Lettres classiques a été plus inspiré que quand il a brossé le portrait de feu Jean-Marie Le Pen.
C’est un chef de gouvernement sans majorité qui a pris la parole durant près d’une heure et demie pour tenter de convaincre. Il a commencé par l’os le plus dur, celui qu’il négocie depuis plusieurs jours avec le Parti socialiste pour s’accorder autour d’un Pacte de non-censure : le dossier explosif des retraites, qui a valu à la France 13 manifestations nationales. Bayrou a dit qu’il veut attaquer “l’urgence” qu’est la “précarité budgétaire” drainée par le rejet du Budget en fin d’année 2024…
Pour “trouver des voies de passage“, “la première urgence” est de “répondre à la question des retraites qui occupe le débat public“, a déclaré le chef du gouvernement. Il a annoncé dans la foulée une “remise en chantier” de la réforme des retraites. Au coeur de la dispute, la révision de l’âge de départ, fixé à 64 ans par la loi de 2023. Le chef du gouvernement a souligné ce mardi une réforme “vitale” en raison du “lourd problème de financement de notre système de retraites“. Mais face à la levée de boucliers il adoptera une “méthode inédite et quelque peu radicale“.
La méthode : il va demander “une mission flash à la Cour des comptes, de quelques semaines” pour recueillir des “chiffres indiscutables” sur les retraites. Une “délégation permanente” sera installé avec les “partenaires sociaux“, dans les mêmes bureaux, “pendant trois mois à dater du rapport de la Cour des comptes (…). Nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l’âge de la retraite, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée“, a précisé Bayrou…
Et si après tout ça il n’y a aucun accord à l’automne la réforme actuelle sera maintenue, a averti le chef du gouvernement pour fixer le cadre du dialogue et faire en sorte que chacun prenne ses responsabilités.
Surendettement, dépenses, croissance, budget 2025… : Bayrou a réponse à tout
Le dossier du “surendettement” de la France ne pouvait pas être éludé. Le Premier ministre a asséné que “tous les partis de gouvernement, sans exception, ont une responsabilité” dans cette dégradation des comptes publics. “Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social“, a martelé Bayrou, en accusant “tous les partis d’opposition” d’exiger “sans cesse des dépenses supplémentaires“, ce qui entraîne un “tango fatal qui nous a conduits au bord du précipice“.
La France table sur un déficit public de près de 5,4% de son PIB en 2025, plus réaliste que celui du précédent gouvernement (5%), et rogne sa prévision de croissance à 0,9% cette année contre 1,1% avant que Barnier ne soit déchu, a fait savoir son successeur. Le président du Modem et maire de Pau est d’avis qu’il faut “repenser tous nos budgets” et a annoncé “la création d’un fonds spécial entièrement dédié à la réforme de l’État” et à sa restructuration. Il a avancé que les “1000 agences ou organes de l’État” actuels sont “un labyrinthe dont un pays rigoureux peut difficilement se satisfaire“.
Donc ce fonds sera alimenté par des actifs “en particulier immobiliers, qui appartiennent à la puissance publique de façon à pouvoir investir, par exemple dans le déploiement de l’intelligence artificielle dans nos services publics“, a indique le chef du gouvernement.
“Banque de la démocratie“, immigration et gilets jaunes au menu
Sur un aspect plus politique il a fustigé la “stratégie” de Jean-Luc Mélenchon de “faire de tout sujet un conflit“, il a dit que le “pluralisme” politique est “légitime” mais qu’il doit être “organisé“. D’ailleurs Bayrou propose l’installation d’une “banque de la démocratie“, pour que les partis ne courent plus derrière des “banques privées” mais que le financement provienne “d’organismes publics, placés sous le contrôle du Parlement“.
Au sujet de la proportionnelle, très chère à l’extrême droite de Marine Le Pen et aux petits partis de gauche, Bayrou assure vouloir “avancer sur la réforme du mode de scrutin” législatif. Cette refonte, “probablement“, “nous obligera à reposer en même temps la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale“, a ajouté le Premier ministre. De nombreux députés à gauche ont protesté. Bon, là en l’occurrence Bayrou devrait commencer par donner l’exemple en se séparant de son fauteuil de maire, qui l’avait empêché d’aller à Mayotte aux côtés des sinistrés.
Au sujet épineux : l’immigration. Là aussi le chef du gouvernement a fait preuve d’habileté. Il a partagé sa “conviction profonde“, qui est que l’immigration est “une question de proportion“. “L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui est suscité et qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l’école, des parents qui reçoivent tous les signes de l’entraide. Mais que trente familles s’installent et le village se sent menacé“, a plaidé Bayrou.
En conséquence il opte pour une “politique de contrôle, de régulation et de retour dans leur pays de ceux dont la présence met en péril, par leur nombre, la cohésion de la nation“. Il projette de “réactiver” le Comité interministériel de contrôle de l’immigration et “mieux user de notre aide au développement, en retrouvant dès 2026 une trajectoire dynamique“.
Même les gilets jaunes ont eu leur gloire au Parlement. Bayrou désire “reprendre l’étude des cahiers de doléances” libellés au terme des discussions qui avaient suivi les manifestations des “gilets jaunes”, un mouvement “négligé” selon le chef du gouvernement. Les “gilets jaunes” ont “dénoncé l’état qu’ils ressentaient de notre société“, “la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas“, mais “la promesse française suppose que nous puissions abattre le mur qui existe entre les uns et les autres“, a clamé le Premier ministre.
“C’est la raison pour laquelle nous devrons reprendre l’étude des cahiers de doléances“, afin que “s’expriment dans notre société (…) les attentes souvent les plus inexprimées, qui sont celles des milieux sociaux exclus du pouvoir“. Quand on vous dit que le Prof de Lettres est inspiré…
Même pas peur de la motion censure…
Autre trouvaille : “Parcoursup“. Bayrou souligne la nécessité d'”ouvrir les portes” et d'”inventer la période de l’année d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur (…). Vouloir sélectionner précocement, sans qu’aient mûri l’esprit et les attentes, je pense que c’est une erreur, en tout cas une faiblesse“, a-t-il plaidé devant les députés, en tirant discrètement sur la plateforme post-bac d’orientation installée en 2018, un an après l’arrivée de Macron. Ce dernier appréciera.
Puis cap sur les contrôles et les normes environnementales qui assaillent les agriculteurs, le Premier ministre n’a pas hésité à qualifier de “faute” les inspections “avec une arme” de l’Office français de la biodiversité. “Je m’engage (…) à ce que nous remettions en question les pyramides de normes en donnant l’initiative aux usagers. Ceux que l’on contrôle doivent avoir leur mot à dire sur les contrôles“, a dit Bayrou ce mardi, après avoir conversé hier avec les principaux syndicats agricoles, très en colère.
Par ailleurs la santé mentale sera la grande cause nationale en 2025, comme du reste l’avait programmé Barnier. Face aux “crises” qui plombent le système de santé, le gouvernement introduira “une hausse notable” de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour “améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles“. Rappelons que le précédent gouvernement avait annoncé une réduction du remboursement des médicaments, avant de battre en retraite face à la grogne du Rassemblement national (RN). “La mesure de déremboursement de certains médicaments et des consultations ne sera pas reprise“, a dit Bayrou. C’est Mme Le Pen qui sera contente, elle que le bouton de la censure démange fortement.
Face à cette épée de Damoclès le chef du gouvernement affirme qu’il ne tremble pas, il assure que sa “situation est un atout” car “quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage“. De toute façon quoi qu’il promette la France insoumise de Mélenchon déposera sa motion de censure, qui sera étudiée ce jeudi ou vendredi. Les autres formations du Nouveau Front populaire (NFP), notamment les socialistes, refusent pour l’instant de suivre les insoumis. Le RN a dit aussi qu’il ne votera pas la censure, puisqu’il a obtenu 2 ou 3 biscuits de la part de Bayrou…
Mais en politique, on le sait, les vérités d’aujourd’hui sont rarement celles de demain.
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