Alors que la saison touristique 2025 bat son plein, le secteur de l’hôtellerie-restauration fait face à une pénurie criante de main-d’œuvre… et à une impasse administrative. En cause : les multiples reports de l’actualisation de la liste des métiers en tension, censée faciliter la régularisation des travailleurs étrangers en situation précaire.
Une situation qui fait grincer des dents les professionnels du secteur, alors que les enjeux économiques se chiffrent en centaines de millions d’euros.
Prévue initialement fin février, la mise à jour annuelle de cette liste, instaurée par la loi immigration de janvier 2024, a été transmise aux partenaires sociaux le 21 février. Depuis, rien. Ni publication, ni calendrier clair. Les annonces du ministre François-Noël Buffet évoquent désormais un possible déblocage « avant l’été »… voire en septembre. Une temporalité jugée totalement déconnectée des réalités économiques par les employeurs.
« On a besoin de recruter maintenant. Ces retards créent une frustration inutile, pour les patrons comme pour les travailleurs », s’exaspère Franck Trouet, délégué général du Groupement des hôtelleries et restaurations (GHR), auprès de l’AFP.
Selon France Travail, 336.000 emplois sont à pourvoir dans le secteur cette année, avec un taux de difficultés de recrutement atteignant 50 %. Concrètement, faute de personnel, certains restaurateurs refusent des clients, ce qui impacte directement leur chiffre d’affaires… et prive l’État de recettes fiscales.
La liste des métiers en tension, définie par région, doit permettre à des travailleurs étrangers, justifiant de trois ans de résidence en France et de 12 mois de bulletins de paie sur 24, d’accéder à un titre de séjour temporaire. Un levier censé répondre aux besoins urgents du marché, tout en régularisant des travailleurs intégrés.
Mais derrière les blocages, les enjeux politiques pèsent lourd. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, connu pour sa ligne dure sur l’immigration, semble temporiser. En coulisse, plusieurs sources avancent que sa candidature à la présidence des Républicains pourrait expliquer la frilosité du gouvernement à publier un texte perçu comme « trop favorable » aux régularisations.
« Tout est prêt, mais il y aurait des tensions entre le ministère du Travail et celui de l’Intérieur », confie une source syndicale.
Pour Thierry Marx, président de l’Umih, première organisation patronale du secteur, cette inertie devient incompréhensible :
« Cette liste permettrait d’ouvrir des possibilités de recrutement différentes. Il faut former rapidement les personnes disponibles, qu’elles soient déjà en France ou à l’étranger. »
Le malaise dépasse le secteur du tourisme. Terra Nova, think tank progressiste, alerte dans un rapport récent : pour maintenir le ratio actif/inactif et assurer la pérennité du modèle social français, entre 250.000 et 310.000 travailleurs immigrés devront être accueillis chaque année jusqu’en 2050. Une projection qui contraste fortement avec les discours politiques dominants, focalisés sur la réduction de l’immigration.
Dans les faits, des dizaines d’associations rapportent une hausse des refus de renouvellement de titres de séjour, des délais administratifs à rallonge et des expulsions brutales de salariés pourtant en poste, déclarés et appréciés de leurs employeurs.
« Ce sont les patrons eux-mêmes qui nous contactent, ne comprenant pas pourquoi un salarié exemplaire se retrouve brusquement en situation irrégulière », raconte un bénévole d’une association marseillaise.
« Certains sont contraints de licencier alors qu’ils n’arrivent même pas à recruter. C’est ubuesque. »
En prétendant limiter l’immigration irrégulière sans offrir de voies claires de régularisation, l’État plonge à la fois les entreprises et les travailleurs étrangers dans l’incertitude. La promesse d’une loi « équilibrée » combinant fermeté et réalisme social semble aujourd’hui contredite par les faits.
Le dossier, selon le ministère de l’Intérieur, sera finalisé « d’ici la fin mai ». Mais en attendant, les restaurateurs, hôteliers et saisonniers risquent de traverser l’été en sous-effectif, entre tables non servies, réservations refusées et fatigue généralisée. Et pendant ce temps, le débat politique sur l’immigration piétine les réalités économiques du pays.
Ainsi, la France a-t-elle les moyens de se priver de travailleurs disponibles, compétents, et déjà intégrés ? Le retard dans la publication de la liste des métiers en tension souligne les contradictions d’un système qui réclame de la main-d’œuvre mais freine sa régularisation.
Ce qui semble être une incohérence, au détriment des entreprises, des salariés… et de l’intérêt général.
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