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Par Henda Haouala – Interview avec Moncef Dhouib : La télé nationale et le ministère de la culture : de purs modèles staliniens

Par Henda Haouala – Interview avec Moncef Dhouib : La télé nationale et le ministère de la culture : de purs modèles staliniens

Réalisateur, metteur en scène, scénariste et producteur, Moncef Dhouib est une figure emblématique du cinéma et théâtre tunisien. Une longue carrière marquée entre autres par Hammem el dhab, Soltane el medina, Talvza jeya, Makki w Zakia et  Nmout alik, dernière en date; des films et des one man shows qui portent tous ce parfum libérateur et drolatique qui déstabilisent le spectateur. Moncef Dhouib est ce metteur en scène qui perfectionne particulièrement une écriture avec une portée de leurre, de ruse et d’humour décalé, bref… des textes avec précipités de l’inconscient du spectateur tunisien qui touchent à sa réalité la plus obtuse. Il devait tourner un film (une affaire avec le ministère de la culture) et un feuilleton « Borj el roumi » pour la télévision nationale pour ramadan 2021, un projet qui, finalement, n’a pas vu le jour. Avec du grand recul, Moncef Dhouib nous parle de son rapport avec ces deux structures de l’état dans ce moment crucial que vit le paysage audiovisuel tunisien.

H.H : Qu’est ce qui s’est passé pour « Borj el roumi » ?

MD : Borj el roumi, film historique et coûteux a obtenu la subvention de l’état. Comme cette subvention est insuffisante, j’ai pensé en faire aussi un feuilleton ce qui me donnait plus de moyens et une plus large diffusion. J’ai déposé le scénario du feuilleton à la télévision nationale. Il y a eu d’abord un accord de principe. J’avais commencé la préparation qui a duré 4 semaines. Le jour où je devais signer le contrat que nous avions mis du temps à ajuster,  je trouvais que les clauses du contrat avaient été changées. J’ai compris que c’était un refus déguisé. Sans entrer dans  les détails, ce feuilleton a subi une censure politique de la part des islamistes qui ont contestés que le scénario de « Borj el roumi » ne parle que des militants de gauche.

Aujourd’hui je n’ai plus l’envie de me battre, la télé ne peut pas se moquer des porteurs de projets de cette manière. J’ai joué gros sur ce feuilleton, j’ai dû m’excuser auprès de toute l’équipe qui a travaillé avec moi, c’est toute ma crédibilité qui était en jeu… Mais je suis coriace je garde le film.

H.H : Comment définissez-vous la télé tunisienne d’aujourd’hui ?

MD : Il faut d’abord mettre les choses dans leur contexte. La télé télévision nationale RTT (radio télévision tunisienne), prolongement de la radio créée en 1967 comme service public, était d’abord considérée comme service étatique.  Elle se dénommait la télévision nationale,  « national » dans la mesure où l’État fait sa télévision, ce qui confère à cet établissement ou je dirais plutôt cet organe de pouvoir, tout son politique. Le journal télévisé n’était rien d’autre que le journal du président.  Dans la même période 67 en pleine période socialiste, l’état crée la SATPEC (société tunisienne de production et exploitation cinématographique). La SATPEC  avait le monopole de la production et de la distribution et surtout la charge de produire les actualités tunisiennes projetées sur les murs des villages lointains par les cinés-bus. Une seule idée semble justifier la main mise de ces organes comme moyen efficace de propagande du parti unique (le parti socialiste destourien). L’état gère tout,  contrôle le propos et exerce son sport favori : la censure.  Jugée déficitaire, La SATPEC a été liquidée. Dès lors, ce monopole de la production et de la distribution s’est anéanti.  L’état s’est débarrassé de la SATPEC mais a gardé et renforcé la télévision dite Nationale. Aujourd’hui, cette institution a évolué à contre temps.  Elle change de nom, de logotype mais reste lourde de ses 1200 employés qui absorbent une très grande partie de son budget, résultat des courses, la télé nationale accumule les déficits.

On peut comprendre qu’à ses débuts la télé comportait un nombre conséquent de salariés. Avec tout son matériel lourd (immenses caméras de studio, des kilomètres de câbles etc.) chose qui imposait  un effectif conséquent,  impliquait l’embauche de plusieurs personnes.  Aujourd’hui, avec l’évolution technologique, l’avènement du numérique,  le matériel audiovisuel est devenu plus accessible, plus performant et  plus léger, ce qui nécessite moins d’intervenants.  La télé ne savait pas quoi faire de ce surplus d’effectif, elle a donc dû garder tout son personnel. Ceci dit, même avec ce nouveau matériel, la télé a continué à engager du monde. Chaque directeur qui arrive recrute du personnel, le sien. La télé a été surchargée de petit personnel (chauffeurs, régisseurs, assistants et autres). Ensuite, ce petit personnel participe dans les concours lancés par la télévision et de nombreuses personnes ont gravi les échelons de cette manière jusqu’à devenir réalisateur. La Tunisie souffre de surcharge de ses administrations. Le même problème se trouve au Ministère de la culture. Il y a beaucoup de parallèles entre la télé nationale et le Ministère de la culture qui compte près de 8 milles salariés, mais pour quelle culture ?

H.H : Quel regard portent ces deux structures pour l’artiste tunisien ?

MD : La télé et le Ministère de la culture n’ont jamais défendu l’artiste pour lequel et avec lequel ils sont censés travailler. Je prends l’exemple du Ministère de la culture  qui organise et possède tout. Ce ministère gère toutes les maisons de la culture, organise les JCC, JTC, JMC etc. Tous les salariés qui travaillent sur ces événements sont payés en vacation (en plus). L’argent est très mal géré dans ce ministère, toujours dans cet esprit de mainmise de l’État. C’est une politique calqué sur le modèle soviétique de la culture. Il suffit de voir ces bâtiments immenses : que ce soit la cité de la culture ou le siège de la télévision, ils sont conçus sur ce modèle stalinien. La bureaucratie suit elle aussi ce même modèle, le tout  dans un pays qui opte pour une économie libérale, cherchez la logique !

H.H : A votre avis où réside le problème au juste ?

Le problème dans notre pays est structurel. On ne peut pas parler de production ou de politique de production, de qualité ou d’orientation quand on a 1200 salariés pour la télé qui fabriquent péniblement un contenu audiovisuel,  le tout dans un bâtiment immense qui ne sert qu’à réconforter la bureaucratie.  Il ne faut pas oublier qu’initialement, ce bâtiment était conçu pour le siège de la Ligue Arabe et non pas pour une chaîne télévisuelle. Ainsi, l’État a dû dépenser une fortune à l’époque de Ben Ali pour transformer le siège de la Ligue en une télé, chose absurde : il suffit de voir les longs couloirs et le nombre de bureaux vides. Ce même problème est reproduit à la Cité de la culture où siège le CNCI (Centre national du cinéma et de l’image) : voilà donc les décisions de l’État…

A suivre …

Henda Haouala

Maitre de conférences en techniques audiovisuelles et cinéma

 

 

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