Economie

Interview de A. Hamouda : « Les énergies renouvelables sont la bouée de sauvetage pour notre pays et non un danger pour notre pays » !

Interview de A. Hamouda : « Les énergies renouvelables sont la bouée de sauvetage pour notre pays et non un danger pour notre pays » !

Abdellatif Hamouda, président du groupement des producteurs d’énergie renouvelable de plus de 1 Mw auprès de la CONECT : « Les énergies renouvelables sont la bouée de sauvetage pour notre pays et non un danger pour notre pays » ! 

Des appels d’offres seront incessamment lancés pour la production de 2000 MW en photovoltaïque et en éolien, plus d’autorisations pour les petites centrales de 1 MW, la décision a déjà été prise et un cadre réglementaire différent ainsi que d’autres mesures pour appuyer l’orientation du gouvernement tunisien pour une transition énergétique réussie. Aux dires de Madame Neila Nouira Gongi, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, c’est bien parti pour une transition énergétique effective : mais qu’en est-il dans la réalité où des campagnes de désinformation inédites font passer les investisseurs dans les énergies renouvelables pour les fossoyeurs de la STEG, et les énergies renouvelables pour négligeables par rapport à celles fossiles.

Pour y voir plus clair, le point le Président du groupement des Énergies renouvelables à la Connect, Abdellatif Hamouda.

Pourquoi les énergies renouvelables sont aujourd’hui vitales pour la Tunisie ?

Notre électricité est produite à 97% à partir du gaz.  Notre production de gaz a baissé de 40% en volume entre 2010 et 2019.  À côté de cela, le prix du gaz s’envole.  Si l’on continue comme cela, les factures de la STEG vont vraisemblablement plus que doubler au cours des prochaines années.  Or, le citoyen a besoin d’électricité pour s’éclairer et l’économie toute entière ne peut fonctionner avec un prix élevé de l’électricité.  Un prix trop élevé de l’électricité conduira de nombreuses entreprises à la faillite.  Les énergies renouvelables constituent la solution pour baisser le prix de l’énergie.  Voilà pourquoi ce sujet est tellement important.  L’énergie verte achetée coûte moins cher que le gaz nécessaire à faire fonctionner les turbines à gaz de la STEG. D’où l’importance d’éviter la propagation de fausses informations sur la nécessité de recourir aux énergies renouvelables dans notre pays.

Justement parmi ces informations, il y en a qui prétendent que la STEG pourrait être lésée à cause du développement des énergies renouvelables, qu’en pensez-vous ?

Le Plan Solaire Tunisien établi en 2015 prévoit l’installation de 3 800 MW d’énergie renouvelable.  Il faut compter autour du million d’euros d’investissements pour chaque MW installé, ce qui revient à une enveloppe d’investissement de l’ordre de 3,8 milliards d’euros, soit plus de 12,5 milliards de dinars. Ceci est impossible à réaliser par la STEG déjà lourdement endettée et déficitaire.

Plus important encore, le privé est beaucoup plus efficace que la STEG dans le domaine des ENR.  La STEG dispose d’une longue expérience dans la production d’électricité à partir du fuel, mais très peu dans le domaine des énergies renouvelables.

C’est la raison pour laquelle l’État a décidé en 2015, de libéraliser la production d’énergie renouvelable en lançant des appels d’offres internationaux en appliquant la règle du moins-disant. Qu’est cela veut dire ? Cela veut dire que c’est l’offre la moins chère de kW qui est retenue. À titre d’illustration, la concession de 200 MW de Tataouine prévoit le prix de 71, 783 millimes le kW, alors que la STEG produit le kW à 200 millimes. Qui va profiter de cette baisse de coût : le consommateur tunisien.

Les investissements internationaux peuvent-ils menacer la souveraineté nationale pour ce qui est de la production et de la commercialisation de l’électricité ?

Les accords contractés avec les investisseurs sont d’une durée de 20 ans seulement.  Par ailleurs, les investisseurs viennent du monde entier et sont pour nous une sources d’expertise, de devises et régulation des prix.  L’État tunisien ne permettrait aucune menace sur notre souveraineté, nous aussi en tant qu’opérateurs dans le secteur. Le premier qui va profiter de la baisse des prix de l’électricité est le citoyen qui profitera également de la réduction du coût énergétique pour l’économie et encouragera les investissements dans de nouvelles industries.

Les détracteurs qui s’opposent au développement d’un marché national pour les énergies renouvelables pensent que la STEG doit être actionnaire à hauteur de 50% dans les unités de production d’énergies renouvelables, au même titre que l’ETAP dans le pétrole. Pensez-vous cela possible ?

Supposons que cette idée soit bonne, la STEG en a-t-elle les moyens ? En fait, ces idées partent d’une méconnaissance du secteur des énergies renouvelables.  Un éclaircissement s’impose. En réalité, les approches sont tout à fait différentes parce que les secteurs sont trés différents. Dans le secteur des hydrocarbures, l’Etap devient associé avec les firmes pétrolières après achèvement des travaux d’études et confirmation de l’existence du gisement, ce qui n’est jamais sûr à 100%. C’est-à-dire que si la firme ne découvre rien, l’Etap ne lui donne pas un millime. Dans le secteur des énergies renouvelables, les investissements hautement technologiques coûtent très cher et exigent un minimum de 20 ans pour être amortis.

Rappelons-le : le modèle économique des énergies renouvelables est tourné vers l’intérêt du consommateur, pour obtenir le meilleur prix possible de l’énergie. 

C’est le cas du Maroc, grand producteur d’énergies renouvelables aujourd’hui alors que la Tunisie a été le premier pays africain à avoir mis en place des programmes pour leur développement ?

Le Maroc dispose d’une capacité installée en énergie renouvelable de 3.934 MW, ce qui représente une part en énergie renouvelable de 37% du mix électrique national.  Parlons de l’expérience marocaine.  Les centrales de Noor Ourzazate constituent un ensemble représentant l’un des plus grands parcs solaires au monde, avec une capacité de 580 MW en 4 centrales étalées sur une superficie de 3000 hectares.

La difficulté à laquelle a fait face le projet Noor est que ces trois premières centrales ont choisi la technologie CSP, technologie coûteuse par rapport au photovoltaïque qui a vu son prix chuter de 80% en moins de 10 ans.  Le CSP n’est plus justifié à l’avenir.

Par ailleurs, la politique marocaine de développement des énergies renouvelables a été très efficiente parce qu’elle n’a pas été entravée par les résistances que nous voyons aujourd’hui dans notre pays.

De même pour l’Égypte.  En partant du constat que les réserves de pétrole brut du pays pourraient être épuisé dans les 15 prochaines années, ce pays ambitionne de faire passer la part des énergies renouvelables dans la production totale de 20 % en 2022 à 42 % en 2035 dans le cadre de sa stratégie intégrée pour l’énergie durable (ISES) en faisant appel aux IP (Independant Power Producer).  L’Algérie, qui dispose pourtant de réserves importantes de gaz, a adopté le même modèle et lancé des appels d’offres à l’intention d’investisseurs internationaux pour une capacité de 1 000 MW.

La Tunisie, précurseur dans la réflexion sur les opportunités des énergies renouvelables, n’a atteint que de 3,7% de son programme.  Si ce n’est pas malheureux !

Pour les investisseurs qui voient aujourd’hui leurs projets bloqués au risque de leur survie, il faut beaucoup d’audace et de courage pour oser investir dans ce secteur, pourquoi le faites-vous ?

Tout d’abord parce que nous y croyons. Géographiquement, notre pays est le mieux positionné pour produire des énergies propres et a tous les atouts.  Oui vous avez raison, il faut du courage car les investissements réalisés sont amortis sur une vingtaine d’années.  Les investisseurs privés prennent le risque politique, de blocage de l’administration, de défaut de paiement, etc.

En contrepartie, la STEG doit réaliser un certain nombre d’investissements sur son réseau de transport d’électricité.  Le transport de l’électricité est facturé aux unités de production d’énergie renouvelable.  Ce prix a été calculé de manière à permettre l’amortissement des investissements réalisés par la STEG. Il ne s’agit pas de prix faible au dinar symbolique.  Malgré le prix élevé exigé par la STEG pour le transport de l’électricité, les blocages persistent. La question qui se pose est la suivante : les investisseurs dans les énergies renouvelables sont-ils les ennemis de la nation ? Ne portent-ils pas tous la nationalité tunisienne ? Pourquoi veut-on les faire passer pour des vampires menaçant la survie d’une entreprise nationale aussi importante pour eux que pour les autres ? Les équilibres financiers de la STEG sont-ils au beau fixe et cette institution de référence que nous aimons tous n’est-elle pas menacée de faillite ? Il faut arrêter de diaboliser tous ceux qui peuvent amener de la richesse et de la croissance au pays et nous entraider pour la survie des entreprises publiques les plus importantes du pays.

Parlons maintenant technique : est-il vrai qu’à chaque installation d’unité de production d’énergie renouvelable doit correspondre une unité de production d’énergie de capacité équivalente à base d’énergie fossile ?

Pour commencer, il y a lieu de dire que le sujet de l’intermittence d’une énergie renouvelable est classique.  Il désigne l’incapacité, par exemple, de l’éolien et du solaire à assurer une production constante d’électricité, puisque les productions cessent respectivement en l’absence de vent et la nuit.  Il n’y a donc rien de nouveau à cela.  Lorsque le Plan Solaire Tunisien a été établi en 2015, tout le monde connaissait bien le sujet. Le stockage de l’énergie constitue une solution pour pallier l’intermittence.

À défaut de stockage, le gestionnaire de réseau équilibre entre les capacités installées, notamment grâce à la répartition géographique des installations sur le territoire national.  On n’imagine pas par exemple pas que des milliers d’éoliennes s’arrêtent en même temps de tourner dans tout le pays. Voici pourquoi on parle de mix énergétique (solaire, éolien, biomasse) afin que la production d’électricité d’une zone du territoire et/ou d’une source d’énergie renouvelable compense un excès ou un déficit de production dans une autre zone, ou d’une autre source d’énergie renouvelable.

Est-ce qu’il faut prévoir une capacité équivalente des unités d’énergie renouvelable ?

La réponse est non.  Des études montrent que les sociétés qui gèrent les marchés de l’électricité considèrent que 30% des puissances installées dans les centrales éoliennes peuvent être considérées comme des puissances garanties. 

La STEG a toujours investi dans des capacités de réserves qui lui permettent de faire face à des besoins urgents. Les raccordements avec les pays voisins permettent à la STEG de faire appel à ces pays pour répondre à des besoins ponctuels. Cela permet à la STEG d’éviter des investissements dans des capacités de réserves.

L’énergie produite par les centrales d’énergie renouvelable est une énergie garantie. Le solaire produit l’électricité pendant le jour et la pointe, les tranches horaires pendant lesquelles le coût évité du combustible est le plus élevé. Cela est dû à l’entrée en production des turbines à gaz qui sont très énergivores comparés aux centrales à Cycles combinés. Les centrales éoliennes produisent près de 52% pendant les tranches jour et pointe.

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