Politique

Interview : Le projet de la constitution et l’Etat de droit par Mouna Kraiem

Interview : Le projet de la constitution et l’Etat de droit par Mouna Kraiem

1/ Appréciations relatives au projet de constitution présenté par le président de la République.

Mes appréciations ne diffèrent pas beaucoup de celles de la plupart de mes collègues. Il s’agit d’un projet d’une faible teneur juridique. Mises à part certaines contre-vérités historiques, la faiblesse du texte est confirmée déjà dans le préambule qui regorge d’expressions sans le moindre rapport avec le langage juridique et qui laissent transparaitre un sentiment de haine et un désir de revanche indiscutables.

2/ Peut-on qualifier cette constitution de révolutionnaire ?

Ce projet est tout sauf révolutionnaire. Il marque un retour à la constitution de 1959 dans sa version la moins démocratique, et ce, à travers une concentration des pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat qui devient pratiquement le chef de tous les pouvoirs, un net recul au niveau des libertés notamment à travers la suppression de toute référence au caractère civil de l’Etat et à leur limitation par ce qu’il appelle »la sécurité publique », une suppression des instances constitutionnelles, une mainmise sur les régions, et un affaiblissement du rôle du parlement dont l’existence dépend de la seule volonté du magistrat suprême. Ce projet rompt ainsi, radicalement avec l’appel incessant d’une frange importante du peuple tunisien à l’instauration d’un régime démocratique dans lequel les pouvoirs s’exercent de façon équilibrée et sont politiquement responsables.

3/ Ce projet garantit-il une meilleure transition démocratique et permet-il de pallier à l’échec de la transition démocratique ?

La transition est dite démocratique lorsqu’elle aboutit à la mise en place d’un régime démocratique et qu’elle permet une alternance pacifique au pouvoir. La constitution de 2014 a permis de mettre en place des institutions élues démocratiquement même si leur fonctionnement a été parfois chaotique et de garantir un large éventail de droit et de libertés. Elle a également permis une première alternance au pouvoir, et ce, en 2019.

Nous avons appelé depuis 2014 à la nécessité d’accélérer la mise en place de la Cour constitutionnelle et la révision de certaines dispositions ; notamment celles relatives à l’exercice du pouvoir politique et aux rapports entre l’exécutif et le législatif. Nous avons également appelé à l’instauration d’un système électoral qui permet de garantir une certaine stabilité gouvernementale en dégageant une majorité claire et surtout cohérente. Cela n’a pas été fait. Cependant, malgré les insuffisances du texte suprême de 2014, il est impossible de cautionner le hold up du pouvoir qui a eu lieu le 25 juillet 2021, qui s’est confirmé par le décret 117 du 22 septembre 2021 et qui s’est consolidé par le projet de constitution pour une nouvelle République conçu de façon unilatérale par un président dont le seul souci est de s’accaparer de tous les pouvoirs.

4/Quel régime avance ce projet et quel président aurons-nous ?

En un mot, il s’agit d’un régime présidentialiste, hégémonique, dans lequel le président de la République, irresponsable politiquement, est la clef de voûte de tout le système politique.

Le gouvernement est un simple assistant du président et il exécute la politique tracée par le président.

Le parlement ressemble plutôt à une chambre d’enregistrement.

Le conseil des régions et districts est un outil dont se servira le président pour mettre la main davantage sur les régions.

Aucune référence n’est faite à l’opposition ou à un quelconque contre-pouvoir.

5/ Ce projet présente-t-il des menaces pour les libertés ?

Bien évidemment et sans le moindre doute. Même si la quasi-totalité des libertés prévues par la constitution de 2014 ont été reprises dans le projet de constitution, il convient de signaler que leur exercice est pratiquement neutralisé par l’absence de toute référence au caractère civil de l’Etat et par la référence au sein du fameux article 5 aux enseignements de l’Islam que l’Etat se charge de diffuser. Par ailleurs, l’exercice des libertés est limité par l’exigence de la sécurité publique dont le contenu est déterminé par les autorités de l’Etat, lesquelles autorités sont totalement soumises au magistrat suprême.

6- Le mot de la fin :

Il s’agit d’un coup d’Etat fomenté par le président de la République dont les intentions hégémoniques ne cessent de se confirmer de jour en jour.

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