Société

La fabrique de l’ignorance 2/2

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La fin des années 1980 fut marquée par la montée de l’islamisme, montée qui, chez les lycéens et étudiants, est fréquemment mise en relation évidente avec la formation arabisée fortement teintée de rhétorique panarabe, voire d’idéologie islamiste sous-jacente, qu’ils reçoivent.

Le terrain fut ainsi préparé pour que les idéologies fascisantes déversent leur haine et embrigadent les jeunes collégiens et lycéens déjà arabisés.

La subversion par l’islamisation

Les discours d’adhésion ont pris un nouvel élan au début des années 2000 avec des dizaines de milliers de sites Internet consacrés à la propagande terroriste dont les dégâts se font sentir aujourd’hui avec des milliers de jeunes djihadistes tunisiens embrigadés dans les zones de conflits, ainsi qu’un nombre incalculable d’autres  gagnés à la cause djihadiste dans les prisons tunisiennes.

Feu Mohammed Mzali ex-premier ministre sous Bourguiba au centre, Rached Ghannouchi à gauche et Sayed Ferjeni à droite

L’arabisation et l’islamisme sous-jacent ont perverti l’école publique et l’ont transformée en un appareil idéologique qui a alimenté et alimente en permanence les partis islamistes, partis panarabes nassérien et baasistes qui constituent aujourd’hui l’épine dorsale du système politique.

Un enseignement islamiste parallèle pour tous les niveaux

En 2012, « l’enseignement zeitounien » a été ressuscité par un Imam autoproclamé ex-réparateur de vieilles télévisions dans sa boutique non loin de la Mosquée Zitouna, en vertu d’un simulacre d’accord signé avec le ministre islamiste de l’Enseignement supérieur et le ministre de l’Éducation de l’époque, en violation flagrante de l’unification du système éducatif du pays depuis les premières années de l’indépendance du pays.

Selon la même démarche, l’année 2012 a vu l’explosion du nombre des soit disant « écoles coraniques » qui enseignent aux enfants à côté du tourment de la tombe et des « techniques » du lavage des morts, l’idéologie islamiste passéiste et rétrograde.

Aucune tentative sérieuse de la part des autorités n’a vu le jour pour mettre fin à ces agissements, même après la révélation faite par des médias locaux en 2019 de l’existence d’une « école coranique », un vrai centre d’embrigadement, près de la ville de Regueb (à 300 km de la capitale).

45 enfants, âgés de dix à dix-huit ans furent séquestrés dans cette « école » et y reçoivent les « sciences » de la charia, un vrai lavage de cerveau takfiriste.

En mars 2021 à Chorbane, dans le gouvernorat de Mahdia, des instituteurs exhibant fièrement leurs vêtements afghans, séparent filles et garçons, font la prière pendant les cours, interdisent les supports pédagogiques en images et refusent de suivre les programmes officiels du ministère de l’Education nationale.

Jardin d’enfants « coranique » en Tunisie, les filles d’un côté les garçons de l’autre

La protestation de Abir Moussi durant le mois de mars 2021 devant le siège la branche tunisienne de l’Union internationale des savants musulmans, affiliée à la confrérie des frères musulmans, a fait polémique mais a surtout révélé l’existence dès 2012, d’un enseignement supérieur parallèle assurant sa nouvelle « session de formation charaïque» pour l’année universitaire 2020-2021 en Tunisie

Cet « enseignement » offre deux cursus: le premier est adressé aux « bacheliers nonobstant les disciplines ». On peut s’attendre donc et à titre d’exemple, de voir un bachelier en mathématiques ou en sciences expérimentales changer de vocation et devenir un ardent défenseur de la religion au lieu de devenir médecin ou ingénieur…

Le deuxième cursus est adressé à ceux qui ne sont pas titulaires d’un baccalauréat, c’est-à-dire à tous ceux qui ont abandonné l’enseignement primaire et secondaire et qui se comptent, hélas, par centaines de milliers. La branche tunisienne de l’union semble espérer sans doute que le nombre de ceux qui choisiront ce cursus sera important.

Quant à la « formation », elle est calquée sur le système LMD appliqué dans l’enseignement supérieur en Tunisie.

Les programmes enseignés, quant à eux, sont en lien direct avec l’idéologie de l’islam politique pur et dur à l’instar de certaines matières comme « la politique charaïque », « le statut personnel », « les héritages », « l’économie islamique » et « les objectifs de la charia », « le prosélytisme », «la rhétorique et arts de la communication ».

Siège la branche tunisienne de l’Union internationale des savants musulmans à Tunis

Le ministère de l’Enseignement supérieur a nié avoir accordé « une licence à l’Union internationale des savants musulmans pour mettre en place un établissement d’enseignement privé de « la charia » et n’avoir aucune relation « ni de près ni de loin avec cette union ».

La position du ministère montre qu’il s’agit bel et bien d’un « enseignement parallèle » qui échappe à sa tutelle et remplace un enseignement supérieur légal assuré normalement par l’Université Zitouna chargée de la formation des prédicateurs et des imams.

Les programmes scolaires n’ont pas été épargnés par l’islamisme galopant. Au fait, « Risalat Al-Ghofrane » de Maarri, emblème de l’esprit critique dans la littérature arabe classique et véritable comédie divine en langue arabe qui fut enseignée exclusivement en Tunisie et interdite dans le reste des pays arabes pour son contenu jugé blasphématoire, fut bannie des programmes après avoir été enseignée durant de longues décennies aux bacheliers tunisiens.

Rien n’est dû au hasard. Derrière l’anéantissement de l’école publique et l’instauration d’un enseignement obscurantiste parallèle, il y a un projet: fabriquer des ignorants « formés » à des tâches précises, des électeurs loyaux  à la solde de l’obscurantisme. In fine, une masse dépourvue de de tout esprit critique.

L’enseignement parallèle qui se substitue progressivement à l’enseignement public qu’on essaye de détruire définitivement, est la seule voie pour préparer un avenir sans éducation ni culture. Hélas, on en est là !

Le syndicalisme voyou

Syndicalisme, lobbysme, corporatisme, populisme, salafisme, ainsi qu’islamisme, clientélisme, affairisme, extrémisme et complotisme sont des maux qui ont surinfecté une Tunisie déjà partiellement malade et qui s’en débarrassera, nous a-t-on dit, après la chute du régime qui en était responsable.

Ces maux sont consubstantiels aux passe-droits, aux dérogations et autres particuliers avantages, générateurs de tensions sociales et de clivages. Ils consacrent désormais l’injustice sociale, sources de conflits sociétaux et enterrent définitivement l’Etat de droit. Une plaie suintante pour toute nation digne de ce nom.

Autrefois engagé dans la lutte pour les droits des travailleurs et la libération nationale ainsi qu’à la mise en place des institutions et des structures du nouvel Etat, le syndicalisme tunisien n’a plus la même vocation et s’est transformé progressivement en un front politique pur et dur et un des piliers du système politique en place depuis 2011.

Perverti par les calculs politiques, le syndicalisme devient improductif, voire même subversif.

Peu à peu, depuis 2011, la Tunisie souffre d’une nouvelle gangrène qui nécrose tout : le syndicalisme voyou. L’école publique n’a pas été épargnée et s’est écroulée sous le poids des revendications syndicales incessantes devenues la plaie béante du système : augmentation salariales injustifiées, recrutements mal-étudiés mais surtout partisans, grèves interminables, etc.

En contrepartie : des élèves non-qualifiés, des programmes inachevés pourtant allégés, 70 jours de travail effectif pour l’année scolaire en cours, 10 heures de travail par semaine au lieu de 25 dans l’enseignement secondaire…à tout cela s’ajoute de nouvelles revendications prétextant la COVID-19.

Récemment et parmi les innombrables revendications, les syndicats de l’enseignement ont posé comme condition de la levée de la suspension des cours, la vaccination urgente de tout le corps enseignant contre la COVID-19 avant toute reprise des cours, trois semaines avant les vacances.

Mécontents surtout de la suspension prolongée des cours et voyant leurs enfants délaissés par les enseignants, ce sont les responsables du syndicat de la santé publique et pas les autorités de tutelle, qui ont refusé cette demande et qui l’ont acceptée quelques jours après suite à des négociations bilatérales entre les deux syndicats, corporatisme oblige !

Bref…

Le constat est sans appel : l’école publique est devenue une fabrique qui produit des bataillons de non-qualifiés, de désespérés, de décrocheurs, de chômeurs et de candidats à la criminalité et à l’immigration clandestine.

L’école publique que connaissaient des générations de tunisiens agonise. Cette école qui donnait autrefois la chance aux enfants du peuple d’évoluer et de gravir des échelons dans la société n’est plus. Elle consacre aujourd’hui plus que jamais les disparités sociales, régionales et idéologiques.

Le régime au pouvoir depuis 2011 a achevé la destruction de l’école publique. Vue l’ampleur du désastre et avec une école qui n’éduque plus, qui forme peu ou mal, infestée d’idéologies fascisantes et rétrogrades, il n’est pas difficile de prévoir de quoi l’avenir du pays sera fait.

La reconstruction du système éducatif ne pourra point être ni conçue ni envisagée avec l’incompétence qui règne depuis une décennie.

 

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Publié par
Mohamed Ben Abderrazek