Ils repartiront de Kazan (Russie) comme ils sont venus, avec rien ; ils repartiront les mains vides parce qu’ils n’étaient pas venus pour avancer concrètement sur des dossiers. L’issue du 16e sommet des BRICS était écrite, comme tous les précédents sommets, comme du reste toutes les grandes rencontres internationales. Le résultat était connu d’avance parce que les objectifs sont flous et les intérêts divergents. La seule chose qui met d’accord ces grands dirigeants c’est leur conviction profonde qu’il faille créer un autre ordre mondial qui leur donne les coudées franches. Ce qu’ils veulent c’est commercer et échanger avec tout le monde, sans le diktat de l’Occident – comprenez les USA -, du FMI et tout le toutim. C’est tout, pas question de s’embarquer dans cette rupture totale avec les Occidentaux prônée par la Russie, parce que l’Occident l’a mise au ban quand elle s’est mise en tête d’avaler son voisin, l’Ukraine.
Un immense marché de dupes
La preuve que personne ne suivra le président Vladimir Poutine dans sa croisade anti-occidentale : au même moment où ses invités faisaient mine de se forger un destin autre que les sentiers occidentaux ils ont envoyé leurs ministres des Finances aux Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, à Washington. Donc l’indignation a ses limites, on ne badine pas avec les intérêts supérieurs de la nation, surtout que beaucoup de ces dirigeants sont à la tête de pays sinistrés économiquement.
Qu’est-ce que le maître du Kremlin tirera de cette grand-messe ? Concrètement rien ou pas grand-chose, sauf le fait de montrer au monde qu’il n’est pas isolé après que la communauté internationale l’a ostracisé pour avoir envahi un pays souverain (Moscou a lui-même reconnu l’indépendance de l’Ukraine lors des Accords de Budapest, en 1994). Ce que Poutine voulait – il veut beaucoup plus – c’est montrer qu’il n’est pas le paria qu’il a décidé d’être en provoquant une guerre. L’histoire retiendra que le secrétaire général de l’ONU l’a cautionnée en venant à Kazan.
Etrange paradoxe : Tout en déniant à la communauté internationale le droit de dire qui sont les bons et qui sont les méchants, le président russe continue de sonder le miroir du droit international. Il fallait voir sa démonstration alambiquée, diffusée par toutes les télévisions du monde, sur le traité qu’il veut sceller avec le Brésil pour se soustraire au mandat d’arrêt de la CPI afin d’assister au prochain sommet du G20, en novembre 2024…
Poutine a raté toutes les grandes rencontres internationales depuis que ce mandat l’a frappé, il n’a même pas eu le cran de se rendre chez ses amis – à part la Mongolie dernièrement – par crainte d’être arrêté. C’est bien la preuve que le droit pénal international ça signifie encore quelque chose, quoi que vante la grandiloquence du Kremlin. En fait la seule façon pour Poutine d’avoir tout ce monde autour de lui c’est d’organiser lui-même son sommet, chez lui.
Pour le maître du Kremlin les portes de l’étranger resteront fermées, à part les Républiques peu regardantes sur les droits humains et les idéaux démocratiques, et ma foi des tyrannies il y en a, hélas de plus en plus. D’ailleurs la seule chose qui fédère les invités de Poutine c’est leur mépris pour les lumières que nous a apportées la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Pour le reste tous ces pays, aussi anti-occidentaux véhéments soient-ils, ont des intérêts divergents.
Tous les chemins passent par l’Occident…
Commençons par la Russie. Complètement rincé – économiquement, financièrement et militairement – par sa guerre et la pluie de sanctions Moscou bataille pour contourner la chape de plomb en créant une monnaie commune au club des BRICS. La Russie, en plus de ses quelque 280 milliards de dollars confisqués par les banques occidentales, souffre terriblement depuis qu’on l’a débranchée du système SWIFT. Le dossier de la monnaie des BRICS sera certainement plaidé au sommet de Kazan, en vain.
Poutine n’avancera pas d’un iota parce que le maître des lieux, la Chine, pour le moment trouve son compte dans sa monnaie, le Yuan, dont elle se sert au besoin, et pour le reste il y a le Dollar et l’Euro. C’est la Russie qui a un problème avec sa monnaie, le Rouble, dans les bas fonds depuis février 2022, pas Pékin. Ce dernier ne se lancera pas dans l’aventure d’une monnaie si elle n’est pas certaine des gains, surtout qu’un tel projet accentuerait le conflit avec Washington.
Le Brésil, englué dans ses problèmes sociaux et sociétaux chroniques (petite et grande délinquance, narcotrafic, explosion des crimes de sang, etc.), n’a aucun intérêt à suivre Poutine dans ses lubies. Le président Lula da Silva a aussi besoin de l’Occident, d’ailleurs il a réservé au président américain Joe Biden son 2e voyage officiel. Donc il ne faudra pas compter sur Lula pour couper les ponts avec les Occidentaux, d’ailleurs il n’est même pas venu à Kazan (à cause d’un petit accident domestique, dans sa salle de bain dit-on).
Idem pour l’Inde. Le pays a beau être la 5e puissance économique mondiale, il a des montagnes de problèmes à affronter : inégalités sociales, pauvreté endémique, disparités régionales, mauvaise répartition des richesses, sous-développement de pans entiers de cet immense territoire (le plus peuplé du monde), etc. Et pour vaincre ces démons le Premier ministre Narendra Modi a besoin de tout le monde, l’Occident en premier. Quand il s’achète des avions de combat c’est à la France que New Delhi s’adresse, pas à Moscou.
La Chine est une vraie puissance, indéniablement, la seule dans le club des BRICS. Mais aussi costaude soit-elle, la 2e puissance économique et militaire de la planète a plus que jamais besoin du juteux marché américain mais surtout européen. Que deviendrait la gigantesque machine de production de Xi Jinping sans ses débouchés en Europe et aux USA ? Pékin ne peut pas s’amuser à jouer avec des dizaines de millions d’emplois, au risque d’essuyer un giga-soulèvement populaire qui terrifie les dirigeants depuis des décennies.
L’Afrique du Sud a les mêmes contraintes, en pire. Le pays de Nelson Mandela végète dans des inégalités sociales et une paupérisation des Noirs (près de 80% de la population) que la fin de l’apartheid n’a pas solutionnées. Depuis 1991 rien n’a bougé, même si la nation arc-en-ciel peut se targuer d’être la première économie d’Afrique. Ce statut n’a rien réglé : les coupures d’électricité et d’eau sévissent, la corruption est partout, jusqu’au sommet de l’Etat ; la violence et les crimes de sang règnent en maître et les horizons politiques pourraient alourdir le bilan.
C’est cela le club des BRICS : le bal des éclopés, un attelage de pays mal fagotés (et encore on n’a pas scanné les nouveaux venus et les candidats, une trentaine dit-on), un bric-à-brac dont le seul grand bénéficiaire est la Chine. Ce dont Pékin a besoin c’est un méga marché où il déverse sa surproduction, dans la droite ligne de l’ambitieux programme des “Nouvelles routes de la soie”, c’est ce boulevard que lui dégage son vassal Poutine.
L’Argentine, l’Algérie et le prince hériter saoudien ont eu raison de bouder
Enfin petite pensée pour ceux qui ne sont pas venus à Kazan, ceux qui ont boudé : l’Argentine et l’Algérie. L’un des premiers actes du nouveau président argentin Xavier Milei c’est de sabrer son adhésion aux BRICS, obtenue par son prédécesseur. Buenos Aires a décidé de maintenir le cap occidental, tout en ne s’interdisant pas des alliances aux quatre coins du monde…
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a pris la même décision, après avoir porté personnellement le projet d’intégration dans les BRICS. Alger a très mal pris le fait que la Chine – avec qui pourtant il a d’excellentes relations – et ses alliés traînent les pieds pour le faire entrer dans le club. L’Algérie a bien raison d’être vexée, qu’est-ce que ses performances économiques ont à envier aux nouveaux membres ?
On connait les déboires de l’Egypte, une crise protéiforme dont le Caire ne voit pas le bout ; on connait les problèmes de l’Iran, en prise avec des conflits cycliques et des fragilités internes dont personne ne connait l’issue ; on connait les difficultés structurelles et conjoncturelles de l’Ethiopie. Alger a raison de voir rouge, lui qui a des perspectives économiques et financières que ces pays n’ont pas…
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