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“La meilleure Constitution du monde” sera enterrée par “la meilleure Constitution du monde”, et après?

“La meilleure Constitution du monde” sera enterrée par “la meilleure Constitution du monde”, et après?

La plupart des citoyens du monde n’ont pas leurs Constitutions en bandoulière et ils le vivent très bien. Mais en Tunisie tout tourne autour de ça, surtout en ce moment, comme s’il suffisait d’avoir “la meilleure Constitution du monde” pour que tous les problèmes soient réglés, pour que comme par enchantement les gens soient transfigurés et deviennent “subito” de parfaits modèles de vertus citoyennes, amoureux de la patrie, du travail bien fait et autres joyeusetés. En ce moment ce sont les débats sur la place de l’islam qui mangent tout l’espace médiatico-politique, presque comme en 2011. Comme si ça allait impacter ce que les Tunisiens ont dans leurs têtes, dans leurs coeurs – leur foi ou pas d’ailleurs. Bon, cette fois au moins on a la preuve qu’il est possible de plier le travail en quelques jours, nous évitant le cirque dans lequel nous avaient entraîné les islamistes. Pour le reste les problème restent entiers.

Ils sont allés très loin, trop loin

S’il suffisait de décréter, d’écrire pour que les réalisations suivent on vivrait dans le meilleur des mondes. D’ici on a l’impression que le chef de l’Etat, Kais Saied, veut faire le bonheur des Tunisiens, de tous les Tunisiens. C’est aussi manifestement ce que veut l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), mais à sa manière évidemment. C’est ce qui explique que le camp présidentiel ait mis le paquet sur le social et l’économique dans sa Constitution, avec parfois des détails et des développements superflus qui prennent des allures de programme économique que devrait décliner un gouvernement et pas un texte fondamental. En voulant bien faire la Commission consultative pour la nouvelle République en a peut-être trop fait, mais il y a d’autres hics…

On en prendra que quelques uns, en attendant que la première mouture soit remaniée : L’interdiction formelle de contracter des prêts pour payer les salaires du public. Il est évident que la démarche est louable et salutaire pour un pays qui a usé et abusé des emprunts pour les orienter vers le trou abyssal des dépenses de fonctionnement – essentiellement les salaires. Mais c’est le genre d’engagement public qu’il est impossible de graver sur le marbre, pour la simple et bonne raison que personne n’est capable de prédire la trajectoire de la conjoncture sociopolitique et économique locale, et encore moins à l’international. Rien ne nous garantit que la Tunisie sera en mesure de tenir cette promesse faite par Sadok Belaïd et compagnie. Ça plaira peut-être aux bailleurs du pays – principalement le FMI – mais ça s’arrête là.

Tous les chemins mèneront au palais de Carthage

L’autre proposition qui a attiré notre attention c’est le fait de déterrer la Chambre des Conseillers, pour mâcher le travail du Parlement et, disons-le carrément, le noyer puisque les parlementaires traiteront les dossiers déjà usinés par les conseillers. Ici la manoeuvre présidentielle est limpide : Puisque Kais saied n’est pas concerné par les législatives – au jour d’aujourd’hui il n’a pas de parti politique attitré – donc il ne contrôlera pas le Parlement et sera incapable constitutionnellement de peser au quotidien dans toutes ses décisions. En réinstaurant la Chambre des Conseillers il coupe l’herbe sous le pied des députés en ne leur laissant comme espace de jeu que les sujets qu’il aura pris soin de valider personnellement.

La manoeuvre ne surprend guère, elle entre dans la droite ligne de ce que Saied avait promis à ses électeurs lors de la campagne électorale de 2019 et qu’il a développé depuis : Un régime présidentiel dans sa forme la plus traditionnelle, avec des assurances sur les libertés dictées par les libertés que les Tunisiens ont eux-mêmes arrachées en 2010-2011. La chose est actée en Tunisie, cautionnée par une majorité des citoyens, les autres s’en désintéressent leurs préoccupations étant ailleurs. Le virage sera d’autant plus facile pour Saied que ses opposants ont décidé de déserter le champ de bataille en boycottant le référendum. Les partenaires étrangers ont aussi pris acte, semble-t-il, car aucun rapport ou commentaire officiel n’est venu dernièrement troubler le sommeil du président tunisien…

Mais le régime présidentiel a aussi un corollaire : Des responsabilités accrues signifient automatiquement un jugement plus sévère, puisqu’on est comptable de tout ou presque. Kais Saied voulait tous les pouvoirs il les aura ; il aura tous les lauriers qui vont avec s’il est au rendez-vous dans la montagne d’engagements qu’il a pris. Mais s’il se loupe il n’aura aucune circonstance atténuante…

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