Economie

La nouvelle notation de Fitch révèle le climat d’incertitude en Tunisie

La nouvelle notation de Fitch révèle le climat d’incertitude en Tunisie

Le bureau de Hong Kong de la maison de notation « Fitch Ratings » vient de publier aujourd’hui vendredi 18 mars 2022, une note d’analyse qui a abaissé la note souveraine de la Tunisie.

Fitch Ratings a abaissé la note de défaut – émetteurs des devises à long terme – (IDR) de la Tunisie de « B- » à « CCC » tout en déclarant qu’elle n’attribue généralement pas d’Outlook (perspectives) pour une notation au cran « CCC » ou d’une position inferieure.

Nous présentons ci-dessous un récapitulatif argumentant la nouvelle notation de la Tunisie. La nouvelle notation de Fitch Ratings annonce clairement une grande débâcle économique et financière.

  • Principaux facteurs de notation

Risque de liquidité accru : La rétrogradation à « CCC » reflète des risques de liquidité budgétaire et externe accrus et ce dans un contexte marqué par le retard dans l’accord sur un nouveau programme avec le FMI après les changements politiques de juillet 2021.

L’accord est nécessaire pour accéder à la plupart des bailleurs de fonds pour soutenir le déficit budgétaire. Les troubles sociaux structurels et les conflits permanents avec les syndicats limitent la capacité du gouvernement à adopter des mesures d’assainissement budgétaire fortes, ce qui complique les efforts visant à réaliser le programme du FMI.

Déficits budgétaires importants : Il est prévu que le déficit budgétaire reste élevé à 8,5% du PIB en 2022, contre 7,8% en 2021 sachant que la médiane de la catégorie de notation « B » est à 4,6%. Il est attendu aussi que les recettes de l’Etat se redresseront en 2022 avec la reprise de l’économie, mais ceci sera largement limité par l’augmentation des coûts des subventions notamment du carburant et des céréales et par une charge d’intérêts sur la dette publique de plus en plus croissante. Les salaires et les intérêts sur la dette absorberont près de 70% des recettes de l’Etat et continueront à limiter considérablement la flexibilité budgétaire malgré un gel des recrutements.

Dettes nécessaires au financement extérieur : Les besoins de financement du gouvernement sont élevés en raison de l’important déficit budgétaire et les échéances de la dette publique qui s’établiront à 9,2% du PIB en 2022 et 8,9% en 2023. Un accord avec le FMI reste essentiel pour la mobilisation du financement extérieur, car la Tunisie a perdu l’accès aux marchés internationaux. 

Accord avec le FMI : Le budget 2022 suppose qu’un programme avec le FMI sera mis en place d’ici le début du deuxième semestre de l’année en cours et que la Tunisie recevra environ 4 milliards de dollars de financement extérieur. Le scénario de base de la notation prévoit l’aboutissement d’un accord sur un programme financier avec le FMI au 2ème semestre de 2022, avec des décaissements progressifs à condition d’adopter certaines réformes. Cela entraînerait probablement des retards supplémentaires dans les décaissements des fonds des bailleurs de fonds par rapport au calendrier budgétaire avec des risques d’exécution. Fitch s’attend à ce que la Tunisie continue de compenser le faible financement extérieur net en empruntant massivement auprès de sources intérieures.

Risques pour le programme du FMI : Malgré les progrès réalisés pour combler la différence entre les positions du gouvernement et les syndicats sur le programme de réforme, il existe une forte opposition sociale aux réformes parallèlement à l’impact de l’organisation d’événements politiques controversés, tels que le référendum constitutionnel prévu pour juillet 2022 et les élections législatives (décembre 2022). Cela signifie qu’un accord pourrait ne pas être atteint et que le gouvernement pourrait avoir du mal à mettre en œuvre les réformes convenues et requises pour les décaissements prévus du FMI. La crédibilité de la Tunisie dans le cadre des deux accords précédents avec le FMI a été médiocre et les revues du dernier programme ont constamment subi de longs retards qui se sont soldées par une résiliation anticipée pour non-conformité à l’accord initial.

Restructuration de la dette non exclue : En 2021, le FMI a estimé que la dette de la Tunisie « deviendrait insoutenable à moins qu’un programme de réforme solide et crédible ne soit adopté avec un large consensus ». Dans un scénario sans réforme, la Tunisie pourrait finalement être considérée comme nécessitant un traitement du Club de Paris avant d’être éligible à un financement supplémentaire du FMI, avec des implications négatives pour les bailleurs de fonds privés.

Défis de politique monétaire : La dépendance croissante de la Tunisie à l’égard du financement intérieur et les prix mondiaux élevés des produits de base ont entraîné une hausse de l’inflation, qui devrait atteindre en moyenne environ 8 % en 2022, une partie de la hausse des prix étant absorbée par les subventions gouvernementales. 

En même temps, Fitch prévoit une pression accrue sur les réserves extérieures avec la hausse des coûts d’importation et des emprunts extérieurs limités. Cependant, la banque centrale pourrait se montrer réticente à relever les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation et contenir les fuites des capitaux étant donné la reprise économique modeste et l’impact négatif qu’elle aurait sur les coûts de financement de l’État. En l’absence d’accord avec le FMI, une érosion progressive des réserves est attendue (9,9 milliards de dollars fin 2021) et ce, parallèlement à une dépréciation du dinar.

Reprise économique modeste : Le PIB de la Tunisie a augmenté de 3,1% en 2021 après une contraction de 8,7% en 2020. La reprise timide est expliquée par l’absence de reprise du secteur touristique, le niveau élevé d’incertitude politique et économique, qui a bloqué l’investissement et la faible reprise de la consommation privée. La croissance du PIB restera inférieure à 2,5 % à moyen terme, car le tourisme ne se redresse que progressivement, la politique budgétaire du gouvernement devient plus restrictive et les coûts des intrants augmentent.

Gouvernance : La Tunisie a un score de pertinence au niveau « 5 » tant pour la stabilité politique et le respect des droits que pour l’Etat de droit, la qualité institutionnelle et réglementaire et la lutte contre la corruption. La Tunisie a un classement au 46e centile, reflétant une faible stabilité politique, un état de droit et des droits de participation au processus politique établis mais affaiblis avec une capacité institutionnelle moyenne avec un niveau de corruption remarquable.

  • Sensibilités de notation

Facteurs qui pourraient conduire à un abaissement de la notation :

– Multiplication des indicateurs qui soulignent qu’un défaut de paiement est probable, par exemple en raison de nouveaux retards dans l’accord sur un nouveau programme avec le FMI ou à la suite de retards accusés dans la mise en œuvre des réformes.

Facteurs qui pourraient conduire à une amélioration de la notation :

– Confiance accrue dans la capacité de la Tunisie à obtenir un apport constant de soutien suffisant des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, probablement à la suite de réformes qui tiennent à la réduction du déficit budgétaire.

  • Modèle de notation souveraine (SRM) et superposition qualitative (QO)

Le SRM de Fitch attribue à la Tunisie un score équivalent à une note de « B+ » sur l’échelle IDR à long terme en devises étrangères (LT-FC).

Conformément à ses critères de notation, le comité de notation souveraine de Fitch n’a pas utilisé le SRM et le QO pour expliquer les notations dans le cas de la Tunisie. Les notations « CCC+ » et inférieures sont plutôt orientées par les définitions de notation.

Le SRM de Fitch est le modèle propre de notation de régression multiple de l’agence qui utilise des variables basées sur des moyennes centrées sur trois ans, dont un an de prévisions, pour produire un score équivalent. Le QO de Fitch est un cadre qualitatif prospectif conçu pour permettre un ajustement de la sortie du SRM afin d’attribuer la note finale, reflétant les facteurs des critères qui ne sont pas entièrement quantifiables et/ou qui ne sont pas entièrement reflétés dans le SRM.

  • Considérations liées à la gouvernance

La Tunisie a un score de pertinence du niveau «5 » pour la stabilité politique et le respect des droits et ce, en se référant aux indicateurs de gouvernance qui sont pris en considération par la Banque mondiale et qui ont le poids le plus élevé dans le SRM de Fitch et qui sont donc très pertinents pour la notation et un facteur clé de celle-ci. 

Les troubles sociaux dans le contexte de tensions financières couplées à la récente prise de pouvoir par le président freinent les réformes et impactent l’économie. Comme la Tunisie a un rang centile inférieur à 50 pour l’indicateur de gouvernance, ceci a un impact négatif sur le profil de crédit.

La Tunisie a un score de pertinence de niveau « 4+ » pour les droits de l’homme et les libertés politiques. Ceci a un impact positif sur le profil de crédit.

La Tunisie a un score de pertinence de « 4+ » pour les droits des créanciers. La volonté de rembourser la dette est pertinente pour la notation et est un moteur de notation pour la Tunisie, comme pour tous les pays du monde. Comme la Tunisie a des antécédents de plus de 20 ans sans restructuration de la dette publique et qui sont pris en considération dans les variables SRM, ceci a un impact positif sur le profil de crédit.

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