Au cœur du débat économique tunisien, l’économiste péruvien Hernando de Soto apporte un éclairage novateur qui bouscule les perspectives conventionnelles.
Son analyse, parue il y quelques années mais encore d’actualité, dans une étude de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA) et l’Institut pour la Liberté et la Démocratie (ILD), dévoile un paradoxe saisissant : une économie parallèle massive qui, tout en freinant le développement officiel du pays, recèle un potentiel de croissance extraordinaire estimé à 115 milliards de dollars.
Cette étude remet en question les approches conventionnelles du développement économique et propose une lecture inédite des dynamiques socio-économiques tunisiennes.
Un système économique en quête de modernisation
L’analyse de De Soto dresse un portrait sans concession de l’économie tunisienne actuelle. Avec plus de 524 000 entreprises opérant dans l’ombre, soit approximativement 85% du tissu entrepreneurial, le pays reste ancré dans ce que l’économiste qualifie de système « pré-marché ».
Cette situation engendre une double problématique : d’une part, l’État se trouve privé de ressources fiscales substantielles, compromettant sa capacité d’action et d’investissement. D’autre part, les entrepreneurs, contraints d’évoluer dans un environnement hostile, se voient refuser l’accès aux outils fondamentaux de développement économique tels que le crédit bancaire, les assurances, ou la protection juridique.
Cette configuration maintient l’économie dans un cercle vicieux où l’informalité devient paradoxalement un refuge face à la complexité administrative et à l’inadaptation des structures légales.
Le potentiel inexploité de l’économie informelle
La perspicacité de l’analyse de De Soto réside dans sa capacité à identifier le potentiel caché de l’économie parallèle tunisienne. Loin des approches traditionnelles qui ne voient dans l’informel qu’une source de précarité, l’économiste péruvien y décèle un gisement de richesses considérable.
Ce « capital mort », évalué à 115 milliards de dollars, représente l’ensemble des actifs, compétences et réseaux développés par les entrepreneurs informels, mais qui demeurent sous-exploités faute de reconnaissance légale. Cette vision novatrice suggère que la transformation de ce capital dormant en ressources productives pourrait catalyser un développement économique sans précédent.
Les actifs extralégaux en Tunisie se présentent d’après l’analyse de l’étude de l’UTICA et l’ILD comme suit :
1) 524.000 entreprises sur un total de 616.000 sont extralégales (85%).
2) Les actifs de ces 524.000 entreprises extralégales équivalent à un montant de 22 milliards de $US (34 milliards de dinars tunisiens).
3) Les biens immobiliers extralégaux (logements, immeubles commerciaux) représentent une valeur de 93 milliards de $US (146 milliards de dinars tunisiens).
4) Le total des actifs commerciaux et immobiliers extralégaux atteint 115 milliards de $US (180 milliards de dinars tunisiens), ce qui équivaut à 4 fois les investissements directs étrangers en Tunisie depuis 1976 (25,9 milliards de $US).
Les racines historiques d’une économie duale
L’approche historique adoptée par De Soto permet de comprendre les fondements de cette économie parallèle. L’héritage colonial, suivi par des décennies de centralisation excessive et d’inefficacité institutionnelle, a créé un fossé entre l’économie officielle et les pratiques économiques populaires.
L’immolation de Bouazizi, déclencheur des évènements de 2011, illustre de manière tragique les conséquences de cette exclusion économique systémique. Cet événement symbolise la frustration accumulée des micro-entrepreneurs face à un système qui leur refuse la dignité de la reconnaissance légale.
Une stratégie de transformation économique
La force des propositions de De Soto réside dans leur caractère pragmatique et leur potentiel transformateur. L’économiste préconise une refonte complète du cadre juridique et administratif, centrée sur trois axes principaux.
Premièrement, la simplification drastique des procédures d’enregistrement des entreprises pour faciliter l’accès à la légalité. Deuxièmement, la modernisation du système de propriété pour permettre la transformation des actifs informels en capital productif. Troisièmement, l’adaptation des réglementations aux réalités socio-économiques locales pour créer un environnement propice à l’entrepreneuriat formel.
Cette approche d’Hernando de Soto, qui propose de transformer les obstacles actuels en opportunités de croissance, pourrait constituer la clé d’une renaissance économique durable. En reconnaissant et en valorisant le potentiel inexploité de son économie informelle, la Tunisie pourrait non seulement stimuler sa croissance économique mais aussi construire un modèle de développement plus inclusif et équitable.
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