Economie

Les explications ébouriffantes de Saied ne passent pas, pas pour la chaîne française M6

Les explications ébouriffantes de Saied ne passent pas, pas pour la chaîne française M6

La réaction du chef de l’Etat, Kais Saied, après la débâcle du second tour des législatives ne faisait l’objet d’aucun doute. On savait qu’il allait intervenir plus tard, à sa manière, de manière iconoclaste. On savait aussi qu’il allait noyer ce sujet dans un flot de thématiques que lui seul juge essentielles, face à ses ministres, sans accorder à ces élections la place qu’elles méritent, par exemple en direct au journal de 20h. Mais on était loin de se douter que le président de la République allait répliquer de la sorte chez Najla Bouden le 30 janvier dans la soirée.

Il a fait fort, très fort, trop fort

«Le taux de participation doit être décrypté sous un autre angle. 90% des électeurs ne se sont pas déplacés parce que le Parlement ne signifie plus rien pour eux. Il faut analyser le taux d’abstention et tenter de comprendre pourquoi les Tunisiens ont refusé de prendre par aux élections en dépit du changement du mode du scrutin. C’est parce que durant les dix dernières années, les Tunisiens ont fait l’expérience d’un Parlement qui s’est mué en une institution qui sape les fondements de l’État. Cette abstention est donc le résultat naturel de tout cela», a asséné Saied devant la cheffe du gouvernement.

Il a argué au premier tour que son maigre score est préférable aux “exploits” des autres, et maintenant ça. Bon, ce qu’il dit est vrai, incontestablement, mais tout le monde aura remarqué qu’il enjambe sa responsabilité dans cette affaire. Le président de la République a omis de dire que le seul fait d’avoir fermé hermétiquement l’Assemblée nationale depuis le 25 juillet 2021 l’a fait disparaître des radars des citoyens. Ils ont tout simplement oublié qu’ils avaient un Parlement, c’est devenu le cadet des flots de soucis du quotidien.

Saied a oublié de préciser que lui-même n’a jamais voulu de cette Assemblée et des représentants des Tunisiens, de cette classe politique honnie et détestée par les citoyens après des années de démolition méthodique de l’idéal démocratique. Et de ce point de vue le président est cohérent, au moins, puisqu’il ne cache pas depuis sa campagne électorale de 2019 qu’il abhorre les politiques, tous les politiciens. Le hic c’est qu’en tuant symboliquement leur paradis – le Parlement – il a aussi occis les élections législatives qui vont avec.

Le chef de l’Etat s’est gardé de nous dire que sa trouvaille – une vie politique sans partis politiques – a montré par deux fois ses limites. Il a oublié d’avouer que nulle part dans le monde on a vu un système politique qui tient sans les formations politiques qui l’animent A part peut-être la Chine, avec les spécificités que l’on sait – Parti unique – ou dans les pires endroits de la planète où il n’y a pas une once de pulsation démocratique.

Le président de la République peut se vautrer, pour le moment, dans le déni politique qu’il veut de toute façon il n’y aura pas beaucoup de débat, pas pour l’instant, pas avec cette classe politique frappée de discrédit et qui n’a pas grand-chose à opposer à Saied. Mais il ne pourra pas mettre sous le tapis l’âpreté de la réalité économique et financière, des tourments qui pourrissent le quotidien des électeurs et qui font qu’ils ne trouvent aucun intérêt à dilapider le peu d’énergie qui leur reste dans un vote qui de toute façon ne changera rien, puisque de fait le président a concentré tous les pouvoirs entre ses mains.

Les faits sont têtus, n’en déplaise aux professionnels de l’anathème

Enfin, tout de même, nous n’avons pas rêvé ! La note souveraine de la Tunisie a bien été dégradée par Moody’s et il ne reste qu’un petit cran pour toucher les bas fonds. Il y a bien des explications à cette funeste affaire et elles ont été données, en partie, par le rapport de l’agence de notation. Et ce sont les mêmes explications derrière le boycott massif des électeurs, sans précédent dans les annales de l’Histoire des démocraties. Quand est-ce que le président se décidera à en parler avec l’honnêteté intellectuelle requise ?

La chaîne française M6 a mis les pieds dans le plat. Elle a promené ses caméras et micros en Tunisie pour cerner les motifs derrière l’abstention massive durant les deux tours des législatives. Le reportage est arrivé aux mêmes constats que nous tous : les pépins du quotidien, entre pénuries, rationnements et inflation, laissent très peu de place à autre chose, fût-ce les premières élections à la sauce Saied censées impulser la Troisième République…

Par les manifestations et l’abstention record, le peuple tunisien envoie un message clair contre le président Saied et ses dérives autocratiques“. C’est en ces termes que le reportage de M6 termine son reportage. Je vois d’ici les aficionados du chef de l’Etat qui éructent, montent sur leurs grands chevaux et jettent des anathèmes. Ils peuvent y aller copieusement, ça ne changera rien à la réalité, aux faits et surtout ça n’empêchera aucun média, tunisien ou étranger, d’exercer son devoir d’analyse.

Personne n’en parle pour le moment mais dès 2024 Saied aura rendez-vous avec les électeurs. Il faudra moins de vociférations, moins de diatribes et d’emportements contre ses ennemis imaginaires ou réels et plus de résultats tangibles sur ce qui préoccupe vraiment les Tunisiens. Ce sera la clé de ces élections. Il y a tant de virages à négocier avec les urgences des citoyens, avec le FMI, les agences de notation, les partenaires de la Tunisie, etc., que le président n’a d’autre choix que de remettre le pays au travail, de cesser de s’encombrer avec des vues de l’esprit.

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