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Ma vie: Chauffeur de taxi locataire, père de famille de Gabès

Ma vie: Chauffeur de taxi locataire, père de famille de Gabès

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

Le mari, Azer âgé de 40 ans, chauffeur de taxi locataire ou ‘‘Taxiste’’.

La femme, Sana, âgée de 38 ans, femme au foyer.

Le couple possède une petite maison en pleine campagne du gouvernorat de Gabès.  Les travaux d’aménagement de la maison ne sont pas totalement finis. Les murs sont encore en ciment, sans peinture, ni carrelage.

Sana se confie à nous : « On se connaît Azer et moi depuis tous jeunes. On s’est toujours connus, je pense. Nos parents étaient voisins. On était amis et notre relation s’est transformée en amour ».

Sana continue : « On s’est finalement marié en 2012 dans la pure tradition du Sud. C’était un beau mariage et assez économique comparé aux mariages modernes des jeunes d’aujourd’hui. Nous nous sommes installés, les premières années, dans une maison de location à 200 dinars par mois ».

Profession : Chauffeur de taxi locataire

Azer prend la parole et nous dit : « J’ai travaillé depuis tout jeune. J’ai fait tous les boulots ou presque –  كنت سبعة صنايع والبخت ضايع . J’ai fait de la maçonnerie, de l’agriculture, du commerce… Je change dès qu’il y a une opportunité de gagner de l’argent et surtout par obligation vu le contexte économique difficile ».

Azer nous apprend qu’il touchait à ses débuts un salaire journalier entre 15 et 20 dinars. Il dit à ce sujet : « Je n’ai pas assez de diplômes pour prétendre à plus d’argent. Vu le contexte, je m’estimais chanceux de trouver encore du travail ».  

Azer nous parle de son métier actuel : « Je suis chauffeur de taxi depuis 8 ans. Je sillonne en voiture le centre-ville de Gabès. Je passe la journée à écouter les histoires de mes clients. Malgré leurs profils différents, je constate qu’ils partagent tous la même inquiétude : la vie en Tunisie est devenue difficile, l’avenir du pays est incertain ».

Azer continue : « Avec mon métier de ‘‘taxiste’’ je gagne en moyenne 90 dinars par jour ».

Azer lance un rire jaune et nous dit avec un ton moqueur : « Vous m’enviez déjà ! Attendez, la suite pour  comprendre ce que je gagne réellement. Je ne suis en réalité qu’un simple chauffeur locataire et non propriétaire – صانع  , Je n’ai pas également le fameux sésame : le permis de taxi – الرخصة. Je ne garde pour moi que le tiers 1/3 de la recette. Les 2/3 vont au propriétaire ! ».

Le permis de la honte

Azer est assez remonté. Il nous lance : « C’est injuste – في بلادي ظلموني. Après toutes ces années derrière le volant, je devrai avoir le permis de taxi, d’après la loi. Mais la corruption en a voulu autrement. Il faut ‘‘arroser’’ et verser des pots de vins à cette mafia de fonctionnaires sinon c’est la mort qui viendra me chercher avant d’avoir le permis ! C’est un secteur pourri ! Wallah Hram – والله حرام وفلوس حرام عليكم فما ربي في الوجود C’est honteux ».

Azer grince des dents, il rajoute : « J’ai deux filles de 8 et 4 ans. Ce permis changera la vie de toute la famille. Nos ‘‘anges’’ ont droit à une meilleure vie. Avec cette injustice ce n’est pas seulement moi qui suis condamné mais toute la famille ».

Le mini projet de Sana

Sana reprend la parole et nous dit : « Le fardeau financier est assez lourd pour Azer. Notre fille aînée est en troisième année primaire et la petite va à une garderie privée. Les dépenses de la famille sont importantes et ne font qu’augmenter avec la cherté de la vie. Nous suffoquons réellement. Azer ne peut pas travailler plus ».

Sana continue : « Face à cette situation critique, je dois aider Azer et le soutenir. Je devais chercher plus d’argent et améliorer nos revenus. J’ai pensé à un mini projet de pains traditionnels, spécialité de Gabès – الكِسْرَة . Je me suis finalement lancée et j’ai vite eu du succès. J’ai une clientèle fidèle et on vient d’assez loin pour acheter mes pains préparés selon la recette de l’’’Ommima’’ et transmise de mère en fille à travers les génération ».

Sana nous dit vendre ses pains à 300 millimes. Elle en vend 150 pièces par jour. En soustrayons le coût de la matière première, Sana fait un bénéfice net de 30 dinars par jour.

Sana nous confie : « J’arrive à gagner en moyenne 30 dinars par jour. Des fois c’est beaucoup plus, surtout quand les boulangeries sont en grève. Dans de pareilles situations, je peux même doubler mon chiffre d’affaires mais je ne peux pas faire plus ».

Sana insiste : « Je n’ai que deux mains et qu’une seule tabouna (four traditionnel en terre cuite). Ma capacité de production est limitée. Mais récemment malgré la demande je n’ai pas pu faire du pain. La farine était introuvable. Il fallait payer 2 fois le prix aux spéculateurs, ça n’était plus rentable et je travaillais à perte ».

L’impasse en attendant le miracle

Sana lance : « On a accepté la peine, mais elle ne nous a pas accepté-رضينا بالهم والهم ما رضاش بينا   Regardez mes mains, elles sont toutes brûlées. Hamdoullah ».

Le couple nous dit que malgré l’état modeste et non fini de la maison familiale, cette situation est bien meilleure à la location d’une meilleure maison.

Azer nous dit à ce sujet : « On vit chez nous, dans notre modeste demeure en attendant un miracle qui changera peut-être notre vie. Je rêve, depuis 8 ans, d’obtenir le permis de taxi mais je ne donnerai pas de pots de vins pour l’avoir ! ».

Le budget Familial

Le couple se partage les dépenses familiales.

  • La facture de la STEG : 100 dinars/mois
  • La facture de la SONEDE : 30 dinars/mois
  • Pas d’Internet
  • Argent de poche pour les 2 parents : 200 dinars/mois
  • Produits d’entretien et produits alimentaires : 400 dinars/mois
  • Les dépenses de la rentrée scolaire : 200 dinars/mois

Le couple nous avoue ne pas prévoir de budget pour les vacances.

Pour ramadhan la famille prévoit 400 dinars.

La famille s’habille de la fripe. Elle consacre un budget pour l’Aid de 500 dinars pour offrir des vêtements neufs aux 2 filles.

Pour l’Aïd Kébir, la famille s’achète chaque année un mouton à 450 dinars.

Le couple n’a pas de compte bancaire, ni de compte postal. Il ne bénéficie d’aucune couverture sociale.

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