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Ma vie: Couple avec un fils unique de Ras Tabia

Ma vie: Couple avec un fils unique de Ras Tabia

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

Le mari: Arbi, 54 ans, tôlier.

La femme: Halima, 46 ans, femme au foyer.

Arbi est tôlier. Il répare et retape les carrosseries de voitures dans le garage qu’il a hérité de son père, qui était lui aussi tôlier.

La famille habite dans une maison que Arbi a hérité de son père.

Arbi et Halima ont un seul fils, Salim.

Salim a 17 ans, il est en 2éme année de lycée qu’il repasse suite à son redoublement.

Le couple n’a eu qu’un garçon. Arbi et Halima ont eu des difficultés pour avoir des enfants. Ils ont consulté un spécialiste pour que Halima tombe enceinte. « On n’a eu qu’un seul enfant, très difficilement, on n’a pas pu avoir d’autres, Halima n’était pas très jeune pour recommencer . Le dieu en a voulu ainsi». Nous dit Arbi.

Je suis tôlier, fils d’un tôlier

Arbi nous confie : « Je travaille comme tôlier depuis 30 ans déjà. J’ai appris ce métier de mon père, dans ce même garage. Je n’ai pas eu d’autres formations. D’ailleurs je n’ai pas fait des études, j’ai quitté les bancs de l’école très tôt pour aider mon père. »

Arbi s’arrête de parler et comme pour s’excuser il dit : « Je ne suis pas bon communicant Je ne trouve pas facilement les bons mots. Je n’ai pas le contact facile et ne sait pas bien… lire ».

Arbi continue : « A l’époque ceux qui faisaient leurs études avaient leurs parents instruits. Ils n’avaient pas un père comme le mien. La majorité de mon entourage a toujours vécu en faisant des petits boulots. Je n’en fais pas exception ».

Arbi donne plus de précisions sur son travail : « Quand mon père est mort, j’ai repris son affaire : son garage et ses clients.  Au début j’ai profité de la bonne réputation de mon père pour me lancer. Le nom de mon père m’a aidé. Allah Yarhmou الله يرحمو».

Le métier de tôlier : Du positif et du négatif

Arbi fini par se détendre et paraît plus à l’aise. Arbi nous parle de son métier de tôlier.

Il choisit de commencer par les points négatifs.

Arbi dit : « J’aime mon travail, mais mon métier est très fatigant. Au fils des années, j’ai accumulé les problèmes de santé : j’ai un problème au ménisque suite à une blessure au travail et je souffre du nerf sciatique. Je ne peux pas rester longtemps debout, ça me fatigue et j’ai souvent mal au dos. »

Arbi continue : « Tant que mon garage reste ouvert, je fais rentrer l’argent. Le jour où je ne serai pas capable de me lever et d’aller travailler, personne ne m’aidera ».

Pour justifier ce qu’il vient d’affirmer, Arbi tient à nous raconter son inconvenance avec la corona : « L’année dernière j’ai eu un covid très compliqué. J’ai cru que j’allais mourir. Je ne suis resté à la maison que seulement 4 jours et puis je suis allé à mon garage. J’avais besoin d’argent. Oui, je savais que je pouvais contaminer des gens, mais je n’avais pas le choix. Je n’avais pas de quoi vivre. »

Arbi rajoute : « Pendant la crise sanitaire, l’Etat tunisien a ignoré les gens de profession libérale comme moi. Je n’ai pas reçu d’aide de l’Etat. Je ne pouvais compter que sur moi Lya Rabbiليا ربي».

Maintenant Arbi parle de son travail positivement.

Parlant de ses revenus Arbi dit : « Chaque jour apporte son lot de surprises Kol Nhar ou Kassmou  كل نهار وقسمو et mes recettes sont très variables. C’est incertain, mais mon métier me rapporte assez d’argent pour bien vivre ».

Arbi rajoute : « Quand il n’y a pas beaucoup des clients, je travaille seul. Quand je suis surbooké, je fais appel à 1 ou 2 apprentis ”sounaa صناع”  que je paie à la journée, pour m’aider. Le jour de vaches maigres, je gagne de 100 à 150 dinars par jour. Les meilleures journées, c’est jusqu’à 500 dinars par jour ».

Comment Arbi dispose de ses gains

Arbi nous explique comment il gère son atelier. Il nous explique :« Je paye 20 à 30 dinars par jour et par tête à mes apprentis. Leur paie journalière dépend de leur qualification. Parfois c’est plus de 50 dinars par personne par jour. Le reste est pour moi ».

Arbi nous parle avec passion de son garage : « J’ai assez d’instruments dans mon garage, je suis bien équipé, hamdoullah. J’achète de l’équipement neuf rarement. Parfois je renouvelle mes instruments usés.  J’utilise encore le marteau qui appartenait à mon père. Sinon, les matériaux comme la peinture ou les pièces de rechange sont à la charge du client. Je suis payé pour la main-d’œuvre.

J’évalue le prix de mon travail par rapport à la complexité de la tâche et de ce que ça nécessite comme efforts. Ce n’est pas une question de temps. Par exemple, je peux réparer cette voiture en 10 min pour 100 dinars et une autre voiture pendant deux heures pour 50 dinars ».

La journée de Arbi

Arbi nous parle de son quotidien : « Mon garage est ouvert à 7h du matin. Je ferme à 17h en hiver et à 20 h en été. Après le travail, je rencontre mes amis, on se voit chaque soir ».

La journée de Arbi ne s’arrête pas là. Arbi nous raconte : « Avant la fermeture du garage, j’envoie quelqu’un pour acheter mes bières et ma kemia habituelle. Je bois chaque jour. Ça me coûte de 60 à 70 dinars quotidiennement.

« Attention ! » s’écrie Arbi « Ce n’est pas au détriment de ma famille ! Ma famille ne manque de rien ».

Et puis Arbi rajoute, avec fatalité : « Allah Ghaleb, je suis alcoolique, comme était mon père…. ».

Arbi continue : « On ne peut pas vivre en Tunisie en étant lucide.  Je bois pour être ‘‘Zehi- enjoué-زاهي ‘’, pour avoir bon kif, pour ne pas réfléchir aux problèmes. Je me déplace dans une dimension parallèle, un autre monde. C’est pour ça que je bois : pour ne pas réfléchir à cette vie et déprimer. Je bois pour oublier cette réalité ».

Arbi rajoute : « En plus de l’alcool, je fume beaucoup. Je fume 2 paquets par jour. Ça me coûte de 14 à 15 dinars par jour.

Je donne à ma femme tout l’argent qui me reste après l’achat de mes cigarettes et de ma bière. C’est elle qui s’occupe de tout Tkoum Bel Lezem – تقوم باللازم Moi, je ne sais pas gérer l’argent ».

Halima prend la parole.

Halima, la femme de Arbi intervient pour nous préciser : « Chaque jour Arbi me donne un montant d’argent selon ce que dieu nous offre- Mello Kteb Men Rabbi- . ملي كتب ربيJe suis à la maison. Lui il travaille 7/7 tant qu’il a des clients…

Halima continue : « Je gère notre maison, je dépense au jour le jour. J’essaie de faire des économies pour épargner ».

Parlant des habitudes de Arbi, Halima s’exprime : « Mon mari… je sais, il boit chaque jour. Mais je vais vous dire une chose qui risque de vous choquer – Heya Beche Tozdom-  هي باش تصدم  : Mon mari est mieux après avoir bu. Quand il boit, il est-il est agréable et plus tendre. Par contre, quand il est sobre, il s’énerve vite, il est irritable. Notre famille se porte mieux quand mon mari boit… ».

Pas de couverture sociale, ni sanitaire

Halima nous parle de sa famille : « Le plus grand problème de notre famille est que nous n’avons aucune couverture ni sociale ni sanitaire. Arbi refuse de cotiser. J’ai essayé de le convaincre, il ne veut pas. Quand on a l’argent on va nous soigner dans les cliniques, sinon dans les hôpitaux publics.

Les fêtes de l’aïd et vacances

Halima nous dit :« On  n’achète les vêtements neufs de l’Aïd que pour notre Salim. Chaque année c’est comme ça, malgré qu’il a grandi. »

La mère de famille continue : « L’Aïd Kebir est une fête incontournable dans notre famille. On achète notre Barkous chaque année ! Chez nous, Ouled Ayar, c’est indiscutable et sacré أحنا ولاد عيار الأمور هاذي من المسلمات !»

Halima continue : « En été Arbi ne ferme son garage que très rarement. Quand ça arrive, je saute sur l’occasion et je le supplie de nous amener à la plage dans une voiture prêtée par ses amis. Il arrive qu’on utilise la voiture en réparation d’un des clients. »

Le fils unique ne manque de rien

Halima nous parle de Salim: « Notre fils porte toujours les meilleurs vêtements, il n’a que le meilleur. Il aime les jeux vidéo, il a sa Play Station 5. Arbi veille à ce que notre fils ne manque de rien. Quand Salim sort avec ses amis, son père lui donne l’argent de poche ».

Arbi reprend la parole et nous dit: « Je n’ai qu’un seul fils. Je le gâte ! Indellelou-إندللو . S’il redouble encore une fois au lycée, je vais le prendre avec moi au garage et il va abandonner ses études ».

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