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Ma vie: Famille à distance, père à Tunis, femme et trois enfants à Sidi Bouzid

Ma vie: Famille à distance, père à Tunis, femme et trois enfants à Sidi Bouzid

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

Le mari, Nafaa âgé de 50 ans, propriétaire d’une tabagie dans un des quartiers populaires de Tunis.

La femme, Souad, âgée de 35 ans, couturière et propriétaire d’un magasin de location de robes de mariées à la ville de Jelma du gouvernorat de Sidi Bouzid

Le couple s’est marié en 2009.

Nafaa et Souad ont 3 enfants : 2 filles de 10 et 7 ans et 1 garçon de 3 ans.

La famille loue une maison à Jelma où vit Souad avec ses 03 enfants. Nafaa vit de son côté à Tunis, plus précisément chez son frère dans une maison du quartier de Bab El Fella.

Souad se confie à nous : « Nafaa est la plupart du temps à Tunis pour s’occuper de son magasin. Moi j’ai été obligée de revenir à ma ville natale avec mes 03 gosses. Avant on vivait ensemble, comme une famille normale à Ben Arous. Les dépenses familiales sont vite devenues incontrôlables. A la capitale tout est cher : le loyer, la nourriture, les soins médicaux,…Il fallait que je revienne à Jelma et que Nafaa reste à Tunis pour s’occuper de son magasin ».

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De Jelma à Tunis puis à Jelma

Souad raconte : « Le retour à Jelma n’était pas chose facile surtout pour les filles. Les pauvres, elles n’ont pas pu s’adapter même après plusieurs mois de notre installation ici. Ma fille aînée n’a toujours pas compris pourquoi elle a dû abandonner ses amies et ses voisins. Elle m’en veut pour ce changement radical, je l’avoue ».

Souad nous dit tristement : « Je n’avais pas le choix  – ما باليد حيلة . La vie est devenue impossible à la capitale … ici au moins : l’école est proche et je n’ai pas besoin de moyens de transport pour faire mes courses ».

Nafaa nous apprend qu’il est à Jelma pour quelques jours.

Il lâche un long soupire et nous dit : « Je ne vois mes enfants que tous les 02 mois…la capitale est devenue trop chère pour nous tous et il fallait trancher : Soit revenir tous ici et rester chômeur, soit nous séparer.  Plusieurs de mes amis de Sidi Bouzid ont fait le même choix avec des familles à distance ».

Nafaa sourit et fredonne la chanson de Balti Jey Mel Rif Lel Assima .جاي من الريف للعاصمة .

Nafaa nous raconte qu’il est lui aussi originaire d’une des délégations de Jelma. Il a arrêté prématurément les études et a rejoint ses frères à la capitale.

Il nous dit à ce sujet : « Aussitôt installé à la capitale, j’ai commencé à travailler avec mon frère. Ce dernier avait une boutique نصبة   d’équipements électroménagers au souk de Moncef Bey. J’ai vite ramassé le capital de départ nécessaire pour ouvrir moi aussi un magasin au souk. Mon frère s’est porté garant auprès des fournisseurs et mon affaire marchait bien ».

Tout est parti en fumée

Nafaa s’arrête brusquement de parler, son visage se crispe. Il s’excuse et lance un ‘‘hamdoullah ya rabbi’’ en regardant le ciel. Il reprend : « Avant la révolution tout allait bien. Je gagnais assez d’argent pour subvenir à mes besoins. Après la révolution, la situation a commencé à se dégrader. En 2016 c’était le coup de massue الضربة القاضية . L’incendie d’il y a 6 ans a tout détruit. Les flammes ont ravagé toute ma marchandise. Tout est parti en fumée. Je n’avais aucune assurance. Mon frère a lui aussi tout perdu. C’était le retour à la case de départ. Il fallait repartir de zéro ! ».

Nafaa se retourne, regarde tendrement sa femme et nous dit : « C’est elle qui était là et m’a soutenu quand tout le monde m’a laissé tomber. La famille de ma femme m’a aidé financièrement, je leur en suis reconnaissant ».

Un nouveau départ

Souad reprend la parole et nous raconte : « J’ai rencontré Nafaa quand j’étais en première année de faculté. J’ai décidé de me marier et j’ai abandonné les études.   Je n’ai eu ma première fille qu’après 3 ans de mariage. On vivait bien au départ, on n’avait pas de problème d’argent. Nafaa travaillait bien et était connu à Moncef Bey. Plus la famille s’agrandissait, plus c’était difficile, jusqu’en 2016. Je n’oublierai jamais cette soirée. On a tout perdu ».

Souad continue : « J’ai décidé d’aider Nafaa, j’ai suivi une formation en couture et modélisme dans un centre privé. Ma sœur a financé ma formation, elle m’a acheté une machine à coudre, du tissu et j’ai lancé mon petit projet. Je confectionnais des robes à domicile ».

Souad nous parle de son projet : « A mon retour à Jelma, mes parents m’ont aidé à lancer mon magasin de location de robes. J’ai aussi ouvert un mini-atelier de couture et de retouches pour les magasins de prêts à porter de la région ».

Souad nous confie : « Je suis inquiète pour l’avenir de mes enfants, il faut qu’ils réussissent dans leurs études. La vie est devenue trop chère. Les prix flambent et mes revenus ne s’améliorent pas. Je travaille plus et je gagne moins. C’est fou ! ».

Le couple n’a pas de voiture et utilise le transport public pour les déplacements et les courses. La famille n’a pas de couverture sociale. Nafaa et Souad se partagent les dépenses familiales.

Avant la ‘‘séparation’’ la famille allait à la plage. Nafaa nous dit : « On allait à la Goulette ou à la Marsa. On prenait le TGM ça ne coûtait pas cher. Mes enfants n’ont pas vu la plage cette année. On ne pouvait pas se le permettre. On n’avait pas assez d’argent ».

Le budget Familial

Nafaa n’a pas de revenu mensuel fixe. Il gagne en moyenne 800 dinars par mois.

Souad de son côté nous confie tout faire pour dégager un bénéfice net, tous frais payés, de 300 dinars par mois.

  • La facture de la STEG : 50 dinars/mois
  • La facture de la SONEDE : 30 dinars/mois
  • Frais Internet : 20 dinars/mois
  • Loyer de la maison : 250 dinars/mois
  • Produits d’entretien : 50 dinars/mois
  • Produits alimentaires : 300 dinars/mois
  • Argent de poche de Nafaa : 150 dinars/mois
  • Argent de poche de Souad : 50 dinars/mois
  • Médicaments et soins : 50 dinars/mois

La famille s’habille de la fripe. Elle consacre un budget habillement de 250 dinars.

Nafaa nous dit épargner toute l’année pour le budget de l’Aïd Kebir et pouvoir acheter un mouton à 400 dinars.

Le couple n’a pas de compte bancaire ni postal.

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