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Ma vie: Famille avec des jumeaux autistes de Sfax

Ma vie: Famille avec des jumeaux autistes de Sfax

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

Le mari, Karim âgé de 50 ans,

La femme, Hiba âgée de 40 ans.

Le couple est marié depuis 15 ans.

Karim et Hiba sont propriétaires d’un salon de thé dans un quartier huppé de Sfax.

Karim nous confie : « Après déduction des charges de location, des salaires des employés et le paiement des dettes accumulées suite au COVID, notre revenu mensuel est de 5 000 dinars. C’est un revenu ‘‘honorable’’ mais rien n’est garanti dans le secteur de la restauration. »

Karim continue : « S’il y a une leçon à retenir face à cette ‘‘maudite’’ crise sanitaire, c’est que rien n’est acquis et que tout peut arriver. Gérer un salon le thé comme le notre est un vrai challenge. Nous avons survécu, d’autres salons ont mis la clé sous la porte ».

Hiba prend la parole et nous dit fièrement : « Nous avons été résilients. Nous avons tenu bon. Maintenant nous diversifions nos services en permettant l’organisation de fêtes dans le salon de thé. Nous travaillons à ce qu’il y ait toujours une animation surtout pour les Aïd et les occasions comme les anniversaires. Nous voulons dépasser cette période morbide نتجاوزو ايام ” الكساد ” ».

Hiba continue : « Notre revenu est respectable mais il ne permet pas de couvrir les dépenses quotidiennes du foyer familial. L’autisme des deux garçons nous coûte cher ! ».

Hiba, prend un air taquin et nous dit : « C’est ‘‘Si Karim’’ qui est responsable des achats. Il ouvre le salon de thé à 06 h du matin et le ferme à minuit. En milieu de journée, je le rejoins et prends la relève pour qu’il puisse se reposer un peu et s’occuper des garçons »

Hiba regarde affectueusement Karim et lance : « Nous vivons sur ce rythme depuis déjà 15 ans et je remercie dieu pour tout ça- نحمد الخالق على هذا . Nous travaillons pour offrir un meilleur avenir à nos enfants ».

Karim et Hiba sont propriétaires d’une maison dans la banlieue nord de Sfax. Le couple possède une voiture utilisée pour les déplacements du salon de thé ainsi que les besoins de la famille. Les frais de carburant et d’entretien coûtent à la famille 600 dinars par mois.

Une grossesse précieuse

Hiba nous raconte que le couple s’est marié ‘‘tard’’. Ils ont eu des jumeaux après plusieurs tentatives.

Anas et Heni ont 13 ans et souffrent d’autisme sévère.

Hiba nous parle de ses garçons : « Mes jumeaux passent la journée dans un centre privé spécialisé dans les cas ‘‘difficiles’’. Ceci nous coûte 2 000 dinars par mois pour les 02 garçons et ce sans compter les frais de déplacements. Nous n’avons pas le choix c’est soit payer soit les ‘‘enfermer’’ à la maison. Mes enfants sont rejetés là où ils vont ».

Karim reprend la parole : « A part le salon de thé, nous n’avons aucune autre source de revenus. Nous attendons depuis plusieurs années la liquidation de l’héritage paternel. Cet héritage permettrait de sécuriser l’avenir des garçons et de lancer un petit projet commercial. Ce projet pourra améliorer nos conditions financières et nous insuffler de l’espoir dans l’avenir ».

Hiba intervient et rajoute : « Notre vie a radicalement changé avec la naissance des garçons. Nous étions désespérés. Nous avons consulté plusieurs spécialistes notamment en procréation médicale assistée. Finalement je suis tombée enceinte ».

L’autisme comme un handicap et n’est pas contagieux

Hiba, visiblement très affectée, continue : « Trois ans après la naissance des jumeaux, on a découvert qu’ils étaient atteints d’autisme sévère. Nous avons consulté plusieurs spécialistes qui étaient unanimes. Mes garçons ne pourront pas communiquer avec les autres une fois grands. Et depuis, la même question me hante : Mes enfants ont-ils une chance de vaincre la maladie et en guérir un jour ? ».

Hiba n’arrive pas à retenir ses larmes. Elle insiste pour continuer la conversation et s’insurge : « Comment vaincre cette maladie dans un pays où il n’y a presque pas de centre public de rééducation et d’accompagnement ! ».

Karim intervient et nous dit : « Nous n’avons pas de centre public spécialisé pour accueillir les enfants atteints par les troubles du spectre autistique. Anas et Heni souffrent. Mes enfants sont incapables aujourd’hui de communiquer avec une personne étrangère à la famille. A chaque fois qu’il y a un étranger, c’est la panique et souvent les cris. Les garçons deviennent turbulents. Ils ne sont pas agressifs, vous savez. Ils sont simplement seuls ! ».

Hiba se ressaisi et nous apprend : « Nous ne sommes pas un cas isolé. Karim et moi font partie des nombreuses familles qui sont confrontées à l’autisme et à la marginalisation de cette maladie. Nous sommes laissés pour compte et il n’y a aucun soutien institutionnel apporté à nos enfants. L’ancien Ministre des affaires sociales avait promis en 2016 de faire un recensement de l’autisme en Tunisie et de mettre en place une stratégie au profit des enfants malades. En 2022, il n’y a rien de fait, le ministre est parti et le rêve est parti avec lui . Mes garçons ont 13 ans maintenant. Qu’allons-nous faire ? On ne peut pas attendre vainement ».

Hiba continue : « En attendant que l’Etat reconnaisse cette maladie comme un vrai handicap et en l’absence de centres publics, le privé était une obligation et non un choix ».

Hiba insiste pour passer un message : « Ce qui m’attriste encore plus, c’est la réaction des autres parents qui ont peur pour leurs enfants ‘‘normaux’’.  Ils ont peur de la contagion. Je leur dis ‘’L’autisme n’est pas contagieux…Mon rêve est de bâtir un centre pour accueillir mes jumeaux et les autres enfants’’ ».

Hiba rajoute : « Avec l’âge, nous n’avions plus le choix. Il fallait prendre les choses en main peu importe ce que ça allait coûter. Nous avons fait appel à des orthophonistes, des psychiatres, des kinésithérapeutes, … »

Le budget familial

  • Revenu mensuel : 5 000 dinars par mois en moyenne ;
  • Centre d’accueil spécialisé privé pour les 2 garçons : 2 000 dinars par mois ;
  • Aide-ménagère couchante : 500 dinars par mois ;
  • Produits de nettoyage et autres dépenses de la maison : 1 000 dinars par mois incluant 400 dinars pour l’habillement ;
  • Factures de STEG, SONEDE et Internet : 250 dinars par mois ;
  • Argent de poche pour le couple : 600 dinars par mois.

Pour les frais de soins et les maladies, la famille dispose d’une couverture sociale. Le couple épargne un peu d’argent pour les urgences et les imprévus.

La famille dépense 500 dinars en moyenne pour l’Aïd Kébir et l’achat du mouton. Le budget varie selon les rentrées du salon de thé.

Le rêve de Hiba

Hiba nous parle de son rêve : « Je rêve de changement…Je veux créer un centre pilote pour les enfants atteints d’autisme. Je veux que le centre soit bien équipé, avec les bons spécialistes. Tous les enfants ont droit à la vie sans exclusion ni rejet ! A chaque fois que la rentrée scolaire approche, c’est le même cauchemar. On nous claque la porte au nez, on est pire que des lépreux. Les autistes sont des enfants avant tout, ils ont les mêmes droits et doivent être pris en charge. Pourquoi les condamner ? ».

Hiba fini par dire : « Plusieurs parents désespérés de Sfax placent leurs enfants dans des centres privés sans surveillance avec des services médiocres. Ceci dégrade encore plus l’état de santé des enfants. Mais que faire ? ».

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