A la une

Ma vie: vendeur ambulent avec 03 enfants de Béja

Ma vie: vendeur ambulent avec 03 enfants de Béja

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

Mounir a 52 ans. Il n’a pas dépassé l’école primaire. Il travaille comme vendeur ambulant de fruits et légumes.

Sa femme, Kmar a 49 ans. Elle est ‘’sans instructions’’, au chômage et a travaillé précédemment en tant qu’ouvrière agricole.

Le couple a 3 enfants : Ali, 17 ans en décrochage scolaire, Adem et Anass âgés de 15 et 13 ans.

Les 02 benjamins sont élèves dans une école préparatoire publique.  Adem est en neuvième année de base alors que Anass est en septième année.

La famille habite dans la région de El Koussa القوصة dans la maison paternelle de Mounir.

Pas de travail pour Kmar

Mounir se confie à nous: « Nous habitons dans la maison de mon père. Je n’ai pas les moyens d’avoir ma propre maison. Même louer est impensable. Notre situation financière est catastrophique. Payer 350 dinars par mois de loyer est impossible.  C’est de la folie de louer à Béja. Que ne resterait-il pour manger ! ».

Kmar intervient et dit : « J’ai été obligée d’aller travailler pour aider Mounir. La vie est devenue trop chère et on ne s’en sort pas. On doit en plus des besoins habituels faire face au coût de l’éducation de nos deux jeunes fils. L’école publique n’est pas vraiment gratuite vous savez. La fourniture scolaire nous coûte les yeux de la tête ».

Kmar rajoute en lançant un long soupir : « Je ne veux pas voir mes deux jeunes garçons à la rue comme leur aîné.  Je devais travailler pour leur offrir la chance d’étudier. Je sortais de la maison avant l’aube, quand il faisait encore nuit. Je rentrais au coucher du soleil. Je gagnais 12 à 15 dinars par jour. Je devais travailler dans le froid, sous la pluie et des fois sous le soleil brûlant. Je prenais ces camions de la mort. C’était le seul moyen de se déplacer dans les sentiers cabossés et boueux de la campagne profonde. J’ai travaillé tant que je pouvais, sans répit ».

Kmar baisse la tête, elle regarde à terre et lance avec une voix attristée : « Depuis quelque temps, je ressens une fatigue continue. J’ai souvent soif et ma gorge sèche. Je suis allée consulter le médecin du dispensaire. Après un diagnostic rapide et quelques analyses sommaires, le verdict est tombé. J’étais atteinte de diabète avec un début d’hypertension ».

Kmar s’excuse pendant quelques secondes. Elle boit une gorgée d’eau et continue : « Je sais très bien que le travail que je fais est dur. Mais l’origine de ma maladie ce sont les problèmes avec Mounir. Nos soucis d’argent nous empoisonnent la vie et c’est une pression psychologique continue…Depuis 2018 je n’étais plus capable de travailler dans les champs. Mon corps ne suivait plus. Continuer m’aurait été fatal ».

Mounir intervient : « Oui elle ne pouvait plus travailler surtout que Kmar ne prenait pas de manière continue son traitement. Ses médicaments coûtent cher. On n’a pas d’argent pour les acheter ».

Pas de travail pour Mounir

Mounir nous raconte : « Je suis allé à plusieurs reprises au siège de la délégation et du gouvernorat. Personne n’a voulu m’accueillir, ni m’écouter. Je ne veux pas la charité mais une assistance sociale.   J’ai cherché en vain du travail dans une des usines de la région. Je n’ai pas les diplômes exigés, je ne sais ni lire ni écrire, je suis illettré ».

Selon le couple, la situation financière s’est dramatiquement détériorée.

Mounir nous dit à ce sujet : « Nous sommes des morts vivants. On n’arrive plus à manger et à nourrir nos enfants ».

Révolté, Mounir lance un appel : « De grâce, les politiciens épargnez-nous vos discours et vos mensonges.  On a faim et les prix flambent dans ce pays يا سياسيين رانا جعنا و البلاد شعلت نار بالغلاء ».

Mounir nous raconte qu’il est descendu de la campagne vers la ville à la recherche d’un emploi. Le travail agricole ne permettait plus de couvrir les besoins de la famille et ses dépenses.

Mounir est originaire de la région de El Koussa à Amdoun. Il a arrêté l’école primaire pour travailler avec son père dans l’agriculture.

Mounir nous apprend qu’il a travaillé 07 mois dans une usine de la région de Goubellat. Il a pu durant cette période ramasser assez d’argent et a pris la décision de se marier avec Kmar. Malheureusement, 3 années après l’usine a fait faillite et a fermé définitivement ses portes.

Mounir dit à ce sujet : « Depuis cette fermeture, je n’ai pas cessé de chercher une autre usine pour y travailler. Il n’y a pas beaucoup d’usines à Béja et souvent le travail est ‘‘au noir’’, sans couverture sociale. Je n’avais pas le choix que d’être vendeur ambulant au souk de Béja.  Je n’ai pas le droit, je suis continuellement chassé par la police municipale mais les commerçants du marché sont tolérants, ils connaissent mes conditions difficiles. Je joue à cache-cache avec la police municipale. Ce n’est pas un jeu pour moi mais une question de survie. Je n’ai rien fait de mal  ».

Mounir dit avec regret : « Mon fils aîné paie le prix de notre pauvreté. Il a décroché et a quitté définitivement les bancs de l’école. Il ne veut pas venir avec moi au marché. Il a honte de moi, je pense ».

Mounir lance avec ironie : « Ce n’est pas mon fils qui pense à la Harka mais moi ! Je quitterai le pays, ma femme et mes enfants pour travailler n’importe où, n’importe quoi. Je suis fatigué, la pauvreté me tue,.. je ne peux plus faire face à cette vie ».

Le budget familial

Mounir gagne entre 700 et 900 dinars par mois. Sa femme Kmar est au chômage.

  • Facture de la STEG : 80 dinars ;
  • Facture de la SONEDE : 70 dinars ;
  • Frais de scolarité de Adam et Anass : 200 dinars par mois. Les garçons ne prennent pas de cours particuliers.
  • La famille dépense 300 dinars en moyenne en produits alimentaires et d’entretien. Mounir ramène souvent des légumes et fruits invendus.

La famille n’a aucune couverture sociale. Kmar achète mensuellement pour 80 dinars par mois de médicaments pour son traitement.

Le père de Mounir aide la famille avec 100 dinars par mois qu’il prélève de sa pension de vieillesse.

La famille consacre 100 dinars par an par enfant pour s’habiller de la fripe.

La famille reçoit de l’aide d’associations locales à l’occasion du mois de Ramadhan.  Mounir nous lance à ce sujet : « Depuis plus de 2 ans on n’a plus autant de Koffa qu’avant. Les associations nous ont oublié, les politiciens, tourné le dos. On ne sert plus à rien. »

A l’occasion de l’Aïd la famille achète un peu de viande du marché.

Durant les vacances, les 3 garçons travaillent dans les champs à l’occasion de la moisson et la saison de la récolte du tournesol.

La famille n’a ni compte postal, ni bancaire.

Pour lire d’autres épisodes, cliquer ICI.

Que se passe-t-il en Tunisie?
Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!

Commentaires

Haut