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Par Abdelaziz Gatri – De Agrebi à Jebali : Faillite totale, lapsus fatal

Par Abdelaziz Gatri – De Agrebi à Jebali : Faillite totale, lapsus fatal

Fakhfekh m’a toujours rappelé Jérôme Cahuzac, ce golden boy bardé de diplômes, ministre du Budget sous Hollande, qui, yeux dans les yeux d’un célèbre journaliste, affirmait  « Je démens catégoriquement les allégations contenues sur le site Mediapart. Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni avant ». La suite on la connait : compte en suisse découvert, démission, condamnation et opprobre.

Empêtré dans ses affaires de conflit d’intérêts, Fakhfekh, en sa qualité de chef du gouvernement démissionnaire, aurait pu faire le mort et attendre le vote de confiance du nouveau gouvernement pour quitter sur la pointe des pieds et aller vaquer à son business ou dépenser ses millions. Mais c’est mal connaître l’homme, têtu et jusqu’au-boutiste de médiocrité. Il y a quelques jours, profitant des vacances parlementaires et du relâchement général, l’air de ne pas y toucher, il a paraphé un arrêté ministériel conjoint pris par ses ministres de l’Industrie et du Commerce dont le premier est lui aussi impliqué dans les affaires de divulgation du cahier des charges des masques et d’octroi de marché public de gré à gré, arrêté qui autorise l’emballage du ciment dans des sacs en plastique, en passant outre l’avis de ses collègues à l’Environnement, pris au dépourvu.

Cet arrêté, destiné à réduire le coût du ciment et à améliorer sa compétitivité selon les deux ministres trop bien intentionnés, est une autre atteinte à la Constitution dont l’article 45 stipule que c’est plutôt à L’Etat de garantir le droit à un environnement sain et équilibré, de participer à la sécurité du climat et de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale. Il est en outre en contradiction aberrante avec le décret gouvernemental n° 2020-32 du 16 janvier 2020, pris par Fakhfekh lui-même, fixant les types de sacs en plastique dont la production, l’importation, la distribution et la détention sont interdites sur le marché intérieur et dont l’article 3 interdit la production, l’importation, la distribution et la détention sur le marché intérieur de plusieurs types de sacs en plastique à partir du premier janvier 2021, c’est-à-dire dans quatre mois, et qui charge les deux ministres de l’Industrie et du Commerce de son application. A ce que je vois, ils se sont appliqués à le torpiller avant même son entrée en vigueur.

Cette décision qui sent les affaires et les intérêts selon Yassine Ayari, le député par qui tous les scandales sont révélés, aura pour effet immédiat le déversement annuel de 150 millions de sacs en plastique dans la nature selon ses opposants, si le recours en annulation introduit auprès du tribunal administratif n’aboutit pas. L’argument de la réduction du coût est de la pure démagogie et ne tient pas la route, car en mettant en place sa politique de lutte contre la pollution par le plastique, l’Etat savait déjà que l’emballage en plastique est peu coûteux par rapport à l’emballage en papier craft. Cet argument n’est donc pas nouveau et ne justifie pas ce revirement et ce renoncement.

La prise de cet arrêté sans l’aval du ministre de l’Environnement est une illustration de plus, s’il en faut, de la faillite organisationnelle et morale de ce gouvernement et de l’Etat. Pour justifier son forfait, le ministre de l’Industrie a avancé qu’un « dossier d’examen des incidences environnementales de l’utilisation des sacs a été soumis, au début du mois de mai, au ministère de l’Environnement » , ajoutant qu’« aucune réponse n’étant parvenue à son département, il a décidé de publier l’arrêté en question conjointement avec le ministère du Commerce », concluant de son propre arbitre qu’« aucune incidence significative ni visible sur l’environnement n’a été relevée ».

Au diable l’expression « après avis du ministre de l’Environnement ». A se demander s’il y a un commandant à bord, s’il arrive à tout ce beau monde de se rencontrer dans les conseils ministériels, ou s’ils ont un téléphone. C’est comme ça dans ce gouvernement de débiles, ton collègue t’ignores, tu l’ignores doublement, c’est-à-dire en s’y mettant à deux.

Le super-ministre champion du monde de la lutte contre la corruption dans tout ça, vous me diriez ? Eh bien, de ce côté, c’est l’omerta. L’une des entreprises à qui pourrait bénéficier l’arrêté, créée en 2018 pour les besoins de la cause, met à la disposition de son parti un de ses locaux, à titre gracieux selon certains, à crédit selon un membre du parti qui n’en fournit pas la preuve.

Faisant feu de tout bois, Fakhfekh, a cru bon de se déplacer dans sa ville natale, Sfax, pour « honorer » la dépouille mortelle de la légende du football, Hamadi Agrebi qui se serait bien passé d’une telle attention pas du tout désintéressée, lui qui a toujours préféré la discrétion et l’humilité aux lumières. Voulant en faire plus qu’il n’en faut, il proclama haut et fort devant une assistance affligée qu’il a décidé de baptiser le stade de Radès, Stade Hamad Jebali, transgressant ainsi le décret gouvernemental 613 du 12 juillet 2019 interdisant l’octroi des noms de personnes décédées à des sites avant expiration d’un délai minimum de trois ans après leur décès.

Hamadi Jebali !!! Lapsus, ont dit certains. Lapsus fort révélateur, en rapport avec le psychisme de l’orateur. Car il y a eu en Tunisie plusieurs Hamadi célèbres: Hamadi Jaziri, grand artiste, comédien, chanteur, ventriloque, Hamadi Essid, intellectuel, journaliste, ambassadeur, voix de l’horloge parlante, Hamadi Ben Jaballah, Professeur, intellectuel, homme de lettres, Hamadi Arafa, grand metteur en scène…et j’en oublie. La question est de savoir pourquoi l’inconscient de Fakhfekh a-t-il choisi Jebali?  Et pourquoi ce long sourire narquois? Et pourquoi a-t-il pris tout ce temps pour se rattraper après que les présents lui aientt rappelé une dizaine de fois qu’il s’agissait de Agrebi, et non de Jebali?

D’échec en échec, de scandale en scandale, nos gouvernants post révolution n’ont aucune réalisation à faire valoir sauf à baptiser des lieux du nom de nos célébrités décédées. Alors ils se rabattent sur les réalisations du malfamé Ben Ali, qu’on vilipende à tout bout de champ, mais dont on s’approprie l’actif pour fanfaronner. Ils ont commencé par débaptiser sa mosquée, en lui donnant le nom de l’un des quatre imams de l’Islam sunnite. A la mort de Chedli Klibi, grand homme politique et de lettres, ils n’ont pas trouvé mieux que la cité de la culture, réalisée à 90% sous Ben Ali, pour lui octroyer son nom.

Pour le stade de Radès, ils avaient déjà opéré une tentative infructueuse de le mettre en hypothèque pour l’obtention de crédits destinés à financer leur train de vie, tentative abandonnée suite à la levée de boucliers de la société civile. Aujourd’hui, Fakhfakh remet ça en essayant de mettre à profit le décès de Hamadi Agrebi. Si demain d’autres gloires du sport national arrivaient à décéder, que va-t-on faire, surtout que leur nombre est de loin supérieur aux grandes réalisations sportives nationales ?

Abdelaziz GATRI. Conseiller pour les opérations douanières, le commerce international et le contentieux douanier.

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