Politique

Par Abdelaziz Gatri : Eclipse totale de la décence

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Mohamed Abbou, député constituant pour le défunt CPR, deux fois ministre chargé de la réforme administrative, de la fonction publique, de la gouvernance, de la lutte contre la corruption et que sais-je encore, a qualifié  d’impudente, ou d’indécente, la décision présidentielle de limoger 57 magistrats la semaine dernière. Impudente ou indécente ne traduisent pas en réalité la violence du propos de Abbou exprimé en dialectal tunisien : قلّة حياء, qui est à prendre carrément pour une insulte de bas étage.

La volonté de Abbou d’en découdre avec président en dehors de toute cohérence avec son propre passé lui fait adopter une attitude qui mériterait elle-même les qualificatifs dont il affuble Saïed.

En effet, a-t-il oublié que c’est en mai 2012 sous le gouvernement de l’infâme troïka, dont il était ministre de la réforme administrative, que 75 juges ont été limogés par simple décret pris par son chef du gouvernement, Hamadi Jebali. La liste des magistrats concernés par ces mesures  a été concoctée dans les officines du parti terroriste Nahdha et par ses sbires, notamment ce ministre de la justice de triste mémoire. La magistrature fut ainsi mise sous la botte de la secte islamiste et instrumentalisée par elle, notamment pour freiner l’avancement de l’enquête sur les assassinats de Belaïd et de Brahmi, pour couvrir les terroristes disséminés sur les hauteurs de la frontière Est, revendiqués par Ghannouchi comme étant ses enfants qui lui rappellent sa jeunesse d’apprenti terroriste, et pour arranger les affaires  des B’hiri mari et femme, lui au cabinet, elle au prétoire. Leur prospérité, sonnante, trébuchante et… bedonnante n’en était que visible à l’œil nu.

Auparavant, Farhat Rajhi, juge de son état et marionnette d’une Ben Sedrine haineuse et vindicative, lui qui ne fut ministre que deux mois et onze jours, avait déjà trouvé le moyen de vider le ministère de l’intérieur de son cadre dirigeant sous prétexte de dissoudre « la police politique », un terme utilisé pour distraire la galerie et qui ne correspond à aucune structure du ministère. Il ne s’agissait en fait que de déblayer le terrain à Nahdha, pour remplacer plus tard les cadres révoqués par d’autres qui lui seront acquis et dont elle se servira pour mettre la main sur tout le ministère et pour constituer son  appareil sécuritaire parallèle à celui de l’Etat.

Il en sera de même avec la douane qui fut allégée début 2011 d’une vingtaine de cadres dont les postes avaient été confiés à des sous-marins dont la secte avait infiltré l’administration sous Ben Ali et à ses vieux chevaux fourbus sur le retour après avoir été limogés en 1991 dans le cadre de l’affaire dite de l’organisation secrète islamiste الجهــاز السرّي.

Le tout avec l’assentiment du CPR, parti du Abbou d’alors et allié du parti terroriste dans la troïka de triste mémoire.

Deux jours après le limogeage des juges par son compère B’hiri, Abbou démissionnait du gouvernement Jebali pour…une sordide affaire de commission qu’on n’a pas voulu lui accorder. Pour les magistrats, les officiers de la douane et les cadres sécuritaires révoqués, motus et bouche cousue.

Et ce n’est pas fini. Huit ans plus tard, Abbou faisait un retour fracassant aux affaires au sein du gouvernement Fakhfakh. Après avoir lorgné du côté des portefeuilles de l’intérieur et de la justice, et après avoir essuyé un niet catégorique de la part de ses amis à Nahdha (encore), il dut se rabattre sur un ministère taillé à la mesure de son ego aussi démesuré que creux, et être pompeusement désigné ministre d’Etat chargé de la Fonction publique, de la Réforme administrative et de la Lutte contre la corruption. Excusez du peu. Et qu’a fait selon vous monsieur le super ministre pour dynamiser la fonction publique, réformer l’administration et lutter contre la corruption ? A-t-il revu les textes archaïques qui constituent le terreau idéal pour la corruption ? A-t-il démantelé les goulots d’étranglement procéduraux vers lesquels les usagers sont poussés pour être mieux dépouillés ? A-t-il introduit l’e-administration et la dématérialisation des formalités pour éviter toute forme de contact, et donc d’entente frauduleuse entre fonctionnaires et usagers ? A-t-il déterré les projets de modernisation déjà réalisés dont celui sur lequel j’ai veillé personnellement et qui devait faire de la douane une administration moderne, électronique, décentralisée et efficiente ?

Que non. Sa seule décision fut la mise à la retraite d’office (encore !) de deux dizaines d’officiers de façon aussi illégale qu’arbitraire. Je ne reviendrai pas sur les graves entorses à la loi commises par Abbou et son collègue aux finances, aidés par ce magistrat parachuté directeur général de la douane et proposé ministre de la justice par Mechichi, pour accomplir leur forfaiture, entorses que j’avais déjà relevées dans un article publié alors, mais vous aurez compris que ce que Abbou reproche aujourd’hui à Kaïs Saïed par simple opportunisme, il en fut le complice parfois, l’auteur le cas échéant et un fervent défenseur surtout.

La mise à la retraite par vagues successives de hauts cadres de l’Etat et de l’administration est à mon sens un crime d’Etat dont les auteurs devront répondre un jour. Il ne s’est pas agi seulement d’avoir disposé arbitrairement de la destinée d’environ trois cent citoyens qui, quels que soient les actes qui leurs sont attribués et reprochés, avaient droit individuellement au respect des procédures légales avant toute sanction d’ordre disciplinaire ou pénal. Il ne s’est pas agi seulement non plus d’avoir souillé à jamais l’honneur de ces personnes et d’avoir jeté l’opprobre sur leurs familles, sans que l’on sache à ce jour de quoi on accusait chacune d’elles. Il ne s’est pas agi seulement d’une punition collective digne du régime d’apartheid ou de l’Etat sioniste. Il s’agissait aussi et surtout de punir l’administration et ses cadres pour avoir sauvé l’Etat chancelant après la fuite de Ben Ali occasionnant une vacance à la tête de l’Etat et la défection quasi instantanée de ses plus proches collaborateurs, assurant ainsi la continuité de l’Etat et des services publics en l’absence de ministres pour donner des instructions sur la conduite à tenir devant tel ou tel débordement ou agression, dans des conditions exceptionnelles d’instabilité, d’insécurité et d’absence de repères jamais observées en Tunisie depuis l’indépendance. Certains d’entre eux l’ont payé de leur vie, d’autres portent encore sur leur corps les stigmates des agressions sauvages dont ils avaient été victimes. Nahdha ne pouvait leur pardonner cette prouesse ni leur permettre de la rééditer sous son règne. La lutte contre la corruption n’était évidemment qu’un alibi car le système de gouvernement mis en place par Ghannouchi et ses partenaires au pouvoir fut le plus corrompu depuis Mustapha Ben Smaïl et la triste commission financière.

  Abdelaziz Gatri,

activiste politique, Alliance patriotique pour l’ordre et la souveraineté (A.P.O.S).

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Publié par
Tunisie Numérique