Par Abdelaziz Gatri : Éradiquer la corruption dans l’administration, est-ce possible ? La douane en exemple.

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La corruption est un mal qui n’épargne aucune administration publique, même les entreprises privées en sont atteintes. Abderrahman Ladghem, ministre chargé de la Gouvernance et de la lutte contre la corruption sous la troïka avait désigné les secteurs des marchés publics, des dépenses publiques et des impôts comme ceux qui en sont les plus affectés.

La douane est elle aussi touchée par ce fléau, eu égard à son large rayon d’action et aux intérêts financiers et commerciaux en jeu. Conscient de l’urgence de réagir pour l’endiguer, l’auteur, ancien cadre de l’administration douanière ayant notamment dirigé les enquêtes douanières, l’inspection générale et l’école des douanes, tente d’apporter un éclairage sur les mesures qu’il préconise pour s’y opposer. L’étude s’articule autour de quatre axes selon le rôle imparti à chacune des parties concernées :

  1. L’autorité politique :

Aucune action de lutte contre la corruption n’est envisageable sans une volonté politique affirmée et inébranlable. Malheureusement, depuis la révolution, nos politiques sont plus enclins aux sorties médiatiques spectaculaires qu’aux actions concrètes, imitant en cela l’ancien président Ben Ali, avec les résultats qu’on connait, provoquant d’un côté le désespoir chez les agents et les usagers animés de bonne volonté, d’un autre un sentiment d’impunité chez ceux à qui profite la situation qui perdure. Nombre de nos politiques, dirigeants de partis, députés, ministres et autres sont pour l’heure impliqués dans des affaires de corruption, au moment où toute la classe politique est invitée à faire preuve d’exemplarité pour plus de crédibilité auprès des différents subordonnés et de l’opinion publique. Ce n’est qu’à ce prix là qu’il sera possible d’adopter un plan d’action national de lutte contre la corruption et de le faire adopter par toutes les parties prenantes.

2- L’administration :

Il lui incombe de fournir un climat de travail qui consacre la transparence au sein de ses services à travers la modernisation de sa structure, la généralisation de l’administration électronique, la dématérialisation totale des formalités pour pallier au maximum au contact direct entre les usagers et les fonctionnaires, favorable à la conclusion d’ententes. D’autres mesures techniques sont préconisées, telles la révision du tarif et des mesures de contrôle du commerce extérieur, la reprise de l’octroi du statut d’opérateur économique agréé (OEA) ainsi que la réorganisation des structures chargées de la lutte contre la fraude et du contrôle au sein de l’administration douanière, caractérisées à l’heure actuelle par l’émiettement et le dérèglement. Leur unification en deux structures s’impose pour leur insuffler l’efficience requise : une première direction de lutte contre la fraude et la contrebande regroupant les directions des enquêtes, de la garde douanière, du renseignement, du contrôle à posteriori et les services du ciblage et de l’observatoire ; une deuxième direction de contrôle et d’audit de l’action des services douaniers regroupant la direction de l’inspection générale et le bureau de la sécurité douanière.

3- Les professionnels :

Le crime de corruption implique deux parties : le corrompu, c’est-à-dire le fonctionnaire et le corrupteur, l’opérateur en l’occurrence. Il appartient donc aux groupements professionnels et aux fédérations sectorielles de s’inscrire sans réserve dans l’effort de lutte contre la corruption en veillant au respect des lois en vigueur de leurs adhérents et en adoptant une charte éthique en la matière.

4- Les agents des douanes :

La vie professionnelle des agents des douanes s’articule autour de deux axes principaux : leurs obligations et leurs droits tels qu’édictés par le code des douanes et leur statut général. Le manquement à ces obligations expose les auteurs aux sanctions administratives prévues par le statut particulier des agents des douanes dans ses articles 51, 52 et 53, ainsi qu’aux poursuites judiciaires pour crime de corruption tel que prévu par l’article 96 du code pénal.

S’il appartient à l’administration d’actionner ces dispositions chaque fois que les circonstances l’exigent en dehors de toute indulgence ou intervention, elle est tenue de faire bénéficier ses subordonnés de tous leurs droits sans les tergiversations d’usage, dans le but de préserver leur dignité et de les immuniser.

Par ailleurs, l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) recommande un ensemble de mesures à prendre par toute administration douanière désireuse de créer un climat favorable à la transparence, dans ce qui est connu sous le nom de Déclaration d’Arusha Révisée :

  • Offrir au personnel des douanes une rémunération suffisante pour leur assurer un niveau de vie décent ;
  • Recruter et retenir le personnel dont l’éthique répond à des normes ;
  • Consacrer le mérite et bannir le favoritisme et l’impartialité dans la sélection et la promotion du personnel ;
  • Veiller à éviter que du personnel douanier occupe des postes vulnérables pendant une longue période ;
  • Offrir une formation et un perfectionnement professionnel à même de renforcer le respect des normes rigoureuses en matière d’éthique et sur le plan professionnel ;
  • Renforcer l’esprit de corps et améliorer le moral du personnel.

Pour conclure, et en réponse à la question posée dans l’intitulé de cet article, je dirais que s’il n’est pas encore temps de parler d’éradiquer la corruption dans notre administration, il est toujours possible de la juguler dans une large mesure et d’en limiter les effets néfastes sur l’économie, sur le budget de l’Etat et sur l’honneur et l’estime des agents, si la volonté de le faire existe. D’autres mesures d’accompagnement sont à prendre pour assainir le climat général de l’action publique, notamment le renforcement de l’indépendance de la justice et des forces de l’ordre, ainsi que l’adoption d’un modèle éducationnel favorable à l’éveil des générations sur l’importance de l’éthique.

Il est important de noter les études effectuées par les cadres de l’administration douanière en vue de sa restructuration, les mémoires de fin d’études soutenus par les élèves officiers de l’Ecole Nationale des douanes, les rapports rendus par les instances nationales de contrôle administratif et financier et les conclusions des missions diligentées par les organisations et partenaires étrangers dans le cadre de la coopération internationale. Toute cette littérature demeurée lettre morte ne demande qu’à être défrichée pour servir de base à une action de restructuration de l’administration douanière et de lutte contre la corruption.

Abdelaziz GATRI. Conseiller pour les opérations douanières, le commerce international et le contentieux douanier.

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Publié par
Tunisie Numérique
Tags: douanegatri