Politique

Par Abdelaziz Gatri : Fayçal, le bon roi, le roi martyr

Par Abdelaziz Gatri : Fayçal, le bon roi, le roi martyr

Le 25 mars courant, quarante-sept ans se seront écoulés depuis la mort du roi Fayçal d’Arabie Saoudite. Je voudrais par ces lignes lui rendre un hommage posthume et célébrer sa mémoire.

« Je prie Dieu le tout puissant pour que, quand mon heure viendra, je meure en martyr », avait clamé Fayçal Bin Abdelaziz, Roi d’Arabie Saoudite, pendant la guerre d’octobre 1973, dans une célèbre allocution aux musulmans.

Deux ans plus tard, il fut assassiné par son homonyme, le prince Fayçal Bin Musaed, de retour en Arabie après une formation aux États-Unis. Que s’est-il donc passé entre-temps ?

Après leur défaite (النكسة) suite à la guerre déclenchée par Israël en juin 1967, les arabes ruminaient leur humiliation et préparaient leur vengeance dans le secret. Le 6 octobre 1973, les troupes égyptiennes déclenchaient l’attaque,  traversaient  le canal de Suez, détruisaient la célèbre ligne israélienne dite Bar-Lev et reprenaient le Sinaï occupé six ans plus tôt, le tout en à peine quelques heures seulement. Sur l’autre front, l’armée syrienne attaquait en même temps et reprenait la colline du Golan aux israéliens.

Douze pays arabes, dont la Tunisie, avait contribué à l’effort de guerre, en envoyant des combattants, de l’armement et de l’argent.

Mais un pays et un homme s’étaient particulièrement illustrés par leur exceptionnelle implication militaire, économique, politique et diplomatique, j’ai cité l’Arabie Saoudite et son brave roi Fayçal. Non content d’avoir établi un pont aérien pour transporter 20 000 hommes sur le front syrien et appelé tous les musulmans au jihad contre l’ennemi sioniste, Fayçal, en réaction au pont aérien américain déclenché le 14 octobre en faveur d’Israël pour renverser le rapport de forces favorable aux nations arabes engagées, forma un bloc au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et réussit, le 17 octobre, à imposer une hausse du prix du pétrole de 70% , avec une réduction mensuelle de la production de 5% jusqu’à évacuation des territoires occupés et reconnaissance des droits des palestiniens.

Dans la foulée, il décide, le 20 octobre, un embargo sur les livraisons de pétrole aux Etats-Unis et à la Hollande, deux parmi les pays les plus impliqués aux côtés d’Israël, provoquant d’un coup le triplement du cours du baril, la panique générale et, chose attendue, la colère, puis la haine en occident.

Il n’en fallait pas plus pour que les États-Unis envisagent d’envahir la presqu’ile arabique et menacent même d’occuper les puits pétroliers en Arabie, au Koweït et, éventuellement, aux Emirats. Qu’à cela ne tienne, le roi fait fi de ces menaces et renvoie la balle aux occidentaux en menaçant à son tour de réduire la production de pétrole de 80%.

On raconte que, quand Henry Kissinger, le secrétaire d’Etat américain, est venu en Arabie pour infléchir le roi, avec des menaces d’invasion à peine voilées, celui-ci l’accueillit dans une tente, message de simplicité et d’ascétisme, et lui aurait dit, en l’occurrence : « Nous étions des bédouins et nous le restons. Notre nourriture se résumait en quelques dattes et un peu d’eau, et nous sommes disposés à y retourner. Mais vous, êtes-vous capables de vous passer de pétrole ? ». A la question de l’américain « mon avion est collé sur le tarmac, attendant un ordre de votre majesté pour faire le plein et décoller ? », en allusion à l’économie américaine, plombée par l’embargo, il lui aurait lancé « et moi je ne suis qu’un vieil homme qui rêve d’aller prier à Al Qods avant de mourir, aideriez-vous un vieillard à réaliser son rêve ? ».

Quelques mois après, le 25 mars 1975, un neveu du roi, revenu après un long séjour aux États-Unis, l’assassinait de quelques balles à bout portant lors d’un Majlis où il recevait des délégations. Son arrestation, son interrogatoire et son procès ne prirent que moins de trois mois. Le 18 juin suivant, il a été jugé responsable et coupable, et décapité publiquement d’un seul coup d’épée. Il emportera avec lui son secret sur ses motivations, mais d’aucuns n’auront pas beaucoup de peine à y voir la main de quelques services de renseignements étrangers, surtout américains et israéliens.

Fayçal a-t-il signé son arrêt de mort en agitant l’arme du pétrole ? A-t-il fait prendre conscience aux pays occidentaux de la dépendance de leurs économies à cette source d’énergie, et que, par conséquent, ils devraient œuvrer à ce que cette menace disparaisse à jamais avec son initiateur ? Allez savoir.

Il n’aura jamais prié à Al Qods, tel qu’il en rêvait, mais son âme flottera toujours sur le Dôme du Rocher  jusqu’à recouvrement total de l’indépendance de la Palestine, de la souveraineté des territoires arabes occupés et de la dignité de millions d’humains, foulée par le dernier bastion de la colonisation sur cette planète.

Je suis de la génération qui a aimé et admiré le roi Fayçal d’Arabie pour son parcours exceptionnel, pour son patriotisme à toute épreuve, pour sa détermination sans faille, et pour ses réformes audacieuses de la société saoudienne pour l’époque, réformes qui lui ont valu l’inimitié de ses proches et des conservateurs du royaume.

A peine né, un 14 avril 1906, le nourrisson Fayçal est orphelin de sa mère, à cinq mois. Ce drame, ajouté à l’absence du père, trop occupé par les questions politiques, forgeront sa personnalité forte et indépendante. Il sera élevé par sa grand-mère et formé à l’austérité et à la chasteté. Il apprend vite Coran et poésie, mais aussi sabre et équitation, qui sont les attributs de tout arabe qui se respecte.

En ces temps, lointains pour beaucoup, mais ô combien proches, le royaume d’Arabie Saoudite n’existait pas, et son père, Abdelaziz Ibn Saoud, n’était que wali du Najd, et la péninsule arabique était partagée entre plusieurs familles et tribus, chacune contrôlant une ville et sa province, le tout sous le contrôle du pouvoir ottoman décadent.

Le père, après avoir confié quelques missions diplomatiques en Europe à l’enfant Fayçal, le nomme à la tête de quelques expéditions militaires, si bien qu’à dix-neuf ans, il est au commandement de l’armée qui s’empare de la province du Hijaz, gouverné depuis mille ans par les hachémites (prétendus descendants du prophète et aïeuls des rois de Jordanie), comprenant surtout la Mecque et Médine, les deux villes saintes de l’Islam sunnite.

La péninsule unifiée et pacifiée, le 22 septembre 1932, le royaume d’Arabie Saoudite est fondé, avec à sa tête Abdelaziz Bin Saoud, et est officiellement reconnu par les puissances occidentales. Le prince Fayçal en devient le ministre des affaires étrangères, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort, en plus de ses fonctions de premier ministre en 1958, puis en 1962, et enfin de roi à partir de 1964.

A son accession au trône, le royaume n’était encore qu’une mosaïque de tribus, à l’état féodal, dont les chefs traitaient entre eux les affaires. Il entreprit immédiatement d’imposer son autorité à tous, réformant le gouvernement, modernisant l’administration, rendant les ministres responsables de leur bilan en définissant leurs devoirs et attributions, réformant l’armée, créant la garde nationale…, ce qui ne manqua pas de placer son royaume en orbite sur l’échiquier international et de le rendre incontournable dans la gestion des affaires, dans une région particulièrement instable et sous haute tension. Il multiplie par vingt le budget de l’agriculture visant l’autosuffisance alimentaire, sédentarise les populations nomades, scolarise les filles…

En ces jours sombres, où certains parmi mes compatriotes, mais beaucoup sous d’autres cieux aussi, s’en prennent au royaume et à ses dirigeants successifs, parfois à juste titre, pour son rôle dans la propagation d’un islam rigoriste, à l’origine de la prolifération de groupes terroristes un peu partout en Orient, en Asie, en Afrique et même ailleurs, je me suis rappelé au souvenir de ce bon roi, en rendant hommage à l’homme et au souverain.

Je voudrais aussi par ces lignes, rendre hommage à la démarche adoptée par le prince Mohamed Bin Salmane (dit MBS) depuis sa désignation en tant que prince héritier, par laquelle il a entrepris de profondes réformes politiques, économiques et sociales dans un pays où la résistance au changement et le conservatisme religieux et social empêchent toute évolution vers une société moderne.

Après le geste hautement symbolique de lever l’interdiction ridicule faite aux femmes pour la conduite automobile, il s’attaque à plusieurs tabous dans une société saoudienne qui assiste, étonnée, à l’accès des femmes aux postes de responsabilité dans l’administration, mais aussi dans le commandement militaire, et bien d’autres mesures phares dans le cadre de son programme de réformes intitulé Vision 2030 qui prévoit réformes budgétaires, libéralisation économique, privatisation partielle d’ARAMCO dont il est président, projet NEOM de mégapole high-tech et de loisirs, une sorte de Silicone Valley sur la Mer Rouge, où même la consommation d’alcool sera autorisée. Enfin, de quoi dresser les cheveux des conservateurs et autres Ulémas dont le pouvoir va être de plus en plus réduit.

Si MBS arrive à se dépêtrer du bourbier yéménite dans lequel il s’est lancé, et de l’affaire Khashoggi qu’il traine comme un boulet, s’il aborde avec encore plus de détermination et de sincérité les questions des droits de l’homme, de ceux des femmes, des travailleurs et des étrangers, la question des procès expéditifs contre les opposants et des exécutions, il aura fait franchir à son pays un pas de géant dans l’accès à la modernité, et donné la possibilité aux arabes et autres musulmans de rompre définitivement le joug de l’islam rigoriste que ses prédécesseurs ont répandu en terre d’islam.

Ce sera sa plus grande réforme, je dirais sa révolution, ce sera justement celle du wahhâbisme, cette doctrine rétrograde qui transforme le moindre avis contraire, le moindre désaccord, en cas d’apostasie (ردّة) méritant l’expiation (تكفير), et donc l’extrême sanction (الحدّ).

Il nous appartient, à nous tunisiens éclairés, modérés et modernistes, de l’encourager sur cette voie dans un soutien actif, mais critique s’il le faut. Exhortons-le à aller de l’avant dans sa réforme des dogmes. L’Arabie Saoudite, la Tunisie, tous les pays musulmans et l’humanité entière ne s’en porteraient que mieux et s’en débarrasseraient enfin de cette verrue qu’est l’intégrisme islamiste.

Abdelaziz Gatri,

activiste politique, Alliance patriotique pour l’ordre et la souveraineté (A.P.O.S).

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