Politique

Par Abdelaziz Gatri: Ingérence américaine et volonté populaire, qui aura le dessus ?

Par Abdelaziz Gatri: Ingérence américaine et volonté populaire, qui aura le dessus ?

En cette matinée du septième jour des décisions présidentielles salvatrices, les tunisiens se sont réveillés sur la nouvelle d’une communication téléphonique d’une heure entre le président de la république et le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Et croyez-moi, c’est à vous refiler la gueule de bois, et c’est tellement difficile à avaler que la page officielle de la présidence a préféré ne rien communiquer dessus, si bien que nous avons dû nous rabattre sur celle de la Maison blanche pour en savoir plus. Et pour cause.

D’abord, ce n’est pas le président américain en personne qui s’est chargé de dire directement à son homologue tunisien ce qu’il pense de ce coup de force et de lui prodiguer ses recommandations formulées comme un supérieur indique à un subordonné ses instructions. Et ce n’est même pas son secrétaire d’Etat, mais le conseiller à la sécurité nationale. C’est dire le peu de cas que fait l’administration américaine actuelle de la Tunisie et de son président. Qu’il est loin le temps où le président Kennedy et sa belle épouse attendaient sur le tarmac de l’aéroport l’arrivée de Bourguiba, premier président à être accueilli, en grande pompe, après l’investiture. Autres temps, autres mœurs.

Revenons donc sur le compte rendu qui est fait de cette communication par la Maison Blanche. Après les boniments d’usage, du genre fort soutien du président Biden au peuple de Tunisie et à la démocratie tunisienne, basée sur les droits fondamentaux, de fortes institutions et l’engagement pour l’Etat de droit, « l’appel s’est concentré sur la nécessité cruciale pour les dirigeants tunisiens d’esquisser un retour rapide sur la voie démocratique de la Tunisie. Le conseiller à la sécurité nationale Sullivan a souligné que cela nécessitera la formation rapide d’un nouveau gouvernement, dirigé par un Premier ministre capable de stabiliser l’économie tunisienne et de faire face à la pandémie de COVID-19, ainsi que d’assurer le retour rapide du parlement élu. » (traduction Google).

Passons sur l’évocation incongrue de ce « premier ministre », qui ignore superbement les dispositions de la constitution tunisienne qui prévoit un chef du gouvernement. L’interlocuteur américain anticipe-t-il sur les intentions à peine cachées de Kaies Saïed qui, tout en parlant de désigner un « Chef du gouvernement », évoque une sorte d’homme ou de femme de paille qui sera appelé à administrer le gouvernement (إدارة الحكــومة), se réservant la prérogative de présider lui-même le conseil des ministres ? En tous cas, il emboite le pas dans cette direction à plusieurs sites d’information et responsables français, et même à la très respectable Human Rights Watch qui déclare que Saïed a annoncé qu’il dirigerait le gouvernement « avec l’aide d’un nouveau Premier ministre », ce qui est évidemment faux.

Mais le point le plus important, le plus grave aussi, de ces recommanadations-injonctions, c’est cet appel au « retour rapide du parlement élu ». Monsieur Biden, son administration et son ambassadeur à Tunis, avant de feindre la vierge effarouchée, jalouse de la démocratie tunisienne, de ses institutions et de l’Etat de droit, ne savaient-ils pas zaâma que ce parlement est plutôt mal élu, avec le flux d’argent douteux qui a profité surtout aux listes de la majorité actuelle ? Et qu’on compte parmi les élus plusieurs soutiens à des terroristes notoires, des repris de justice qui ne doivent leur liberté qu’à l’immunité que leur procure leur statut, bon nombre de corrompus qui ont trempé dans la vente de leur voix, et même un contrebandier de long chemin qui à osé décorer des douaniers ? Et que l’ISIE, la cour des comptes, la HAICA et l’opposition ont dénoncé de graves irrégularités ayant entaché les élections qui ont amené ce parlement (distribution d’argent liquide et d’aides alimentaires, mauvaise distribution du temps d’antenne, partis disposant d’un ou plusieurs médias, dont certains sont illégaux, et qui leur font campagne en boucle à longueur de journée…), irrégularités qui, si elles étaient confirmées par les tribunaux compétents, pourraient aboutir à l’invalidation de plusieurs listes et, par conséquent, conduire à une dissolution pure et simple de ce parlement?

Et surtout, n’ont-ils pas saisi l’élan du peuple tunisien et son aspiration à une véritable démocratie, qui rompe avec la corruption, la malversation, le terrorisme et la gestion calamiteuse des affaires de l’Etat, de son économie et de sa dette, et qui consacre de vraies institutions, fortes, représentatives et responsables, au lieu de ce cirque peu drôle qu’est devenu l’hémicycle ?

Par des manifestations en masse en ce jour du 25 juillet 2021 contre le système politique corrompu et la démocratie biaisée de Nahdha et consorts, et par la liesse populaire spontanée exprimée le soir du même jour, en réaction aux mesures présidentielles salvatrices, le peuple tunisien, libre et souverain s’est prononcé. Son verdict est sans appel. Il est donc en droit de considérer cette communication comme une immiscion déplacée dans les affaires internes de leur pays, une tentative de déstabilisation de leur président, élu par 74% des suffrages, un frein à son œuvre de redressement du pays, et une bouée de sauvetage offerte aux tenants de l’islam politique et à leurs suppôts, partisans du califat et ennemis de l’Etat National.

Pendant dix ans, les Etats-unis ont laissé faire les obscurantistes, en Tunisie et ailleurs. Par son accolade historique du 23 février 2012 avec le sixième calife Jebali, le sénateur américain a initié une longue page de compromission avec les islamistes tunisiens, fermant l’œil sur toutes les entorses à la constitution instituée pourtant par ces mêmes islamistes, en contrepartie de l’aide apportée par ceux-ci à l’œuvre américaine de déstabilisation de la Syrie sœur, via l’embrigadement de jeunes tunisiens en détresse, leur recrutement,  et leur acheminement sur le front syrien pour servir de chair à canon dans une guerre qui n’est pas la leur. Des jeunes femmes tunisiennes ont même été convoyées sur le front pour divertir les terroristes et leur apporter réconfort. Un mélange détonnant entre sens de l’honneur et de la fraternité chez les frères musulmans et  puritanisme américain. Pour ce qui est du plein emploi promis par les candidats de Nahdha, ces jeunes ont été bien servis.

L’administration américaine qui somme le président à un «timely return of the elected parliament », n’a pas jugé bon, pour la jeune démocratie tunisienne, d’inviter  ce parlement des islamistes à procéder « timely » à l’installation de la cour constitutionnelle telle que la constitution la prévoit dans un délai de six mois suivant les premières élections législatives. Sept ans sont passés, et le silence américain se fait assourdissant.

Je considère pour ma part que cette intervention américaine dans les affaires internes de mon pays peu conforme aux usages diplomatiques et au respect mutuel que se doivent les présidents, exprimée au président tunisien par un subalterne, comme une  éclaboussure dans la longue histoire d’amitié et de coopération entre les deux pays, initiée lorsque la Tunisie fut parmi les premiers pays à reconnaitre l’indépendance des Etats-unis qui, de leur part, ont été le premier Etat à reconnaitre l’indépendance de la Tunisie.

C’est dans les périodes de tempête que les amis se reconnaissent, et le peuple tunisien, qui n’oubliera jamais le soutien américain pour le mouvement national dans sa lutte contre la colonisation et l’aide généreuse du peuple américain prodiguée après l’indépendance et lors des inondations de 1969, se sent triste et consterné par la conduite des leaders de son vieil ami américain, et est en droit d’espérer les voir se raviser et reconsidérer leur position en conformité avec ses aspirations de liberté, liberté chère aux deux peuples et pour laquelle ils ont livré respectivement de longs combats héroïques, avec sa volonté de s’émanciper du joug des obscurantistes et avec ses espoirs de construire une vraie démocratie citoyenne, fondée réellement sur l’Etat de droit, de fortes institutions, et non sur l’obédience à un parti religieux et à son guide.

Abdelaziz GATRI

Conseiller pour:

– les opérations douanières,

– le commerce international 

– le contentieux douanier.

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