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Par Abdelaziz Gatri – La police dans la tourmente de la discorde : A qui profite la gabegie?

Par Abdelaziz Gatri – La police dans la tourmente de la discorde :  A qui profite la gabegie?

La vue de quelques dizaines de jeunes déferlant dans les rues de Tunis, proférant des slogans obscènes hostiles aux forces de l’ordre et leur brandissant des doigts d’honneur est une affliction pour le cœur. C’est d’autant plus triste qu’il est fort à parier que ces mouvements n’ont rien de spontané et qu’ils tiennent de la manipulation de ces jeunes par des forces politiques en présence qui n’ont rien d’occulte.

Les tunisiens, c’est connu, n’ont jamais porté l’autorité dans le cœur, par la cause de dizaines de siècles de domination étrangère ponctuées par quelques pages courtes de gouvernement autochtone. La police, l’armée, la gendarmerie et toutes les autres manifestations de l’autorité ne furent que les symboles de la domination de notre peuple par l’étranger, de la répression dans le sang de toute velléité libertaire, de la mobilisation de force de ses enfants dans l’armée de l’occupant, des sévices subis, des viols, de la collecte impitoyable de dîmes, gabelles et autres impôts coloniaux…

Si bien que tout acte de désobéissance individuelle ou collective, toute action de destruction ou de détérioration de biens publics, tout pont sauté, toute ligne électrique ou téléphonique coupée, tout colon, soldat ou gendarme tué, sont des actes patriotiques et de bravoure salués par l’admiration populaire et sévèrement sanctionnés par l’occupant. Les siècles passant, le tunisien a manifestement fini par intérioriser cette défiance à l’égard de l’autorité, en faisant une seconde nature.

Après l’indépendance, un gigantesque travail de communication fut entrepris par Bourguiba, via ses discours, y associant les cellules du parti, l’UGTT, la radio, et surtout l’école républicaine, en vue d’extraire ce « gène » destructeur de chez le tunisien et de lui inculquer la notion de chose publique (res publica) qui est le fondement de tout régime républicain. Jusque dans les années 90, ce travail éducatif de longue haleine semble avoir porté ses fruits, tant les tunisiens s’étaient montré enthousiastes et volontaires dans la construction de leur jeune Etat moderne, républicain et laïc, le renforcement de ses institutions et la sauvegarde de ses acquis. Bien sûr, il y eut quelques remous, quelques reculs et quelques grandes crises de pouvoir et de société, mais le génie des tunisiens et de ses dirigeants a toujours fini par remettre la caravane dans le sens de la marche.

Mais les coups de massue successifs portés d’abord à l’éducation nationale dès le milieu des années 70 sous prétexte de contrecarrer les mouvements gauchisants, couronnés ensuite par l’expérimentation hasardeuse de systèmes éducatifs sans aucune préparation préalable, la généralisation des cours particuliers comme forme de corruption des enseignants par des parents démissionnaires, au vu et au su de tous, dont nos enfants, spectateurs puis acteurs de ce racket national, l’institution des 25% dans le résultat du bac, la suppression de la sixième, tous ces coups ont eu raison de notre système éducatif, et surtout ont fini par banaliser la corruption aux yeux de générations de jeunes. Leur sortie à la vie active correspondra avec « l’âge d’or » du système mafieux instauré par Ben Ali à la tête de l’Etat, dans l’administration et dans la justice, qui a fini par déteindre sur tous les aspects de la vie politique, sociale et économique.

Mais il était hors de question de faire accepter aux tunisiens ce mode de gouvernement de gré. Alors, deux machines infernales furent nécessaires pour mater toute opposition : 1- une police obéissant au doigt et à l’œil, étouffant dans l’œuf tout mouvement d’opposition fut-il pacifique et démocratique, menant des actions de punitions individuelles ou collectives (bassin minier), surveillant les citoyens, leurs domiciles, leurs déplacements, leurs communications…, 2-  un parti aliéné à la doctrine régnante, employant une armée d’indicateurs et des milices armées de bâtons pour prêter main forte à la police en cas de besoin.

Même après la révolution, ce système corrompu, mafieux, répressif, alliant forces de l’ordre et milices partisanes s’est vite remis sur pied. On l’a constaté : au moment de « la conquête de l’ambassade » avec le peu de zèle des forces de l’ordre pour contenir les milices intégristes et empêcher ce qui allait devenir un scandale politique et diplomatique international, lors des évènements du 9 avril dans les rues de la capitale et devant le siège de l’UGTT, mais aussi dans l’assassinat de Lotfi Naguedh et les meetings du parti Ettahrir appelant à la destruction de l’Etat et à l’instauration du Califat, et dans la tolérance manifestée à l’égard des saboteurs en tous genres, téléguidés par certaines parties au pouvoir à la solde de forces étrangères, empêchant la machine d’extraction, de transport et de transformation de nos richesses naturelles, menant le pays vers une faillite totale.

Cette magnanimité envers ces groupuscules malveillants contraste fortement avec le zèle apporté dans la répression des jeunes dans les stades, les exactions dans la rue, dans les cafés et restaurants,  les humiliations verbales et corporelles, le retour en force de la corruption et de l’extorsion d’argent, le tout dans l’impunité imposée par les syndicats et acceptée par les gouvernements successifs dans une sorte d’omerta réciproque.

Pire, des actes criminels perpétrés, sporadiquement, par des agents de police contre des citoyens (vols, viols, agressions…), mais largement relayés par les médias et les réseaux sociaux, ont fini par anéantir toute confiance dans l’institution sécuritaire et par réveiller les vieux démons de la haine de l’Etat et de l’autorité.

Cette détérioration inéluctable de l’autorité de l’Etat et de l’image de la police aux yeux des citoyens n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat logique d’un travail de sape entamé dès après la révolution par le ministre de l’intérieur du deuxième gouvernement Ghannouchi et sa mégère de service, avec la dissolution des services de renseignements, désignés de police politique pour les besoins de la cause, la mise à la retraite anticipée de 42 hauts cadres du ministère sans aucune autre forme de procès, et la réintégration d’office de centaines de policiers dont la majeure partie avaient fait l’objet de mesures disciplinaires pour fautes graves, et soi-disant démis par injustice. Si tel était le cas, ne valait-il pas mieux leur permettre d’introduire des recours individuels auprès des instances disciplinaires, par souci de justice et de parallélisme des formes. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que mise à la retraite anticipée et réintégration étaient aussi illégales que leurs motifs étaient fallacieux.

L’œuvre de désintégration de l’Etat et de soumission de nos forces de sécurité aux partis politiques s’était poursuivie sous l’effet et la responsabilité des deux gouvernements de la troïka et sous les autres gouvernements successifs, mais aussi la responsabilité de tout le personnel politique, de toute la chaine de commandement impliquée dans la corruption, activement ou par silence, et des médias.

Seule une prise en main de l’Etat par une force politique émanant de l’âme du peuple, crédible, non inféodée, prônant le rétablissement de l’ordre et de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national, sans concessions face aux fauteurs de trouble et les partis qui les soutiennent, attaché à la souveraineté nationale chèrement acquise, pourrait remettre les pendules tunisiennes à l’heure et rétablir enfin la confiance du peuple dans son Etat et sa police.

 

 

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