Economie

Par Hadi Sraieb – Allégements fiscaux et PPP : une aubaine inespérée pour un capital oisif !

Par Hadi Sraieb – Allégements fiscaux et PPP : une aubaine inespérée pour un capital oisif !

Si de toutes évidences, le changement de régime politique est à l’ordre du jour, il en va tout autrement du régime économique et social. Celui-ci demeure obstinément le même et ne diffère en rien depuis plus de trois décennies. Et bien qu’ayant été largement et profondément remis en cause en 2011, pouvoirs économiques et politiques s’acharnent à réactiver les ressorts de sa dynamique (pourtant altérée depuis plus de dix ans) et à perpétuer les mécanismes (désormais déficients) de sa reproduction élargie ! Pour dire les choses de façon plus concrète, le modèle est manifestement à bout de souffle, mais les élites dirigeantes n’entrevoient pas d’autre alternative que de renouer avec la prétendue période faste du « miracle économique tunisien », donné en exemple par les institutions financières internationales.

Un peu d’histoire est toujours utile !

Au tournant des années 90 et avec le puissant mouvement à l’échelle internationale de dérégulation-libéralisation économique, d’essor de la globalisation-mondialisation, les élites dirigeantes optent pour une croissance plus extravertie fondée sur une compétitivité-prix (essentiellement sur le différentiel de coût salarial) pouvant alimenter un courant d’investissements tout à la fois interne et externe (IDE) répondant aux multiples exigences du moment, à savoir: un élargissement du processus d’accumulation du capital par de nouvelles perspectives d’espérance de gains (débouchés extérieurs), un plus important flux de création d’emplois assurant la paix sociale tant recherchée (face à l’accroissement du nombre de primo-demandeurs d’emplois arrivant sur le marché du travail), et un desserrement de la contrainte extérieure (flux net entrant de devises étrangères), le tout favorisant une meilleure gestion des deniers publics (orthodoxie budgétaire). Rappelez-vous les dithyrambiques louanges du « bon élève » du FMI et de ses affidés !

Se faisant le redéploiement des activités économiques s’expose à une dépendance extérieure accrue ! La nouvelle croissance économique abusivement axée sur la sous-traitance internationale n’est pas à l’abri d’un retournement de la conjoncture internationale (singulièrement du marché européen). Ce qui ne manquera pas d’arriver au tournant des années 2008 et suivantes avec la propagation de la crise financière internationale. Le processus s’enraye, les perspectives d’espérance de gains s’évanouissent, le flux d’IDE se tarit, la contrainte extérieure resurgit, les contradictions du modèle, un temps masquées, se font plus visibles et plus lancinantes : La fracture régionale se double d’une fracture sociale, l’économie formelle se voit déborder et devancer par la dite économie informelle, la précarité gagne les couches moyennes, tandis que la pauvreté s’étend irrésistiblement créant une controverse sans précédent sur la définition de celle-ci !

Le modèle est manifestement en panne ! 

Rien n’y fait ! L’enclenchement d’une spirale croissante de l’endettement ne réussit à combler que partiellement le déficit extérieur irrésistiblement grandissant sans pour autant recréer les conditions d’une reprise ! Pas plus que la multiplication des allégements et autres avantages fiscaux ni moins encore les nouvelles dispositions législatives et institutionnelles (code de l’investissement, loi sur les PPP, création de CDC)  ne parviennent à relancer « le désir d’investissement » !

Il est vrai que le climat des affaires (entendez la multiplication des troubles sociaux), la dérive procédurière et excessivement tatillonne de l’administration (excès de réglementations surannées), l’instabilité politique récurrente, et les incertitudes liées au devenir du pays ne font, au total, qu’amplifier les diverses « aversions aux risques ». Toutes choses qui brouillent et obscurcissent les espérances futures de gains sans lesquelles les capitaux ne se mobilisent plus ! Sans doute faudrait-il ajouter les conditions d’accès au crédit bancaire devenues plus difficiles et plus onéreuses, pour des entreprises privées structurellement sous capitalisées tablant systématiquement sur l’effet de levier de leur investissement financé largement par le crédit bancaire (l’activité est censée réaliser un taux de profit supérieur au taux d’intérêt améliorant du même coup la rentabilité des capitaux propres). L’investissement productif est bel et bien en panne !

Tant est si bien que l’on est en droit de se demander : Où sont donc pu passer ces capitaux qui font tant défaut, mais qui cherche malgré tout à préserver leur substance ? On peut évoquer schématiquement trois pistes de valorisation. Une mise en valeur sur les segments de la distribution et du commerce franchisé mais qui butte assez vite sur l’étroitesse du marché solvable. Assurément ! Une mise en sommeil dans les activités « refuges » de consolidation patrimoniale (dans le foncier et immobilier). Egalement confirmée ! Une mise en valeur limitée mais pénalement exposée dans le commerce illicite, notamment transfrontalier. Possiblement ! Une sorte de désarroi s’est donc emparée du capital privé (groupes familiaux, PME et IDE) Car il s’agit bien en réalité des seuls capitaux privés (second moteur de la croissance) dans la mesure où le capital public (celui des entreprises publiques), subit lui, un véritable désinvestissement (pertes croissantes empêchant tout renouvellement de l’appareil productif).

Que faire face à cette « aversion multiforme » que l’on pourrait traduire en langage simple par crise de confiance ? Les autorités d’hier mais également celles d’aujourd’hui reconduisent invariablement la même politique économique, persuadées qu’elles sont, que les mesures finiront par venir à bout de cette défiance.

Il s’agit d’un ensemble de dispositions, assez classiques, que les économistes qualifient de « politique de l’offre » (supply-side, crédo libéral s’il en est !). A l’occasion de l’élaboration des lois de finances, sans le moindre recul critique, la démarche réitérée vise à réduire les prétendus obstacles et freins que rencontre l’initiative privée, lui permettant d’améliorer voire de consolider sa compétitivité ! Une sorte de panacée quasi-unanimement acceptée, articulée autour de réductions d’impôts (taux de l’IS passant de 35% à 25%), d’exonérations et de dégrèvements de taxes (TVA, taxe à la consommation), d’incitations fiscales diverses (aides à l’export, au réinvestissement) et autres subventions. Manifestement le seul domaine où les gouvernements successifs dans une logique de fuite en avant, font preuve d’inventivité et d’innovation.  Des avantages cumulatifs croissants accordés aux entreprises (sans réelles contreparties) qui ne semblent troubler personne, à l’exception de la Banque mondiale qui souligne dans ses derniers rapports le montant considérable : Près de 3% du PIB ! Et d’ajouter pour quel résultat ?

Car à l’évidence c’est bien de cela qu’il s’agit, les autorités continuent au fil des années à se persuader de la justesse de leur approche sans que la réalité ne vienne jamais témoigner de l’efficience des dispositions coûteuses accordées aux entreprises: L’investissement productif ne décolle toujours pas !

Erreur de diagnostic ?

Inadéquation de la solution à l’objectif visé ? Ce qui fait assurément problème ce n’est pas tant les prélèvements fiscaux ou les allégements des charges, mais bien plus surement l’absence d’un véritable « carnet de commandes garni ». Autrement dit ce à quoi font face les capitaux c’est à une perspective de chiffre d’affaires insuffisante ou pour le dire en termes plus économiques, à un marché solvable bien trop étroit. Cela vaut pour le marché intérieur du fait de la faiblesse endémique des revenus, que pour le marché extérieur qui a réduit (sous l’effet des crises successives) les opportunités d’exportation.

Au total, si le classicisme de la « politique de l’offre » satisfait les détenteurs de capitaux en améliorant de quelques points leurs marges bénéficiaires, elle n’en créé pas pour autant les conditions d’une valorisation future (une espérance de gains attendue fondée sur une croissance prévisible des ventes et des marges), et par là même une reprise des investissements productifs.

Une politique de l’offre obstinément reconduite d’année en année, mais sans résultats probants, finit par butter sur la contrainte budgétaire. Incitations fiscales, allégements de taxes en tous genres, constituent une réduction substantielle de rentrées fiscales qui pèse à son tour sur les déficits des finances publiques. On notera au passage que si les subventions alimentaires et des hydrocarbures font l’objet d’une critique virulente, les faveurs et libéralités accordées aux détenteurs de capitaux sont littéralement passées sous silence, il est vrai que cet aspect de la politique économique n’est pas documenté (pas de données)

Du coup le dernier gouvernement en date, engagé dans une démarche de réduction des déficits, cherche des palliatifs pour tenter de ressusciter auprès des détenteurs de capitaux, le fameux désir d’investissement !

L’idée est de généraliser l’utilisation du dispositif des PPP (en principe réservé à des projets d’envergure) à toutes sortes d’activités y compris culturelles. Les détenteurs de capitaux se voient proposer un actif public qu’il s’agit de rénover et d’exploiter mais qui dispose a priori de son propre marché potentiel (musées, stades, maisons de la culture, sites archéologiques), en attendant de passer à l’échelle supérieure, celle de la reprise d’entreprises publiques. La solution n’a rien d’une véritable innovation, tant ce sont multipliées ces dernières années les mises en concession ! Une aubaine pour des détenteurs de capitaux espérant une mise minimale de fonds, l’actif étant déjà créé, relativement à l’abri d’un surcroit de revendications sociales, avec une perspective de recettes quasi assurée. Un nouveau pis-aller loin de faire face aux défis du pays !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement   

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