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Par Hadi Sraïeb : Assez de ce prêt-à-penser et de cette pantomime qui n’ont que trop duré !

Par Hadi Sraïeb : Assez de ce prêt-à-penser et de cette pantomime qui n’ont que trop duré !

En dépit de marchandages opaques et équivoques, de revirements capricieux et éphémères, de postures fantasques et flottantes jusqu’à la dernière minute, le nouveau gouvernement et son chef ont, au final, réussi à obtenir la confiance des parlementaires par 134 voix contre 67. Epilogue d’un interminable intermède mais qui pourrait bien réserver de nouveaux rebondissements. Plus rien, à vrai dire, ne peut nous surprendre !

Fidèle à une tradition politique toute tunisienne et puissamment ancrée, le chef du gouvernement s’est bien gardé lors de son intervention, d’incriminer la gestion de ses prédécesseurs et d’en imputer la responsabilité aux coalitions qui se sont succédé au pouvoir ! Signe possible d’un présage d’attitude timorée et craintive !

C’est pour ainsi dire « la faute à malchance ». On mesure une nouvelle fois, -si besoin était- le degré extrême de duplicité et de fourberie qu’ont en partage l’essentiel des formations politiques et leurs dirigeants. Qu’à cela ne tienne l’heure est au redressement ! Mais la magie des mots n’opérant jamais seule, le chef du gouvernement s’est fendu d’un programme en 5 priorités : assainissement et restauration du secteur public, rétablissement du climat de confiance et redéploiement de l’investissement, réhabilitation des infrastructures, préservation du pouvoir d’achat et soutien actif aux populations défavorisées. Nous voilà, -en principe-, informés et rassurés ! A ceci près, qu’il n’est fait allusion ni à la méthode ni aux moyens pour y parvenir. A vrai dire et si l’on veut bien prendre un peu de recul, cette démarche ne devrait plus surprendre. C’est même « la loi du genre » de tous les gouvernements depuis 2011: égrenage de généralités abstraites sous couvert de prétendues priorités, difficilement réfutables et offrant du même coup un unanimisme de circonstance.

Qui oserait dire que ces propositions d’action sont de la poudre aux yeux ? Tout le monde veut y croire ! Nos politiques le savent bien ! Ils ont lu Machiavel : car « rien n’est aussi désespérant que de ne pas trouver une nouvelle raison d’espérer ».

Resterait toutefois à répondre à quelques-unes des interrogations que tout un chacun se pose en toute lucidité :

Sur quelles marges de manœuvre ce gouvernement peut-il s’appuyer sachant qu’il ne dispose pas d’une légitimité populaire et qu’il est à la merci de sautes d’humeur d’un Parlement irascible ? De quels moyens financiers le gouvernement dispose-t-il pour mettre en œuvre ses priorités, par ailleurs et pour une part contradictoires entre elles ? Ce gouvernement est-il véritablement en mesure d’échapper à cette absurde et inopérante conduite « consensuelle » (en réalité pusillanime et craintive) des affaires du pays ? Est-il résolu à se forcer un passage, à faire preuve d’audace et de volonté, quitte à se voir opposer de nouvelles formes de mécontentement ? Ce gouvernement a-t-il retenu la leçon : Est-il prêt collectivement comme à hauteur de chaque ministre à abandonner, -cette autre maxime de Machiavel- : « le parti de la neutralité qu’embrassent le plus souvent les princes irrésolus, qu’effraient les dangers présents, le plus souvent aussi les conduit à leur ruine » ? Des questions qui n’ont d’évidence rien de naïves, tant nous avons été habitués à cette sacro-sainte et fétichiste logique du « consensus », le plus souvent synonyme d’inefficience pour ne pas dire de « statu-quo ante » se traduisant par la préservation d’intérêts existants ou de positions indûment acquises.

Force est ici de rappeler que l’intérêt général n’est pas la somme d’intérêts particuliers !

Legs de l’Histoire politique de notre pays le concept opératoire de « consensus politique » et ses variantes d’union ou d’unité nationale restent omniprésents dans la pratique effective de l’exercice du pouvoir. Il est vrai, que le pays ne dispose toujours pas de la configuration classique d’une majorité et d’une opposition.

De fait ce nouveau gouvernement le 12e ou 13e du genre, s’expose d’emblée aux mêmes atermoiements !

Si comme l’affirme l’adage « gouverner c’est prévoir » gouverner c’est aussi arbitrer et décider ! Que reste-t-il alors à ce gouvernement pour mener à bien sa mission ? Toujours la même prudence atavique mère de sûreté ! Dans ce cas il ne se passera rien ou si peu. Le pays et ses forces vives resteront englués dans un marasme tenace.

Du coup la seule et véritable question que l’on pourrait se poser sous la forme d’une interrogation probabiliste : Ce gouvernement serait-il capable de renouer avec la grande politique ? Celle du véritable « Art » de gouverner, qui puisant dans de multiples artifices (persuasion, ruse, stratagème, expédient, kairos [1], fait accompli) est en mesure d’imposer sa volonté face à des oppositions dès lors neutralisées ayant été dépossédées de leurs capacités de réaction. Plus facile à dire qu’à faire, on ne peut qu’en convenir ! Mais qui ne tente rien, n’a rien !

Reste qu’affirmer vouloir le « redressement du pays », suppose de difficiles arbitrages, la mise au pas d’institutions et de fractions du corps social, le passage en force mais habilement mené. Toutes choses qui n’ont rien de technique même si l’action se présente sous la forme d’un réaménagement ou d’une réforme !

L’enjeu réel de toute réforme dite technique n’est jamais qu’une nouvelle répartition entre les ayants-droits.

Le redressement, disions-nous dans un précédent article (dans ces mêmes colonnes), et le fait de mettre fin à la gabegie et à l’hémorragie des finances publiques pour ne retenir que cet aspect, suppose de reconstruire des finances digne de ce nom, au travers d’un budget moins contraint et une politique monétaire plus accommodante. Cela implique impérativement une profonde refonte de la fiscalité dans tous ses compartiments, comme une mise à disposition indispensable de liquidités en monnaie nationale comme en devises. Resterait bien évidemment à en fixer les règles, avec l’assentiment toujours possible des institutions internationales.

Ce gouvernement est-il capable de rompre avec l’orthodoxie ? Est-il disposé à accroître le nombre de tranches d’imposition sur le revenu (16 tranches avant 1986, avec un taux marginal supérieur fixé à 68%) dans un souci d’efficacité fiscale et de justice sociale ? Envisage-t-il d’inverser les proportions des subventions de compensation au profit de besoins alimentaires et de transport et au détriment des énergies fossiles par le truchement d’un réaménagement des taux de taxes afférentes (la TVA étant un impôt injuste par excellence !) Est-il dans ses intentions de créer une véritable fiscalité foncière et immobilière (actuellement 0.3% de recettes fiscales) ? Les marges de manœuvre existent, y compris en matière de recouvrement. C’est encore et toujours une histoire de volonté adossée à une communication adéquate ayant pour objet le consentement à l’impôt.

Il en va de même côté Banque Centrale et de son action facilitatrice. Celle-ci est en mesure, -de façon exceptionnelle-, de monétiser une partie de ses réserves de change (142 jours d’importations 21,5 Md DT, là où d’ordinaire le pays fonctionne avec en moyenne avec 90 jours 13.6 Md DT), sous réserve là aussi de l’assentiment des institutions internationales (moratoire et gel provisoire sur une partie de la dette).

Si d’emblée, l’élargissement et le renforcement des moyens de la gestion publique (budgétaire et monétaire) s’apparentent déjà à une « mission impossible », que dire de la mise en œuvre de réformes dites structurelles ! Une série d’actions réformatrices qui aurait pour objet de réorienter graduellement et faire bifurquer l’ensemble du tissu économique et social vers un autre devenir plus viable, plus juste, plus soutenable. Pas d’inquiétude il ne se passera rien ! Ce gouvernement ne dispose ni des prérequis ni du « mindset » adéquat (vision d’avenir).

Engager le pays dans une nouvelle perspective de développement supposerait de lever les « verrous » qui bloquent toute mutation. Cela impliquerait de s’attaquer à toutes sortes de dispositifs législatifs, réglementaires, financiers, voire administratifs qui empêchent et cadenassent toute velléité de renouveau (tout aussi bien privée que publique), par les pratiques de cartellisation et d’accaparement des opportunités tout à la fois subtiles et extrêmement diverses ! Autant dire gravir la falaise, ce que ce gouvernement n’envisage pas, faute d’y être poussé par la pression populaire ! Pas plus qu’il ne conçoit un changement de cap, tant sa perception est empêtrée dans les schémas de pensée de l’orthodoxie néo-libérale encore très en vogue dans ce pays !

On observera pour conclure que le chef du gouvernement ne dit mot de l’incontournable lutte contre la corruption, la prédation et le népotisme qui gangrènent chaque jour un peu plus les restes de vitalité de ce pays !

Or ce qui n’est pas dit, n’est pas, dit le linguiste ! Ou de façon plus prosaïque : qui ne dit mot, consent !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

[1] Le kairos est le moment opportun d’une action décisive.

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