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Par Hadi Sraieb – Budget 2020 : Le subterfuge grossier du window dressing !

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Une Loi de Finance élaborée par une coalition sortante, votée à une large majorité par une représentativité parlementaire fort différente, c’est pour le moins ce que l’on pourrait qualifier de « changement dans la continuité ». Des débats écourtés, sans consistance comme s’il s’agissait d’une simple formalité administrative. Tout se passe comme si les priorités du moment étaient ailleurs !

On reste pantois et décontenancé face à ce qui ressemble à de la désinvolture et de la négligence coupable des nouveaux élus, faussement justifiée par la date butoir du 10 Décembre !

La discussion budgétaire est, partout et toujours, un moment majeur et central de la vie politique et économique d’un pays. Un moment au cours duquel s’expriment des visions, des priorités, des choix en matière de recettes comme de dépenses ! Rien de tel sous nos cieux, la délibération s’est réduite à des bavardages sans réelle portée sur les hypothèses qui fondent la construction du budget; voire des prises de position formelles de modification à la marge du dispositif fiscal et de l’allocation des ressources.

Pour stupéfiant et invraisemblable que cela puisse paraître, les parlementaires et leurs groupes  respectifs se comportent comme si le pays ne traversait pas la crise la plus grave de son histoire !

La mise en scène routinière ponctuée par la présentation du budget suivi du travail en commission, puis pour finir de vote en assemblée plénière se passe comme à l’habitude à quelques éclats démagogiques près. Le rituel est respecté à la lettre, sans la moindre expression d’une prise de conscience de la gravité. Pas un seul député pas un seul groupe pour exiger une session parlementaire extraordinaire (au-delà du 10 du mois), afin de reconstruire de bout en bout un véritable budget de lutte contre une crise multiforme, mais qui hiérarchise les nécessaires sacrifices et identifie les 2 ou 3 objectifs de priorité absolue.

Du coup cette délibération parlementaire emprunte les mêmes travers conventionnels et processionnels comme si derrière l’examen des agrégats il n’y avait pas des enjeux considérables. Les députés ergotent sur le chiffre après la virgule du taux de croissance comme s’il n’y avait pas une économie informelle envahissante non prise en compte. Ils discutent du niveau du déficit budgétaire sans disposer de la moindre information sur le taux réel de recouvrement de l’impôt.

On pourrait ainsi multiplier les exemplaires de ces débats surréalistes et hors sol !

Il est vrai que le gouvernement sortant a fait preuve d’une innovation majeure dans la présentation de son budget. Celle de l’adoption de la gestion du budget par objectif dans la ventilation des différentes rubriques de fonctionnement et d’investissement. Plus de clarté et de transparence nous dit-on !

Un budget non plus présenté selon les principes d’une comptabilité traditionnelle autour de la nature et de la fonction (titre I & II) mais selon une comptabilité analytique par destination.

Un artifice mystificateur qui tient lieu de nouveauté téméraire mais qui, de toute évidence, en mystifie plus d’un. De quoi s’agit-il ? La GBO nous dit le gouvernement, je cite : « est une réforme en profondeur le budget et la gestion de l’État. Elle instaure une gestion optimisée des finances de l’Etat par l’introduction d’objectifs et d’indicateurs de performances. En développant une culture de résultats, la Gestion du Budget par Objectif (GBO) permet de dépenser mieux et d’améliorer l’efficacité de l’action publique pour le bénéfice de tous ». La culture de la « corporate gouvernance » transférée sans coup férir à la conduite de la politique économique et sociale faite d’arbitrages complexes !

On croit, de ce fait rêver, alors même qu’il s’agit d’une vulgaire mais classique opération de window-dressing ! (ravalement de façade, habillage des comptes publics). Mais qu’est-ce à dire au juste ?

Le window-dressing est constitué d’opérations (manipulations) faites autour des différents postes et rubriques budgétaires qui, -compte tenu d’une date de présentation connue d’avance-, (date officielle de présentation), permettent au gouvernement d’avancer ou de retarder compilation de certaines ressources ou dépenses afin de modifier artificiellement le contenu des agrégats, autrement dit d’embellir la présentation finale et ses principaux résultats, -en l’occurrence les niveaux de déficit et d’endettement- ! Mauvais esprit diront certains, malveillance injustifiée diront d’autres.

Pas si sûr si l’on veut bien regarder les choses de plus près.

Lors de la prise de connaissance de la nouvelle loi de finances et de son budget, les députés ont-ils eu accès à une présentation complète et finale de l’exécution du budget de l’année précédente ? Ont-ils disposé des moyens de contrôler et d’analyser les écarts entre ce qui avait été prévu et programmé (y compris après la Loi de Finance corrective) et ce qui a été effectivement réalisé au final ?

Que savaient-ils des liens organiques et vases communicants entre le budget d’Etat et les comptes des établissements administratifs ou commerciaux publics ? Ont-ils eu une connaissance précise du taux de recouvrement des impôts, des cotisations sociales, du montant effectif des subventions accordées ?

Que savaient-ils du taux des recettes et créances non recouvrées ? Etaient-ils en mesure d’apprécier et par là même de remédier, non pas tant au seul endettement du budget d’Etat, mais aussi à la totalité de l’endettement consolidé du secteur public ? Rien de tout cela, pourtant essentiel et déterminant, n’a été abordé lors de la délibération parlementaire.

Le budget vite présenté et vite voté dans le droit fil de « fuite en avant » de ceux qui l’ont précédé témoigne, s’il en était encore besoin, de la légèreté inconvenante et de l’insouciance fautive de cette classe politique qui a beau avoir été largement renouvelée, n’en continue pas moins à méconnaître les réalités et à retarder l’inévitable construction d’une autre politique économique (budgétaire et extra budgétaire) de redressement progressif du pays. Les rares spécialistes et experts qui mettent le doigt sur l’incivisme fiscal, le dilettantisme de débiteurs, les malversations, les pénuries suspectes, les retards inconsidérés dans la réalisation de travaux…sont pour ainsi dire inaudibles !

Les stoïques (rien à voir avec les stoïciens) diront : “on a la classe politique que l’on mérite !”

Le prétendu nouvel habillage budgétaire adossé au même discours incantatoire et lénifiant ne change rien aux dures et multiples réalités auxquelles se heurtent nos concitoyens ! Même si la dernière trouvaille de la GBO plus proche du gadget politique que véritable instrument d’aide à la prise de décision… fait florès ! Mystifiés de nombreux députés flagorneurs ou louangeurs applaudissent à l’initiative (127 pour 50 contre) sans percevoir qu’il s’agit d’un nouveau tour de passe-passe qui les enferment dans un choix binaire sur des réalités tronquées, forgées à des fins préméditées…

Mais comme le disait en son temps Erasme (1509) : « Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité et d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent. »

Ainsi vont les choses, Coluche l’avait aussi compris… « La moitié des hommes politiques sont des bons à rien. Les autres sont prêts à tout »

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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Publié par
Tunisie Numérique