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Par Hadi Sraïeb – Fulgurance d’un coup de force constitutionnel …et puis quoi ?

Par Hadi Sraïeb – Fulgurance d’un coup de force constitutionnel …et puis quoi ?

L’effet de surprise est total, à en juger par l’embarras avec lequel a été reçu le discours présidentiel par la plupart des dirigeants politiques et par la coterie des éditorialistes pourtant souvent premiers initiés, voire même par les chancelleries étrangères.

A l’évidence rien n’a filtré de la préparation de ce coup de force ! Pas même d’imaginer que la manifestation du 25 Juillet (67e anniversaire de la Res Publicus : la chose commune) largement orchestrée par les partisans du Président, pourrait créer un événement aux relents insurrectionnels. Ni de son possible succès populaire sur tout le territoire qui constituerait alors un moment politique majeur !

De fait, le Président a saisi l’opportunité qui se présentait et tiré parti de cette circonstance particulière. D’un « fait à accomplir » pesé et muri, le chef de l’Etat a converti cet instant politique singulier en « fait accompli ».

Un coup de force qui trouve d’emblée et a priori une large légitimité populaire.

Nul besoin d’entrer dans la vive controverse opposant constitutionnalistes et politologues et autres prescripteurs d’opinion autour de la licéité, de la légalité, de cette initiative politique ; ce débat appartient déjà à l’histoire et aux historiens. Ce qui en revanche mérite attention et positionnement est sans nul doute les conséquences immédiates et futures de ce précédent dans le processus complexe de construction d’une République authentiquement démocratique « et » sociale en cour.

La conjonction de coordination « et » nous apparait ici fondamentale et incontournable. En effet, il y a une méprise encore trop présente dans de très nombreux esprits, qui tend à faire croire que seul le « régime politique » serait la cause principale des déboires et déconvenues de la décennie écoulée. Autrement dit, il suffirait de réaménager le code électoral et le déroulement des campagnes (financement, contrôle), de restaurer les prérogatives d’une justice réellement indépendante, doter les diverses agences et instances de réels pouvoirs de sanction….en un mot, moraliser la vie politique ! Une condition certes nécessaire mais au demeurant totalement insuffisante.

Car à se focaliser sur les seuls aspects institutionnels conduit à occulter l’autre versant du drame : Un « régime économique » inique, inchangé depuis des lustres, impuissant à résoudre les grands problèmes et défis auxquels est confronté le pays, source première des mécontentements et des colères dans leur diversité.

Pour l’heure, le coup de force demeure équivoque à plus d’un égard.

Le Président s’octroie les pleins pouvoirs sans pour autant toucher aux libertés et droits fondamentaux du peuple. Que peut-il se passer tant dans la forme que dans le contenu de la période de 30 jours qui s’ouvre ?

La propagation rapide de la pandémie ne risque-t-elle pas d’éclipser toutes les velléités de changement avancées par le Président ?

Bien malin qui pourrait anticiper et prédire ce que le chef de l’Etat peut effectivement entreprendre ! Il a certes l’initiative mais il s’expose à de vives réactions! Les rapports de force demeurent encore flous. En juriste aguerri, mais sans la moindre expérience politique, le Président va tenter d’initier ce que sous d’autres cieux on a appelé : Une opération mains propres !

Une inclinaison toute naturelle à vouloir instaurer du moins provisoirement un « gouvernement des juges (militaires ?) » ! Autrement dit à judiciariser ce qui relève normalement du politique. Il ne devrait donc pas y avoir de dissolution de l’assemblée ni d’élections anticipées ! L’ambition affichée est moins de rétablir les fondements d’un Etat de droit (séparation des pouvoirs qui garantit les droits des citoyens) que de sermonner, corriger et réprimander les exactions, et inconduites outrancières de la dernière période. Accessoirement il constituera un gouvernement de compétences nationales afin d’éviter toute critique sur la vacance du pouvoir exécutif mais sur lequel il aura la haute main.

Allergique au « régime des partis », il y a donc peu de chance que sa priorité soit la mise en place d’une cour constitutionnelle dans toute sa plénitude, contre-pouvoir au politique, et arbitre suprême des conflits entre les pouvoirs législatif et exécutif ! Le Président cherche, a contrario, à instrumentaliser l’instance judiciaire avec les risques de partialité et d’abus que cela comporte.

Mu par un puissant sentiment d’intégrité et d’honnêteté adossé à un nationalisme-populiste, le chef de l’Etat répond comme en écho à une large demande sociale, confuse et incertaine, d’assainissement et de normalisation….quand ce n’est pas d’épuration !! Le risque d’un dérapage vers « un règlement de comptes » est bien réel, tout autant qu’illusoire ! Mettre au pas, voire, sortir la mouvance islamique du jeu politique, par la simple interpellation pénale est pure chimère ! L’Islam politique est désormais bien ancré dans le paysage, il dispose d’organisations multiples et d’une idéologie prégnante, de partisans et de relais diversifiés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Il faut donc aussi s’attendre à une forte riposte de type victimaire du parti islamiste de ses affidés et autres complices objectifs !

L’enjeu perceptible et immédiat de la période qui s’ouvre est judiciaire tout autant que fonctionnel (assurer la continuité de l’Etat) avant de pouvoir évoluer ultérieurement et se transformer en possible et véritable enjeu politique ; en l’occurrence en aménagements et amendements de la Constitution.

Sans doute le chef de l’Etat est-il conscient des dérives népotiques et prédatrices de ce qui reste d’un régime économique désormais à bout de souffle.

Il va probablement apporter quelques correctifs d’urgence (préservation du pouvoir d’achat) sans toutefois s’engager dans une action réformatrice d’ensemble. Il n’en a ni la vision, ni les moyens ! N’en déplaise aux puristes de « tout est politique », l’islamisme politique continuera à prospérer sur la pauvreté et la précarité grandissantes engendrées par des mécanismes et des dynamiques demeurés intacts en limite de légalité et dont s’accommode fort bien cette mouvance. Rappelons à toutes fins utiles que si les islamistes sont illibéraux en politique (liberticides), ils restent ultra-libéraux en économie.

Reste une grande inconnue: Que fera le Président au terme de ces 30 jours ? Prorogera-t-il l’état d’urgence sous la forme d’un nouvel état d’exception articulé autour de lois martiales mais avec de nouveaux risques que cela comporte ? A moins qu’au final, le danger de « défaut de paiement » ne s’invite dans les confrontations et ne s’érige en juge de paix obligeant les protagonistes à trouver un nouveau consensus !

 

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

 

 

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