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Par Hadi Sraïeb – La dette Covid: l’éternelle et obstinée fuite en avant dans une impasse !

Par Hadi Sraïeb – La dette Covid: l’éternelle et obstinée fuite en avant dans une impasse !

Pour échapper à un excès de dettes qui absorbent des ressources qui auraient pu être destinées à des usages utiles, un endettement supplémentaire et par là cumulatif est une voie sans issue et pour le moins hasardeuse. C’est pourtant la seule et unique solution sur laquelle s’accordent tous les gouvernements depuis 2011.

Il n’y a que quatre moyens de se débarrasser d’un excès de dette non pas mesuré à son poids dans le PIB, mais dans l’importance de la charge de son remboursement.

Le premier moyen est la croissance économique qui engendre des recettes fiscales additionnelles permettant d’honorer les engagements. Mais cette croissance est depuis déjà plusieurs années totalement atone et ce n’est pas la séquence dépressive que nous allons traverser qui va lui redonner de la vigueur.

Le deuxième moyen est  la discipline budgétaire. Une plus grande rigueur et par là une austérité sélective pourrait permettre de retrouver des marges de manœuvre. Sauf qu’à trop réduire les dépenses publiques, le risque est grand de déprimer un peu plus la demande et de réduire du même coup ses recettes fiscales tant espérées. Il s’en suivrait alors une spirale récessive et sans issue.

Le troisième moyen est l’inflation. Celle-ci érode avec le temps la valeur réelle de la dette et de son service, (la valeur d’une bon du Trésor acheté 1 DT aujourd’hui, va être amputé de l’inflation (7%), bon qui vaudra alors en pouvoir d’achat réel seulement 0.934 en année n+1, 0.87 en n+2). Une solution qui ne vaut que pour la dette intérieure. La persistance d’une inflation élevée risque de détériorer à terme le taux de change et du même coup renchérir le coût de la dette extérieure libellée en monnaie étrangère. Une solution donc possible mais qui s’expose aux foudres du syndicat qui exigera le rattrapage des salaires et leur indexation sur l’inflation. Une autre spirale sans issue, car ce qui serait gagné en réduction de la charge réelle de remboursement serait perdu par des augmentations de salaires notamment des fonctionnaires et assimilés

La quatrième solution est l’allègement du fardeau de cette dette globale (publique, parapublique et privée).

Depuis des lustres et sous nos cieux cette solution relève encore de « l’impensable ». Car allègement signifie encore et abusivement défaut et est synonyme répudiation. Concevable pour un particulier ou une entreprise, le défaut est considéré comme une hérésie et un sacrilège puisqu’il rompt le lien de confiance avec la communauté des créanciers et des bailleurs de fonds. Tel est le dogme de nos élites !

Ce n’est ni plus ni moins qu’un crime de lèse-majesté, qu’une extorsion prévaricatrice illégitime.

A l’évidence cette solution a un désavantage, celui du risque de ne plus trouver de « préteurs » autres que les institutionnels. C’est du moins ce que les lobbys financiers et leurs affidés veulent faire croire appuyés en cela par toute la bien pensante « ordo-libérale ». Pas un seul expert, pas un seul conseiller, pas un seul ministre n’oserait y penser, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, le tabou est largement partagé.

En réalité, il n’en est rien! L’histoire enseigne exactement de contraire. A situation exceptionnelle solution exceptionnelle, cela s’est toujours passé ainsi ! Il en sera ainsi, n’en déplaisent aux « orthodoxes » !

Pour s’en convaincre on pourrait remonter le temps et multiplier les exemples de cas de force majeure ! Les nations les plus développées en ont usé. L’Allemagne, au cours du siècle dernier s’est trouvée 3 fois en faillite (1924, 1931, 1946), en cessation de paiements serait plus exact. Plus près de nous et lors de la crise de 2008 les PIGS (Portugal, Irlande Grèce, Espagne) ont été incapable de re-financer leur dette publique directement sur les marchés internationaux des capitaux. La banque centrale (BCE) et le mécanisme européen de stabilité financière (MES) ont pris en charge les potentiels défauts de ces pays.

Tout le 20e siècle est jalonné, presque sans interruption, de défauts qui à leur tour ont induit des solutions imaginatives (conversion de dette, swap d’intérêt et de durée, hair-cut, report avec délai de grâce…).

Ces derniers temps Grèce, Argentine, Liban ont vu ou sont en voie de voir leur dette restructurée.

Les initiatives périodiquement renouvelées d’annulation des dettes des pays les plus pauvres, prouvent si besoin était que cela est et reste possible. Il n’est donc pas question (comme les doctrinaires aveuglées cherchent à nous faire croire) d’une répudiation de créances mais d’un réaménagement global de la dette intérieure et extérieure dans ses diverses composantes de termes, de durée, et de nature des préteurs.

Au plan intérieur : Juridiquement et comptablement, -en théorie-, rien n’empêche donc une restructuration de la dette détenue par la BCT. Sauf que la BCT est indépendante et que l’on ne peut l’obliger à le faire. Parce qu’elle est indépendante, elle n’est pas non plus légitime pour prendre une telle décision. On aura beau tourner la question dans tous les sens, l’indépendance est en la circonstance une impuissance…Du coup cela vient nous rappeler que la politique monétaire est une chose trop sérieuse pour être laissée entre les seules mains de banquiers centraux sans légitimité politique. Or, et compte tenu de la déferlante qui nous attend ce ne sont pas quelques mesurettes de prise en pension de nouvelles émissions de dettes qui suffiront.

Tout va donc se passer au plan extérieur, du côté des institutions internationales et des marchés de capitaux.

Comme à leurs habitudes nos dirigeants et leurs indéfectibles soutiens, vont une fois de plus faire des appels pressants d’assistance à notre « jeune démocratie » tout en sachant qu’une dette additionnelle se traduirait par un surcroît de charges de remboursement. De l’ordre de 15% du budget dans les années 2010, ces charges de remboursement sont désormais autour de 25% pour passer à plus de 30% en 2021 et 2022.

Selon certaines estimations la ponction pourrait atteindre le tiers du budget du fait d’un renchérissement du coût des emprunts, hypothèse d’autant plus plausible que les agences de notation prévoient (quelle clairvoyance !) un accroissement des déséquilibres et ont de fait dégradé la note du pays ! On ne peut avoir à l’esprit qu’une pensée émue à Coluche disant d’un prêt: c’est simple, moins tu peux payer, plus tu paies !!!

Le gouvernement mise sur une nouvelle facilité élargie de crédit du FMI qui servirait de « parapluie » aux autres bailleurs BM, BAD AfD, KfW, Jica….soit une nouvelle « aide » de près de 10 Md € sur 2021-2022.

Force est tout de même de constater que l’absurde le dispute à l’indécence ! L’Etat en déclarant qu’il n’honorera pas ses engagements vis-à-vis de ses fournisseurs est bel et bien en cessation de paiements ! Une cessation totale puisque le ministère des Finances confirme ne pas être en mesure d’exécuter le titre II du budget (arrêt de l’exécution des travaux en cours, abandon des investissements programmés).

Des torsions langagières (suspension et non cessation de paiements) qui cachent mal l’embarras du pouvoir et son entêtement à vouloir honorer sa signature (de moins en moins souveraine).

Plastronner en refusant tout réaménagement de la dette, -sous quelque forme que ce soit-, conduit plus encore dans l’impasse avec le risque d’une insolvabilité irréversible à l’instar de ce qui arrive au Liban !

Nul besoin de disposer d’un diplôme en Finances pour observer que la combinaison d’un solde primaire négatif, d’un déficit extérieur élevé, d’une croissance fortement négative et d’un taux d’intérêt moyen en sensible hausse ; une combinaison hautement insidieuse qui pourrait se traduire en une probabilité d’être dans l’incapacité de s’acquitter de l’échéance de 2021 ou de 2022, proche de 1.

Le pays est virtuellement en défaut. Sa dette globale consolidée est insoutenable !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du Développement

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