Economie

Par Hadi Sraïeb – La fabrique du consentement… et pas du consensus !

Par Hadi Sraïeb – La fabrique du consentement… et pas du consensus !

Les mots ont leur importance.

Le seul qui ait eu cour jusqu’ici était ce mot-valise de consensus ! Comme si ce terme désignait un large accord, une sorte de quasi-unanimité des parties prenantes, sur les questions essentielles touchant à la vie de nos concitoyens !

En réalité il s’agissait de manière récurrente et constante « d’arrangements et d’accommodements » entre ces parties préservant leurs intérêts respectifs, et dont la forme la plus caricaturale a été le partage du pouvoir et les prébendes qui vont avec.

Tout le petit monde de la sphère politique s’est livré, certes à des degrés divers, à ce petit jeu, -toujours à somme non nulle (tu gagnes, je gagne)-, de partage des privilèges, de prérogatives, de prévalence…j’en passe et des meilleurs !

Illustrer les formes multiples prises par ce « consensus » est dérisoire et sans intérêt, tant ces manifestations (compositions gouvernementales hétéroclites sans le moindre objectif commun) sont très vite apparues au vu et au su de la population, jamais véritablement dupe de cette supercherie !

Une imposture délibérée maquillée sous le vocable d’union nationale, invariablement reconduite à intervalles réguliers !

10 ans de ce consensus dévastateur qui débouche sur la plus grave crise institutionnelle et sociale qu’ait connu le pays depuis son indépendance ! Mais alors comment en est-on arrivé là ! Un pays sous un régime d’Etat d’exception au bord de la banqueroute ! Les raisons en sont bien sûr nombreuses.

Les énumérer serait non seulement fastidieux mais stérile car elles revêtent toutes des dimensions tout à la fois historiques et conjoncturelles.

Elles se condensent et se cristallisent toutes, cependant, dans un rapport distinct à l’Etat des uns et des autres, à des visions dissemblables, pour ne pas dire antagoniques, sur la nature de la société et de son devenir (identité, sources du droit, valeurs…), mais paradoxalement sur fond véritablement indifférencié de conception comme de traitement de la question sociale, ou pour utiliser un terme savant: un paradigme économique inchangé quasi commun à tous !

En effet, si les affrontements ont été et restent virulents sur les questions sociétales (égalité homme-femme), il en va tout autrement des visions économiques des diverses sensibilités, très peu distinctes les unes des autres.

A dire les choses crument: Ce qui sépare, les approches, les programmes, les solutions économiques, ne dépasse pas l’épaisseur d’une feuille de papier, à quelques particularités purement formelles près, s’entend !

Aussi étrange que cela puisse paraître et alors même que la question sociale a été au cœur de la révolution et demeure centrale, modernistes, islamistes, nationalistes (excusez cette simplification) s’accordent, pour ainsi dire, sur des préconisations quasi similaires. Il y a comme en toutes choses des exceptions : L’UGTT !

Si l’on voulait apporter quelques nuances, nous pourrions dire que pour certaines formations politiques, l’économique demeure un véritable « impensé », alors que pour d’autres, en nombre ne perçoivent que sa dimension marchande et de libre-échange.

A aucun moment de ces dix années, de gestion des affaires publiques, n’avons-nous vu s’affronter des conceptions économiques foncièrement différentes, voire suffisamment contrastées.

Tous répètent à l’unisson ; à quelques variations près: il faut relancer la croissance, assainir le climat des affaires, réduire les gaspillages, assainir les finances publiques, autant de formulations creuses et vides de sens si l’on ne s’en tient qu’à l’apparence des choses, mais si surtout l’on omet délibérément de pointer les mécanismes sciemment mis en œuvre qui ont conduit à cet état des choses: gestion laxiste des deniers de l’Etat (embauches et réparations clientélistes), « laissez-faire » de la Banque centrale, fuite en avant éperdue dans la spirale de l’endettement, évitement délibéré et partagé pour ne pas dire répugnance à peine voilée de conduire des réformes nécessaires et utiles…la liste est longue !

A vrai dire, et au-delà des variations dans les compositions ministérielles (représentants de parti, personnalités indépendantes), rien ne distingue véritablement les bilans des dix gouvernements successifs en termes de d’accomplissements, tout aussi calamiteux les uns que les autres ! Pourquoi ?

Serait-ce une simple question de compétence, de technicité, de loyauté patriotique, comme semble le croire une large fraction de l’opinion publique ?

Ou bien est-ce lié à la difficulté de définir un nouvel « intérêt général », ce que d’aucuns appellent un nouveau « pacte social » ou d’autres une « croissance inclusive et durable » ?

L’interrogation qui en découlerait serait alors : Convient-il de reconduire la même logique économique mais débarrassée de la corruption et de la prédation, ou bien faut-il rompre avec cette même logique et mettre en œuvre de nouveaux mécanismes assurant une meilleure répartition des fruits de la croissance, une plus grande sécurité alimentaire et énergétique, la revitalisation des biens communs et des services publics ?

De fait aucun des gouvernements (ni moins encore aucune formation politique) n’a cherché à trancher ce dilemme incontournable, se contentant de gérer l’existant, et remettant à plus tard la résolution de ce nœud gordien (Quelles réformes et pour le bénéfice de qui ?).

La réalité a fini par rattraper les tergiversations des formations politiques dans leur expression la plus grotesque: querelles byzantines, finasseries, faux-fuyants des parlementaires ! Le coup de force du Président y a mis fin, renvoyant tout ce petit monde dans leur foyer, ou à leurs chères études, c’est selon !

Reste que sur le plan social et économique, rien n’est encore tranché !

L’apparent consensus autour de réformes suggérées par les bailleurs de fonds, puis mises en forme par les directions centrales des ministères clés, avec l’assentiment discret des formations politiques dominantes, semble se fissurer et craqueler de toutes parts ! L’unanimisme tend à se réduire comme une peau de chagrin.

Le maître des horloges du moment parait, -sans mauvais jeu de mots-, vouloir jouer la montre !

Bien lui en prit d’observer les mouvements de l’opinion comme des postures politiques, car lucidement il sait que l’essentiel de la fournée de réformes envisagées est largement impopulaire et susceptible de déboucher sur une explosion sociale généralisée. A l’évidence, les couches populaires comme intermédiaires ne sont pas prêtes à de nouveaux sacrifices, d’autant que la flambée des prix largement spéculative ne les incite pas à la conciliation ! Les solutions « d’un trait de plume » ont manifestement du mal à s’imposer. Bon gré mal gré, bailleurs de fonds et le pouvoir en place vont continuer à se tester !

La prétendue urgence d’un accord avec le FMI ne semble plus tout à fait de mise ! N’en déplaise à certains le pays a encore des marges de manœuvre, certes de plus en plus étroites, mais loin encore de l’effondrement brutal du Liban ! Qui vivra, verra !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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