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Par Hadi Sraïeb – La résignation est un suicide quotidien !

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Une brève citation d’Honoré de Balzac en guise de titre. Elle résume assez bien, somme toute, l’attitude générale ambiante et ses potentiels dangers ! L’arrivée des grosses chaleurs associées à la propagation de la pandémie, devrait confirmer la persistance de ce phénomène étrange observé depuis déjà de nombreux mois: Une société civile apathique, amorphe comme anesthésiée !

Ce ne sont pourtant pas les aberrations, les manquements, les calamités, -résultant d’une gestion hasardeuse et déplorable des affaires du pays-, qui manquent. Rarement, le pays a-t-il connu une telle conjonction, d’erreurs évitables, de revers dramatiques, d’égarements bornés, à peu près sur tous les plans.

La pandémie est hors de contrôle, et les structures sanitaires au bord de l’effondrement. La cherté de la vie atteint des sommets. Faillites et licenciements décuplent et se multiplient. Jeunes primo-demandeurs d’emplois, comme professionnels aguerris continuent à fuir le pays. Mais il y a aussi tous ces phénomènes d’incivisme délibéré et désormais, de surcroît tolérés. L’urbanisation anarchique détruit l’organisation spatiale et défigure le paysage et l’environnement. L’inondation du marché intérieur de produits d’importation, de plus en plus souvent, en limite de respect des normes sanitaires et de sécurité. Que dire de la multiplication des malfaçons, des surfacturations, des abus de confiance, faux en écriture, fraudes…Jamais d’une telle ampleur et dans de telles proportions !

Comme si tout cela ne suffisait pas l’agence de notation Fitch vient à son tour d’abaisser la note du pays à  B – justifiant son jugement par « le paysage politique fragmenté, et l’opposition sociale bien ancrée, limitent la capacité du gouvernement à mettre en œuvre des mesures d’assainissement budgétaire fortes, ce qui complique les efforts visant à garantir le programme du FMI ». En clair, l’agence recommande de ne plus prêter à la Tunisie sauf à des taux usuraires.

De proche en proche, un nœud gordien (problème sans solution apparente) s’est formé autour de la direction des affaires du pays, réduisant, gouvernement après gouvernement, des marges de manœuvre graduellement et insensiblement, gâchées, bradées, liquidées ! Le pays est désormais dans une impasse sociale et politique quasi inextricable, indébrouillable. Mais une situation qui, toutefois, ne semble pas avoir épuisé toutes les turpitudes, ignominies et autres dépravations, qu’elle charrie !

A contrario et fort heureusement, le pays regorge de bonnes volontés.

Qui de se mettre en quatre pour faire parvenir des équipements médicaux en urgence ! Qui de venir en aide à des populations en grande détresse ! On pourrait ainsi multiplier les exemples d’initiatives remarquables, mais qui du fait de leur caractère isolé, ne peuvent venir à bout des dérives pernicieuses que connait le pays !

Toutefois et pour une majorité de nos compatriotes, l’idéal d’une deuxième République irréprochable s’est irrésistiblement éloigné. Il a laissé la place à une République de combinards et arrivistes où laxisme et impunité ont exacerbé la crise de légitimité et de crédibilité de l’Etat.

S’il parait présomptueux de vouloir répondre à la question « comment en est-on arrivé là », et laisser donc le soin aux historiens d’en trancher les tenants et les aboutissants, il n’est pas interdit de se demander où peut conduire cette résignation, cette indifférence et toutes ces formes de repli sur soi ?

Possiblement vers toujours plus de tensions politiques et sociales irrépressibles et pour ainsi dire de moins en moins contrôlables et gérables, pouvant déboucher sur une situation totalement anarchique. Un chaos qui serait alors la porte ouverte aux pires aventures avec pour choix : un régime laïc autoritaire et répressif ou un régime autocratique théologique tout aussi intransigeant et brutal !

Pour l’heure, les rapports de force n’étant pas encore suffisamment établis, les formations politiques alternent, -de manière hésitante-, confrontation directe et conciliation silencieuse, avec pour objectif commun et constant: Accéder / Se maintenir au pouvoir et contrôler les appareils d’Etat !

Quant au plus petit dénominateur commun à toutes ces fractions en lutte, il demeure inchangé: l’immuable fascination de l’Argent pour lui-même, totalement autiste aux vicissitudes et injustices environnantes.

Peu de nos concitoyens se sont prononcés et ont pris parti sur ce qui s’apparente à un mauvais coup porté au « vivre ensemble » déjà passablement éreinté et esquinté et qui a pour nom magique : Réformes structurelles. Une imposture fantasmagorique à laquelle trop nombreux s’abandonnent.

Pourtant tout un chacun décode ce qu’elles veulent dire vraiment : Austérité et coupes sombres pour le plus grand nombre et prévalence des avantages et acquis du petit nombre. Faut-il à ce point méconnaitre les arrière-pensées des partis les plus en vue qui se disputent le pouvoir et les motivations non moins connues du FMI ? Il n’y a rien à attendre de bon de ces réformes-là, qui signifient toujours et partout la même chose: Pénitence et abstinence pour les uns, dispense et bonnes grâces pour les autres. Trop peu se risquent encore à se prononcer pour d’autres réformes. Celles qui par un desserrement de la contrainte du remboursement de la dette, permettrait de relancer la dynamique sociale autour d’objectifs bien plus fédérateurs et avec le consentement du grand nombre.

Aussi et pour dire les choses crument: Si les dites « réformes structurelles » apparaissent comme inévitables, c’est moins par une prétendue fatalité, que par une réelle indifférence et abstention collective. Du coup si quelques prescripteurs d’opinion et groupes de pression peuvent faire croire à l’inéluctabilité de ces réformes-là, obligeamment relayées par une presse complaisante, c’est parce que la masse les ignore mais surtout parce qu’elle ne s’en soucie pas !

Sans doute pourrions-nous conclure sur un précepte de A. Gramsci, à propos de l’inévitabilité apparente d’un drame pressenti : « Certains se mettent  à pleurnicher de manière pathétique, d’autres blasphèment de manière obscène, mais rare sont ceux qui se demandent : et si moi aussi j’avais fait mon devoir, si j’avais tenté de faire valoir ma volonté, mon avis, est ce que ce qui s’est passé se serait passé ? »…A bon entendeur !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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