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Par Hadi Sraïeb –Le déclin industriel d’une économie asociale de marché !

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La métamorphose économique, qui s’est opérée durant plusieurs décennies, a manifestement conduit dans une impasse. Il ne semble pas abusif d’user du terme de « Déclin ». Ce processus récessif protéiforme est observable dans ces dernières conséquences et implications: une économie à deux vitesses, une santé à deux vitesses et une éducation à deux vitesses.

Il est vrai que la globalisation-mondialisation libérale est passée par là ! Nos élites intellectuelles et dirigeantes ont, pour l’essentiel, jugé bon d’adhérer à ce nouveau paradigme surgit au tournant des années 90, de « la libre circulation des marchandises et des capitaux » et à la logique de « des avantages comparatifs ».

Le maître mot devenant désormais « Compétitivité du site (ou produit) Tunisie », en lieu et place de « Développement » défini comme progression du « bien-être » social, tant individuel que collectif. En dépit d’une révolution largement sociale, l’obsession mercantile et vénale reste largement dominante !

Le développement est réduit, rétréci à la seule croissance marchande !

Il n’y a pas lieu ici de revenir sur l’histoire économique complexe, parfois chaotique, faite de réelles avancées, mais aussi de retards et de reculs significatifs. Cela nous conduirait bien trop loin compte-tenu de l’espace alloué à cet article !

Reste qu’une Contre-Histoire économique de l’histoire officielle mériterait d’être réalisée afin de relever les inexactitudes, les contrevérités et autres fictions flatteuses (la success-story des 5% de croissance, le miracle tunisien, le bon élève du FMI) dont continuent à s’enorgueillir nombre de confrères économistes !

Nous serions donc dans la bonne voie, nul besoin de changement de cap.

Pour preuve leur émerveillement admiratif mais aveugle devant la gestion rigoureuse des finances publiques de l’ancien régime (41% Dettes / PIB en 2011) occultant et dissimulant le fait majeur que la réduction et la stabilisation de la dette avait été obtenues par une vague sans précédent de privatisations d’industries tout ce qu’il y a de plus viables et de ventes de licences: 208 opérations ayant rapporté plus de 6 Mds DT (avec un taux de change à quasi parité avec les principales monnaies internationales).

Une lente métamorphose quasi imperceptible s’est donc produite débouchant sur un déclin multiforme : celui de la couverture sociale (1 travailleur sur 2 est dans l’informel), celui des services publics (délabrement quand ce n’est pas le dépérissement des services de santé et d’éducation), celui des biens communs (eau, électricité, routes : en situation de décrépitude avancée), celui encore bien plus grave car créateur de valeur: la relative mais bien réelle désindustrialisation du pays, au profit d’un retour en force et d’une remontée irrésistible des importations, y compris celles des biens les plus simples à produire.

A telle enseigne que de nombreux industriels ont fait et font désormais le choix de basculer leur activité vers le négoce international et les activités sous franchise.

Alors que durant les 3 premières décennies (60-80) le pays s’était obstiné et avait réussi à construire un tissu relativement dense et diversifié d’industries manufacturières répondant aux besoins (biens intermédiaires et de consommation), le virage des années 90 sera fatal !  Depuis lors de nombreuses filières-amont comme aval ont disparu, d’autres sont passées partiellement ou totalement sous contrôle étranger.

Tant en termes de valeur ajoutée qu’en termes d’emplois réellement salariés (CDI) les industries manufacturières ont vu leur contribution productive et sociale fondre comme neige au soleil, mais sans doute pire encore, elles sont désormais vieillissantes et quasi obsolètes à l’exception de quelques branches tournées vers l’exportation ou les activités de sous-traitance internationale.

La Tunisie n’est plus en capacité de fabriquer quantité de produits et d’objets destinés à la satisfaction des besoins locaux, concurrencés qu’ils sont, par les déferlantes de produits étrangers.

Nul besoin de solliciter l’appareillage statistique (INS, ITCEQ et même de la BCT…) largement biaisé.

La statistique officielle est et reste politique, même si elle n’est pas que cela: le choix de définition d’indicateurs, de modalités de mesure, de sélection de périodes, n’ont rien de neutre.

Tout concoure à légitimer le discours dominant dans ses diverses sensibilités, y compris critiques, sans jamais toutefois permettre une remise en cause des orientations prises, ni des mécanismes et logiques que celles-ci génèrent !

Tant est si bien que passé le moment de stupéfaction (les écrits économiques officiels des dernières temps ressemblent à si méprendre, à ceux de la décennie 2000, voire à ceux de celle qui précède) succède une indicible mais réelle sidération : A croire, en effet, que toutes les institutions (et leurs rédacteurs) en charge de l’explicitation de la politique économique et de ses diverses déclinaisons ne font que procéder qu’à des « copier-coller » de rapports bien antérieurs, sans le moindre ajustement, ni le moindre remaniement, à l’exception de quelques chiffres servant d’actualisation.

Essayez, vous serez édifié ! Les discours économiques tant en termes d’objectifs, de trajectoires, de conditions préalables et autres considérations sont pour ainsi dire identiques d’une décennie à l’autre ! Mais soyons juste !

Deux adjectifs ont tout de même fait leur apparition: La croissance doit être désormais « inclusive » et « durable ». Il est vrai que nos distingués économistes et vénérables experts ne sont pas à un oxymore près ni même à une contradiction près ! Pourquoi un tel acharnement à ne pas voir ce qui saute aux yeux ? Les réponses restent ouvertes !

Bien d’autres avant nous, ont souligné la virtuosité de la mise en scène des chiffres (l’occultation d’informations dissonantes, les glissements dans les techniques de comptage et de classification) la maitrise de la terminologie et de la grammaire internationale à usage de la communauté des bailleurs de fonds et bien d’autres artifices… mais tous usés jusqu’à la corde.

Mais rien n’y fait ! Jamais aucun bilan rétrospectif, jamais la moindre distanciation critique ! Toujours la même ritournelle insipide de lois de finances invariablement similaires les unes après les autres, mais qui trouvent toujours la ribambelle des commentateurs du détail. Pas l’ombre d’une innovation, pas de nouvelle trajectoire ni de bifurcation !

L’industrie manufacturière est en panne, (elle a perdu plus de 10 points du PIB et quelques 300.000 emplois pérennes) submergée par le flot continu d’importations (résultant de la multiplication des accords de libre-échange) et entrainant dans son sillage tout le modèle économique général dans une catalepsie insurpassable

Au fil du temps, la stratégie d’extraversion inaugurée au tournant des années 90 (recours aux IDE, soutien massif à l’export et au redéploiement à l’international du capital local) a fini par venir à bout de toutes les velléités d’investissement local et d’accumulation autocentrée.

L’investissement industriel d’extension comme celui d’innovation est pour ainsi dire à l’arrêt faute d’un marché solvable trop étroit et d’une multiplication des barrières à l’entrée (instabilité juridique et fiscale, tracasseries kafkaïennes administratives).

Il est grand temps que tout cela change, même si d’évidence cela reste encore un vœu pieux

 

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie de développement

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Publié par
Tunisie Numérique