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Par Hadi Sraieb – Le gouvernement de compétences nationales : Un pilotage à vue néo-corporatiste !

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Le choix lexical définissant le nouveau gouvernement, on l’aura compris, ne présente aucune nouveauté, ni moins encore une surprise. Un gouvernement qui s’inscrit d’emblée et délibérément dans le droit fil de ses prédécesseurs tour à tour apolitique puis non partisan (consensus national, union nationale). Cette constance tient bien sûr à la configuration de l’espace politique considérablement morcelé, reflet lui-même de l’éparpillement de l’électorat. Aucune force politique n’est en mesure d’imposer « le fait majoritaire », comme cela est le plus souvent la règle en démocratie. L’absence de ce fait majoritaire est d’emblée préjudiciable à l’exercice du pouvoir, à la reconnaissance de son autorité, à la légitimité de ses choix, à la justification de ses actions. La nouvelle législature s’annonce donc, une nouvelle fois, sous de mauvais augures. Elle porte en elle les ferments de l’instabilité et l’indétermination de l’action gouvernementale !

Une prédiction sans fondement et un apriori péremptoire vont s’empresser de rétorquer les optimistes béats, experts autoproclamés et commentateurs « es qualité » de la chose politique, intéressés aux jeux troubles de la période qui s’ouvre ! Rien n’est joué d’avance mais les paris sont ouverts !

Les prémisses et signes avant-coureurs d’une conjoncture politique à venir, confuse et désordonnée, sont pourtant bien là. Cela peut s’observer tant au niveau des manœuvres et tractations au sein l’assemblée nationale que des atermoiements dans la composition future du gouvernement.

S’agissant des débuts de l’assemblée, volte-face, reniements, connivences ont marqué le processus de pourvoi des postes du perchoir comme de ceux des commissions, et cela sans le moindre état d’âme. Irrespect, déloyauté vis-à-vis des électorats apparaissent comme une seconde nature !

La formation d’un gouvernement autour d’un premier ministre sans ambition affichée, relève de la même logique : conciliabules, manœuvres, marchandages ; une logique qui débouche inévitablement sur un attelage hétéroclite de ministres sans objectifs communs et partagés.

Tout ceci renvoie à une configuration de type néo-corporatiste dans la mesure où l’intérêt général est perçu comme la combinaison optimale d’intérêts singuliers. C’est notre conviction forte ou pour le moins l’hypothèse que nous formulons dont certains aspects sont d’ores et déjà démontrables.

La valeur explicative du schéma néo-corporatiste et par là son prolongement prédictif comme modèle interprétatif des rapports entre groupes d’intérêts et Etat nous apparaît comme pertinent.

Par « néo-corporatisme » il faut entendre non pas tant les groupes constitués ou institutionnalisés tels l’UTICA et l’UGTT et autres corporations professionnelles (médecins, avocats, experts comptables), mais bien plutôt des regroupements d’individus unis par des liens matériels, moraux et idéologiques, hors de toute considération professionnelle. Il s’agit donc de groupes d’intérêt qui débordent les organisations professionnelles proprement dites qui ne représentent que des intérêts spécifiques.

Chaque groupe d’intérêts dispose de moyens d’action au prorata du soutien éclectique mais réel qu’il suscite dans la population. Il est alors en mesure d’exercer une influence proportionnelle à l’intensité de ce soutien qui lui-même peut être largement versatile et volatile, au gré des circonstances et des enjeux de chaque instant. Rien à voir donc avec une structure et un fonctionnement de parti (objectifs, méthodes, discipline partagés en commun). Chaque groupe est ainsi amené à promouvoir ou à défendre des intérêts circonscrits et limités dans sa double relation aux autres groupes et à l’Etat d’autre part. Les coalitions de groupes vont se faire puis se défaire et se recomposer sur des bases radicalement différentes (ami d’hier, ennemi d’aujourd’hui et inversement) au gré de l’agenda politique ou des questions prioritaires du moment.

La cohérence de l’action gouvernementale va s’en trouver empêchée; obligée qu’elle va être de trouver toutes sortes de faux fuyants, de demi-mesures, afin de maintenir les équilibres précaires !

L’intérêt essentiel du schéma néo-corporatiste est de mettre en relief un mode d’interrelation entre l’Etat et les groupes d’intérêts fondé sur l’échange. Les interactions entre les groupes vont se nouer au cœur même du processus de négociation où l’Etat va jouer alors le rôle d’arbitre. Les choix, en dernier ressort, du gouvernement qu’ils soient inappropriés, voire incongrus, vont bénéficier alors d’un soutien et d’une approbation en retour. La légitimation réciproque va alors jouer à plein !

L’intérêt général va prendre la forme travestie de l’optimum social (plusieurs groupes sont d’accord sur un enjeu spécifique), alors qu’il n’est en réalité que la somme plus ou moins satisfaisante des intérêts des groupes d’influence unis pour la circonstance. D’aucuns nommeront ces arrangements de compromis. Ces pratiques observées tout au long de la période passée vont s’en trouver confortées.

Le concept « d’échange politique » est central puisqu’il traduit la participation de groupes à des négociations avec le gouvernement, en échange de la garantie du consensus social et de la légitimation de la politique publique. Subséquemment, l’État va intervenir dans la formation des intérêts puisqu’il peut en moduler la portée, et du même coup autoriser ou empêcher la fonction représentative des groupes. Il se positionne donc comme un « médiateur » face à ces groupes qui eux-mêmes vont se défaire et se refaire au gré des enjeux successifs. Il s’agit là d’une combinaison hybride de pratiques clientélistes et électoralistes dont on perçoit bien qu’elles ne se recoupent pas totalement mais qui instaure une indétermination quant à la hiérarchisation des priorités (souvenez-vous du trop-plein de priorités du consensus de Carthage totalement ingérable)

En ce sens, l’Etat n’est pas au-dessus de la société civile et garant d’un intérêt général et supérieur à tous les intérêts particuliers fussent-ils coalisés, mais bien un Etat dans la société civile dans la mesure où il est lui-même « créateur des arrangements » avec les groupes d’intérêts. Le caractère contingent lié aux « humeurs » (relire Machiavel) des coalitions d’intérêts va inévitablement conduire à une inconsistance de l’action gouvernementale faite de demi-mesures et de faux fuyants, incapable de faire reculer avec persévérance et constance, les maux qui assaillent la société.

La prochaine mandature s’inscrit, comme par le passé, dans une logique de gestion du quotidien et à vue des intérêts des groupes, et qui laisse peu de place à une logique dite de réformes structurelles qui aurait pour effet de reconfigurer l’agencement des intérêts les plus puissamment défendus.

Il ne faut donc pas s’attendre à de véritables inflexions dans la conduite de la politique économique.

Pas de modifications substantielles dans la politique d’importations. Un « laissez-faire » qui ne peut conduire qu’au renforcement de la contrainte extérieure qui satisfait néanmoins les intérêts des importateurs formels comme informels, mais aussi toute une frange de la population attachée à son mode de vie. Pas de modifications non plus dans la politique d’attractivité des investissements étrangers. Tous sont les bienvenus fussent-ils destructeurs du tissu économique (franchises, Malls commerciaux) ou puissants appels d’air de ressortie de devises. Mais il est vrai que cela coïncide également avec les attentes de groupes d’intérêts locaux en quête d’opportunités lucratives.

On pourrait ainsi anticiper et prédire les lieux où cette logique néo-corporatiste va s’exercer. Comme à l’évidence dans le fameux équilibre harmonieux entre le privé et public dans les domaines de la santé et de l’éducation qui n’est jamais que le reflet du consensus autour du désengagement lent et silencieux de l’Etat de ces secteurs, assentiment indéboulonnable qui satisfait de larges groupes d’intérêts et leurs soutiens. Pas plus qu’il ne fait s’attendre à la mise en œuvre d’un nouveau contrat social dont l’enjeu majeur serait la résorption progressive du sous-emploi et du chômage mais qui impliquerait un bouleversement des « pré-carrés » de très nombreux groupes d’intérêts

Du coup et dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, la règle d’or du futur gouvernement va consister en une fuite en avant selon les lignes de moindre résistance. Les Lobbys et groupes d’influence en tout genre ont de beaux jours devant eux !

Par Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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Publié par
Tunisie Numérique
Tags: gouvernement