Par Hadi Sraïeb: Les promesses n’engagent que ceux qui veulent bien y croire !

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A chaque formation d’un nouveau gouvernement, l’espoir, -même timide et circonspect-, renait dans l’opinion publique ! C’est dans la nature des choses. Le dernier en date n’échappe pas à la règle. Peu ou prou, et en dépit du caractère chaotique de sa constitution, tout le monde veut croire qu’il fera mieux que ces prédécesseurs. La solennité et le cérémonial produisent toujours le même effet de renouveau et de changement ! Mais à y regarder de plus près, on peut aussi se croire dans une « Commedia dell’arte » où les acteurs masqués improvisent, avec brio et sagacité, sur des thèmes de la culture populaire.

Des acteurs professionnels renouvelés au gré des circonstances mais qui incarnent toujours les préoccupations et les protagonistes de cette culture. Des personnages reconnaissables à leur caractère stéréotypé, pourvus d’une rhétorique emphatique ou sentencieuse associée à une posture immédiatement suggestive et identifiable.

Au-delà de thèmes variés, le but de la Comédie reste inchangé: distraire (dans tous les sens du terme) !

Dans le cas qui nous occupe, il s’agit des ministres de ce nouveau gouvernement dont on a peine à entrevoir ce qui les distingue nettement de leurs prédécesseurs, tant au plan des priorités affichées que des premières décisions mises en œuvre.

On change les acteurs et on recommence, toujours la même comédie, semblent susurrer les sceptiques. Signes de cette constance, disent-ils: Les priorités sont, -comme précédemment-, bien trop nombreuses pour être crédibles et les premières actions, -comme par le passé-, bien trop dans les pas mêmes de ceux qui les ont devancé. On a quelque mal à entrevoir la moindre nouveauté.

Les apparences pourraient être trompeuses.

Il n’en est rien ! La présence de ministres plus largement issus de l’appareil d’Etat et moins des formations partisanes ne garantit en rien un changement de cap ni la moindre bifurcation dans la conduite des affaires ! Mais il y a, -à vrai dire-, une autre perception des choses.

La « realpolitik » commande, disent les plus tempérés et pondérés: les marges de manœuvre sont étroites et, qui plus est, réduites par la pandémie. Il est, dès lors, inenvisageable de faire autre chose que de « sauver ce qui peut l’être encore » ; d’autant que le contexte politique (une ARP versatile et des partis ondoyants) ne se prête à aucune brusquerie, ni à la moindre inflexion.

Une pondération et prudence qui exigent une « paix des braves » (Hamilcar Barca), ou sa version plus moderne et actuelle « d’Union Nationale », permettant au gouvernement d’aller au bout de ses objectifs, autrement dit jusqu’à la fin de la législature. Il faudrait donc donner « sa chance » à ce nouveau gouvernement ! Soit ! Mais alors on est saisi par ce paradoxe que l’on peut résumer par la formule d’Edouard Saïd : « L’intensité du sentiment de nouveauté est bien trop souvent proportionnelle à la perte de mémoire ». Car c’est bien là que le bât blesse !

Cette fraction de l’opinion qui se veut raisonnable semble être frappée d’une grave et subite amnésie !

En quoi ce gouvernement est-il nouveau ? Présente-t-il la moindre différence d’objectifs et de méthodes qui lui permette de réussir, là où tous les autres ont échoué. Ce gouvernement est-il plus lucide, plus expérimenté que ces prédécesseurs ? A-t-il indiqué qu’il choisirait une voie originale et singulière qui le différencierait de ses devanciers ? Rien de tel ! Le bon sens critique dit exactement le contraire !

Sans doute faut-il commencer par démontrer et apporter les preuves suffisantes pour pouvoir affirmer que ce gouvernement est une quasi-copie conforme de ses précurseurs pour la conduite d’une même politique quasi-identique aux précédentes, -à toujours-, quelques variations près, à la marge !

Si l’on devait ne retenir qu’une seule caractéristique essentielle à ce gouvernement comme aux autres, une sorte de maître-mot, ce serait bien celle de la « fuite en avant » !

La poursuite immodérée et incontrôlée de l’endettement, la régression de l’impôt, la volonté réaffirmée d’une nouvelle amnistie fiscale et par là pénale, s’inscrivent dans le droit fil des politiques menées jusqu’ici !

Les tours de passe-passe autour de la circularité de l’économie où toute dette émise finit par s’éteindre, laisse entière la question du débiteur-payeur en dernière instance ! Question qui se résout le plus souvent par une augmentation des impôts, ou son pendant, une réduction des dépenses. Ce gouvernement va donc comme ses devanciers emprunter pour rembourser sans autre forme de procès, réduisant du même coup les capacités publiques (titre II) de redressement et de renouveau économique !

Le gouvernement annonce la poursuite des réformes, notamment dans le domaine de la fiscalité, alors que la période nécessiterait une plus large assiette et une répartition plus équitable de l’impôt. Il empreinte, de manière mimétique, la même voie : réduction du niveau d’imposition pour les entreprises (30, puis 25, puis 18%) et les couches aisées (baisse des taxes sur les biens de luxe), contrebalancée par un accroissement de la fiscalité indirecte (éminemment injuste) y compris sur les biens de première nécessité des couches moyennes et populaires ! Dans la même veine et exploit s’il en ait, les forfaitaires (400.000) verraient leur contribution passer de 40 MDT à près de 160 MDT.

A l’évidence le dérisoire le dispute au ridicule !

Que dire de cette infâme et renouvelée amnistie fiscale et de changes ? Les beaux esprits sont silencieux !

Ce gouvernement ne sort pas des clous, il réitère la démarche de 2014 (partiellement avortée) et reprend à son compte l’essentiel des modalités des amnisties successives des années 1997, 2002, 2004, 2006.

Il mobilise les mêmes sophismes pour des fins plus qu’incertaines. L’examen au cas par cas, -par une commission ad hoc (à l’abri des regards indiscrets) débouchant sur une amende de 10%, permettrait de libérer des montants considérables (sic), de nouveau disponibles pour l’investissement, de faciliter le rapatriement de devises consolidant ainsi les ressources extérieurs et de donner aussi une bouffée d’oxygène aux recettes fiscales de l’Etat qui lui font si cruellement défaut. L’histoire enseigne que rien de tel ne se produit !

L’opération (comme les précédentes) ne « libérera » qu’un montant dérisoire d’investissement (quelques dizaines de millions), pas plus d’ailleurs que de rapatriement de devises (quelques millions), ni moins encore d’apport net de recettes fiscales (au mieux entre 1 et 2%). La raison en est simple et d’ailleurs toujours la même. Les fraudeurs continueront à conduire leur arbitrage habituel ( (coût / bénéfice) entre leur utilité (continuer à dissimuler) et leur aversion au risque de sanction (amende graduée) et ainsi s’offrir à moindre frais une nouvelle immunité. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail ultérieurement.

Quoiqu’il en soit, on a effectivement changé les acteurs, sans toucher le moins du monde à la trame des intentions toujours les mêmes : Faire au mieux sans toucher au modèle de développement pourtant à bout de souffle, insoutenable et profondément inéquitable. Une comédie qui vire manifestement à la tragédie !

On a eu beau espérer qu’en cette circonstance exceptionnelle, -une pandémie dévastatrice amplifiant la crise organique sociale et économique-, l’occasion était, pour ainsi dire, offerte de revoir de fond en comble la stratégie de développement et les méthodes et moyens qu’il conviendrait de mobiliser et mettre en œuvre.

Rien n’y fait, ni même ne fera, du moins à court terme ! Ainsi va le pays de Charybde en Scylla !!!

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

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