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Par Hadi Sraïeb – L’incurie conduit tout droit à une austérité sans précédent !

Par Hadi Sraïeb – L’incurie conduit tout droit à une austérité sans précédent !

L’annonce d’un besoin de financement de l’ordre de 10 milliards de dinars pour boucler l’exercice budgétaire 2020 n’a pas raté son effet !

L’opinion publique, avec ses diverses composantes, découvre sidérée et atterrée, l’ampleur du désastre: Des finances publiques exsangues !

Une déflagration qui prend par surprise toute une population déconcertée et anxieuse face à la nouvelle réplique de la pandémie : la seconde vague est bien là !

Dans la foulée le gouvernement bégaye un semblant d’explication: La pandémie a réduit les rentrées fiscales et a occasionné de nouvelles dépenses.

Comme si cela ne suffisait pas, il y aurait aussi à combler le trou abyssal « découvert » de 4.5 Mds DT, à savoir, un cumul d’engagements pris au fil des années vis-à-vis du secteur parapublic, mais jamais honorés (subventions, règlement d’impayés, etc.).

Le gouvernement se livre à une sorte d’opération vérité et de transparence, -sans équivalent par son courage lucide-, mais qui exigerait de trouver en 2 mois quelques 10 à 11 Mds DT ! Une broutille !!!

Dubitatifs mais loyaux, tout ce que le pays compte d’experts de la chose publique, se lancent spontanément et à corps perdu, dans cette recherche de solutions avec d’autant plus de frénésie que le gouverneur annonce mettre son véto à tout financement par la BCT de ce déficit inouï, exorbitant !

L’espace d’un instant d’hallucination collective, tout ce petit monde (dont je fais partie) livre ses suggestions : un mix entre un report possible de dépenses et de décaissements et un abondement limité en liquidités par la BCT.

Dégrisé, l’instant d’après, la lucidité revenant, on finit par percevoir l’absurde de la situation ! Trouver 10 milliards en 2 mois, voire même la moitié est proprement impossible !

Je passe sur les discussions techniques (BTA, financement direct du Trésor Public, report des subventions et d’échéances de remboursement) comme si tout cela était encore de l’ordre du rationnel et du raisonnable (pragmatique disent les plus illuminés), sans percevoir que l’on était, -l’instant d’avant-, en pleine fantasmagorie, où le l’insensé le dispute au non-sens ! Réveil brutal donc: Le gouvernement dans le droit fil de ces prédécesseurs croit pouvoir continuer à conduire une politique cynique, résolument aveugle, aventureuse et couteuse !

Le moment est sans doute venu de dire : stop ! Vous nous conduisez tout droit vers les abîmes !

L’impasse étant désormais manifeste pour ne pas dire indéniable, le gouvernement s’emploie désormais, suivi de ses porte-voix, à justifier le pourquoi et le comment d’une telle gabegie, d’un tel désastre.

Des arguments usés jusqu’à la corde, relayés comme il se doit par le petit monde clos de l’expertise, mais dont il espère toujours qu’ils convaincront et finiront par emporter l’adhésion du plus grand nombre.

Le pays vit au-dessus de ses moyens ! Les subventions sont détournées de leur finalité et ne profitent pas aux démunis ! L’endettement a été dévoyé par les surenchères salariales et la frénésie de consommation ! La valeur travail a disparu ! L’Etat surdimensionné (41% du PIB) entretient une bureaucratie inefficace, tatillonne et parasite ! La gestion des entreprises publiques est inamendable, irrécupérable, calamiteuse !

Approximations et contre-vérités, tout y passe… et ce n’est que le début ! Car à l’évidence il y a bien des arrière-pensées à cette dramatisation sur-jouée et à laquelle se prêtent volontiers certains beaux esprits !

De quel pays, parle-t-on, qui vivrait au-dessus de ses moyens ! Un pays où le revenu médian des actifs est de 380 DT, tout juste au-dessus du SMIG (345 DT) et celui des retraités à 270 DT !

De quelle valeur travail évoque-t-on quand 45% de la population active vit d’expédients et que 35% des jeunes diplômés sont au chômage forcé ?

De quelle inhabilité et inaptitude (congénitales pour certains) de l’Etat parle-t-on, incapable qu’il serait de conduire une gestion saine et performante des activités qui lui sont confiés par la collectivité !

On est là, d’emblée, enfermé dans un jugement de valeur péremptoire dont les seuls critères d’appréciation sont ceux de la gestion privée (sélection par le prix, rentabilité) qui précisément ne s’appliquent pas à la gestion publique (péréquation, aménagement du territoire).

Amnésiques, nos experts à courte vue, évacuent le lent processus de désengagement de l’Etat qu’ont subi, au fil de trois décennies, les entreprises du service public (ponctions du résultat, non renouvellement de l’outil productif vétuste et obsolète, ingérence intempestive dans la gestion). Toutes sont dans un état critique (STIR, STEG, Fouledh), certaines sont dans un état d’épuisement avancé, incapables d’assurer leur mission (SONEDE, ONAS).

En réalité, la pandémie a fonctionné comme un « révélateur » des errements d’une politique économique quasi-inchangée depuis plus de deux décennies: L’Etat a créé ses propres déficits et ses pertes cumulatives !

Pour sortir de cette impasse, le gouvernement après avoir essayé une nouvelle tentative de fuite en avant (nouvel endettement et recours à la planche à billets) qui vient de lui être sèchement et crûment refusée, va en revenir à la seule porte de sortie qui lui est offerte, celle de la rigueur et de la rationalisation (substituts commodes à ce qui en réalité est l’amorce d’une réorientation austéritaire).

Austérité donc, mais jusqu’où et comment ? Tout est là !

Les inusables et immuables recettes surannées refont surface: réduire les dépenses (entendre en priorité à caractère social), dégager de nouvelles recettes fiscales (entendre sans toucher à la « compétitivité des entreprises » ni altérer les capacités d’épargne des couches aisées).

Toutefois dans ce contexte de désaffection politique doublée de ressentiment, le chemin est des plus étroits, sur « une ligne de crête » disait l’ancien premier ministre français.

Augmenter les taxes indirectes, mais alors c’est s’exposer à la colère des couches moyennes. Réduire la compensation sans avoir préalablement construit un dispositif fiable et convenablement ciblée sur les diverses formes de pauvreté ! Une mise en œuvre précipitée risquerait de déboucher sur une nouvelle explosion sociale !

La seule piste encore peu explorée, compte tenu de la résistance présumée de la centrale syndicale est la réduction de la fonction publique et assimilée, par toutes sortes d’artifices tout à la fois peu visibles et peu sensibles (gel et désindexation des salaires, non remplacement des départs à la retraites, mise à la retraite anticipée).

Mais jusqu’où au juste ? De toute évidence cela ne suffira pas !

Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle direction ce gouvernement à la légitimité réduite va s’aventurer.

Il lui faut déjà construire un discours qui puisse lui permettre d’obtenir l’adhésion de l’Assemblée des représentants (la loi de finances 2021 vient d’être refusée) et plus difficile encore d’arracher le consentement, même passif, de la population ! Les prochaines semaines dévoileront les intentions de ce gouvernement aux abois mais qui n’évitera pas de passer par les fourches caudines du FMI et de la BM !

Nos dirigeants actuels, mais cela vaut aussi pour ceux à venir, feraient bien de se rappeler cette phrase mémorable d’Abraham Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps, et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps.”

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

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