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Par Hadi Sraieb – Loi de Finances 2020 : Pilotage à vue ou changement de cap !

Par Hadi Sraieb – Loi de Finances 2020 : Pilotage à vue ou changement de cap !

Nos compatriotes sont au moins unanimes sur un point : Pas plus la coalition sortante et son gouvernement que les nouveaux groupes parlementaires et le premier ministre n’ont véritablement de vision économique ni de programme pour sortir le pays du marasme qui perdure !

Pas moins de 10 Lois de Finances et bientôt autant de lois complémentaires ne sont venues à bout des dérives récessives. Plus précisément, notre économie est aspirée dans un tourbillon qui entraîne de plus en plus vers le bas, toutes les variables clés du processus dynamique de croissance et de développement.

Le retournement de la conjoncture couplée à la montée impétueuse des revendications sociales et catégorielles provoquent un fléchissement continu de l’investissement privé. Le semblant de croissance encore enregistré n’est dû qu’à la persistance d’une consommation privée soutenue, alimentée elle-même par des importations de plus en plus envahissantes. Pour le plus grand bonheur d’investisseurs en manque d’opportunités, reconvertis pour la circonstance en négociants, importateurs, franchisés, promoteurs de Mall et de grandes surfaces.

Une dérive tendancielle à la surconsommation relative (en rapport à la production locale) renforcée notablement par les recrutements massifs au cours des années 2012-2014 de plusieurs milliers de fonctionnaires et apparentés dans l’administration centrale et autres appareils d’Etat.

Par un effet de vases communicants bien connu, la dépense d’investissement public s’en trouve réduite (6% du PIB) consécutivement au gonflement irrésistible et incontrôlé de la masse salariale et de la dépense de fonctionnement. De surcroît, une boucle inflationniste vient se greffer sur le binôme « Consommation-Investissement » renforçant son déséquilibre; lequel est alimenté en la circonstance par la course poursuite salaires-prix.

Sur-consommation-Sous-investissement, -en termes relatifs s’entend, condense et réfléchit en quelque sorte l’ensemble des contradictions que nous exprimons et résumons trivialement sous le vocable de « crise ». Un constat du sens commun, cependant, que nous ne devrions pas traduire spontanément par « le pays vit au-dessus de ses moyens » tant les écarts de niveaux de vie et d’accès à la consommation sont considérables. Raisonner en « moyenne » est souvent le plus sûr moyen de se tromper, mais aussi d’ouvrir la porte à des réponses inadaptées, de surcroît, inéquitables.

Le couple récessif « Sur-consommation-Sous-investissement » s’incarne, -à sa façon propre-, dans les échanges avec l’extérieur. L’essoufflement du rythme des exportations de biens et de services (phosphates, tourisme, produits manufacturés) ne peut rien contre la frénétique augmentation des importations, notamment de biens de consommation courante ou ostentatoire. Le déficit se creuse irrésistiblement et implacablement. Une constante qui se confirme d’année en année.

Symétriquement, le fléchissement des investissements étrangers que ne peut compenser les transferts de la communauté résident à l’étranger et autres recettes de services, induit quasi-mécaniquement un accroissement continu du besoin de financement. L’endettement est cette autre constante !

Les déficits jumeaux (public, extérieur) qui plus est, graduellement croissants, outre le fait de réduire les marges de manœuvre budgétaire, érodent et sapent toujours plus les potentialités encore disponibles de redressement. Une sorte de logique de nœud coulant !

L’unique option qui se présente, -sauf à vouloir s’attaquer à des acquis et intérêts multiples-, est ce que nous ne cessons de répéter par l’expression de « fuite en avant ». Face aux besoins irrépressibles et grandissants de devises étrangères (règlement des importations, des prestations, des rapatriements de dividendes, des emprunts extérieurs, d’un minima de réserves de change), la solution se présente sous la forme d’un nouvel endettement. Déficits et endettement évoluent de concert. Le nœud coulant se resserre toujours un peu plus, sans toutefois donner des signes nets d’étranglement !

Toute la politique économique se réduit, -s’il était encore besoin de le démontrer-, à un pilotage à vue, hanté et obsédé par la faculté, toujours incertaine, de réussir à atteindre un nouveau sommet d’endettement. Un sommet toujours plus haut mais toujours atteint jusqu’ici.

Nul besoin d’avoir fait une grande école de commerce pour intuiter raisonnablement que cette démarche contrainte recèle en son sein mais cachés, des risques potentiels qui ne demandent qu’à se révéler au grand jour ! Un risque de défaut partiel de paiement (désynchronisation des flux entrant sortant de devises) qui prendrait alors la forme d’une crise de liquidité possiblement corrigeable, mais alors à quel prix ? Un risque de défaut de solvabilité bien plus grave nécessitant alors l’intervention inévitable du FMI et par là de la mise en œuvre d’une nouvelle opération d’ajustement dit structurel. Doux euphémisme pour désigner une politique d’austérité de dévastation et de désolation.

Le nouveau gouvernement, sur fond de versatilité parlementaire tout autant que de crispation sociale, est à la croisée des chemins. Poursuivre le pilotage à vue ou changer de cap?

La seconde option est pour ainsi dire « impensée », au mieux ignorée. Ce ne sont pas les quelques fragments, exprimés ici ou là, d’une politique de relance de type néo-keynésien mal assurée dans ses tenants et ses aboutissants qui sont susceptibles de convaincre un gouvernement irrésolu, des élus velléitaires, voire une opinion publique réticente et fébrile… De fait, les prérequis ne sont pas réunis.

Ces prérequis ne le sont ni au plan parlementaire, en l’absence de toute majorité cohérente et stable, ni au plan du gouvernement partitaire sans consistance programmatique, de ministres réunis autour du plus petit commun dénominateur, à savoir : le statu quo ante (pas touche aux intérêts catégoriels).

La probabilité de survenance de ce scénario d’un changement de cap est pour ainsi dire quasi-nulle, -sauf si et seulement si-, pourrait advenir un incident (incapacité à trouver les 12 Md DT qui manquent pour boucler le budget, propagation du risque de contrepartie inter-entreprises publiques, insolvabilité du système de couverture sociale…).

En revanche le scénario de pilotage à vue devrait perdurer, non pas tant à l’identique, mais en cherchant à trouver de nouvelles parades à la montée des intérêts corporatistes et à la grogne sociale.

Comme lors de la Troïka, la mouvance islamique connaissant ses faiblesses va s’accommoder et au final pactiser avec ses prétendus pires ennemis, avec lesquels elle a néanmoins, -en partage et en commun-, une vision libérale de l’économie et du social (liberté totale d’entreprendre, libre-échange, Etat minimal et déréglementation, approche caritative des inégalités).

Une similitude de vue qui n’enlève rien à leur conflictualité désormais ritualisée mais féroce, singulièrement autour de l’accès et la redistribution des ressources de l’Etat. La nouvelle cohorte d’heureux élus apparaît, à bien des égards, encore plus vénale et mercantile dans sa quête de prébendes, gratifications et privilèges.

D’aucuns diront que le pays est encore loin d’avoir atteint le seuil critique de basculement dans une crise financière. Le niveau d’endettement leur apparaît toujours soutenable même si les recettes consacrées à son remboursement atteignent des sommets inégalités (20% du Budget). Mais au total des montants croissants qui manquent à l’investissement public, moteur essentiel de la croissance !

Le nœud coulant se resserre de plus en plus… Mais cette logique de fuite en avant, -au final partagée par une large frange de l’Assemblée et du gouvernement coopté-, semble encore avoir de beaux jours. Mais alors pour combien de temps ? Tout se passe comme si les nouveaux pouvoirs avaient repris à leur compte l’adage de Louis XV : « Après moi….le déluge ».

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement                                      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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