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Par Hadi Sraieb – Quelle perspective: Impasse ou bifurcation ?

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Le doute est pour le moins permis ! Bien malin qui pourrait affirmer ce qui adviendra. Le paysage tout à la fois social, économique et politique, chargé de trop nombreuses incertitudes, n’autorise aucune prévision digne de ce nom ! Sans doute convient-il de rappeler qu’aucune des prédictions de nos distingués confrères ne s’est réalisée.

Les prophéties catastrophistes annonçant la faillite du pays, l’effondrement de ses finances et de sa monnaie puis sa mise sous tutelle « inévitable » par la Troïka (FMI-UE-Club de Paris) impliquant un plan austéritaire drastique …Rien de tel ne s’est produit !!

Nous même avons mésestimé la réaction des instances dirigeantes (Gouvernement et BCT) qui ont choisi de « gérer la crise » en usant d’artifices et de demi-mesures que les prédécesseurs avaient renoncé à utiliser (pénurie artificielle sélective et sporadique, report d’échéance de règlement, contrôle discrétionnaire des changes…).

De fait, et dès la sortie de la pandémie, l’essentiel des élites économiques et leurs affidés médiatiques, mais aussi les forces politiques (à certes des nuances près) avaient intégré la dite « nécessité » de réformes structurelles (mot valise rarement explicité) certains avec ferveur mais avec une duplicité dissimulée, d’autres plus résignés, avec plus de réticences et de retenues.

Les uns comme les autres savaient bien que la potion « cash against reforms » (Extended Fund facility-Accord élargi-, prêt d’argent frais contre réformes) serait particulièrement amère ! Certains, très peu nombreux se risquaient même, avec une sincérité louable, à affirmer que ces réformes seraient « douloureuses » (oui mais pour qui ?).

Le plan de réformes (les détails sont connus et se résument à l’abandon des subventions et la restructuration des entreprises publiques), un temps négocié, puis récusé constituait un véritable « défi » pour ne pas dire « piège », programme qui appliqué (vu ses multiples implications sociales) conduisait inexorablement à des troubles sociaux, voire plus encore.

A vrai dire peu de nos confrères si prolixes et si friands de formules-choc (histoire de conforter leur notoriété) n’ont alerté l’opinion sur la constance et l’invariabilité de la logique austéritaire du FMI. Une purge mise en œuvre quasi à l’identique dans tous les pays en développement faisant face à des difficultés avec pour cible centrale et permanente les couches moyennes et populaires. Certaines personnalités (Olivier Blanchard) au sein même de l’institution (le préteur en dernier ressort) ont bien tenté d’alerter sur les conséquences sociales et économiques désastreuses de cette approche dite d’ajustement structurel, des erreurs de préconisations (conditionnalités) conduisant à des dommages pas si « collatéraux » que ne le laissent toujours entendre les technocrates du FMI, mais bien à de véritables régressions sociales.

En clair le FMI serait un « pompier pyromane ».

Rien n’y fait, le FMI obstiné et buté a cherché à appliquer et reproduire la même recette en Tunisie (préconisations conditionnées) dont il est vain de rappeler tous les détails.

Pour des raisons tenant tout à la fois à la recomposition politique et donc aux rapports de force sous-jacents et à l’évolution des agrégats économiques, une « fin de non-recevoir » (du moins provisoire), a été transmise au FMI, considérant le plan de réformes comme irrecevable en l’état.

Si la communauté financière internationale a, -dans un premier temps-, déploré, voire désapprouvé l’attitude des autorités tunisiennes, elle s’est ensuite ravisée et divisée. Certaines franges (également bailleurs de fonds) se sont arcboutées faisant cause commune avec le FMI, d’autres, en revanche, ont pris une certaine distance (en rapport avec leurs propres intérêts) critique, jugeant utile de poursuivre les relations bilatérales voire même à les renforcer (Algérie, EAU, Afreximbank…)

Dans l’immédiat, un texte parlementaire autorise la BCT à prêter « à titre exceptionnel » à l’Etat 7 Mds TND (2 milliards d’euros), remboursables sans intérêts sur une durée de dix ans assortie d’une période de grâce de trois ans. Ces fonds sont censés financer partiellement le déficit budgétaire de 2024 (près de 29 Mds TND) dont 16 Mds d’emprunts extérieurs (année d’un peak de remboursement). Une source de financement qui vient compléter un ensemble de nouvelles dispositions fiscales (Loi de Finances)

Cette solution pensée comme une « alternative » à l’approche brutale et préjudiciable « cash vs. reforms » préconisée par le FMI est-elle viable ? De fait, il s’agit bien d’une aporie ! Dit autrement une question sans réponse, une difficulté logique insoluble. Osons toutefois une esquisse d’appréciation. Il y a tout lieu de croire que cette réponse singulière à la crise est « jouable » du moins à court terme. Les remboursements de dettes devraient être assurés, comme le règlement des salaires. « Pour 2024, peut-être que ça passera, et encore, si tout va bien sur les cours du pétrole et du blé », commente un bon connaisseur du pays (Les Echos 7 Février)

Reste que le prolongement et la poursuite de cette approche alternative se heurte et vient buter sur les attributs majeurs du modèle de croissance et de développement jusqu’ici inchangés. Une contradiction irrésolue jusqu’ici. En effet la pérennité du système économique actuel et ses équilibres, repose sur deux conditions incontournables: un financement extérieur toujours plus croissant: 12% du PIB (sous-capitalisation des entreprises, notablement celles du secteur privé) et une extraversion toujours plus poussée (tant à l’export qu’à l’import). Toutes choses auxquelles la solution dite « alternative » n’apporte aucune réponse. Pire et si celle-ci devait se prolonger, elle se traduirait alors par une stagnation, une inertie et une paralysie dangereuses à maints égards.

Difficile donc de trancher ! Cela interdit de se livrer à de vaines spéculations.

Peut-être alors un début de réponse à cette aporie pourrait-elle venir des prochaines élections !

 

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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Publié par
Tunisie Numérique