Economie

Par Hadi Sraïeb – Réformer : Mais où mettre le curseur ?

Par Hadi Sraïeb – Réformer : Mais où mettre le curseur ?

C’est bien connu, mais bien peu veulent l’admettre, l’économique entretient des liens indissolubles avec le politique. Pour le dire à la manière des classiques, l’économie est politique.

Un postulat qu’une majorité d’économistes comme de responsables politiques récuse, concevant la sphère de l’économie comme un agencement neutre entre des grandeurs objectives soumises à de multiples mécanismes et de relations d’interdépendance.

Production, Répartition, Circulation, Distribution, Consommation seraient pour ainsi dire des moments particuliers de l’activité humaine, qui interagissent les uns sur les autres, permettant au final de satisfaire les besoins des différentes parties prenantes selon des règles quasi naturelles ou pour le moins universelles et immuables.

L’étude du fonctionnement de « l’économie de marché » et du comportement de ses acteurs débouche sur des lois économiques intransgressibles.

Tous les agents économiques ont un comportement « rationnel » visant à satisfaire leur intérêt propre sous une logique de contrat.

L’équilibre de marché s’obtient par le jeu de la loi de l’offre et de la demande des différents biens et services échangés entre les individus. Les prix qui en découlent permettent d’optimiser les utilités de chacun, relativement à sa dotation en facteurs de production (capital ou travail).

Il va sans dire aussi que l’Etat en tant qu’agent économique neutre et au service de l’intérêt général peut intervenir pour corriger des dysfonctionnements ou pour accroitre l’efficience de son économie de marché.

Il dispose à ce titre d’instruments particuliers, comme les outils budgétaire et monétaire et plus largement les lois !

Voilà résumer en quelques lignes, la façon dont nos experts nous présentent l’économie.

La politique au sens de choix subjectif y est systématiquement absente, sauf à utiliser le terme comme une technique. Une économie où tous les échanges se font au juste prix du marché.

Le social apparait alors comme un produit de la répartition, après production, en relation avec l’action redistributive de l’Etat: satisfaction des besoins régaliens de souveraineté et des besoins collectifs de la population (sécurité, santé, éducation).

Le système de prix relatifs, issu de la confrontation de l’offre et de la demande d’individus en concurrence, traduit à leur « juste valeur » les contributions respectives des agents pourvoyeurs de capital ou de travail !

La « libre concurrence et non faussée » règle les échanges de marchandises de façon équitable et impulse  croissance et développement: L’investissement crée un surcroit d’emplois et un surplus de richesses qui peut alors être réparti harmonieusement.

Tout se fait donc sous l’égide de lois immanentes, de mécanismes objectifs produisant des effets dynamiques d’entrainement ou d’envergure.

L’Etat n’est jamais qu’un agent comme un autre.

Il intervient pour corriger des dysfonctionnements (action pro ou anti cyclique) en activant ses propres instruments en vue de régénérer et revitaliser la dynamique d’une économie de marché qui doit rester « concurrentielle » au plan local et “compétitive” au plan international.

On a là, en très condensé, la croyance profonde, la trame constante et inébranlable du discours des élites dirigeantes, même si ces dernières admettent parfois des perturbations conjoncturelles voire structurelles, mais jamais de contradictions.

L’économie sous différents aspects serait donc en crise du fait du blocage (sic) de ses mécanismes d’élan et de régulation. L’apparente objectivité de cette doxa (opinion) se double d’une interprétation culpabilisante: le pays vit au-dessus de ses moyens, la valeur travail a régressé.

Le climat des affaires est perturbé par des surenchères excessives, des mouvements de contestation permanente, des pratiques illicites qui faussent le jeu normal.

L’Etat ne fait rien pour enrayer toutes ces dérives, quand il ne s’abandonne pas lui-même au laxisme, voire au populisme. Tout est dit, rien n’est dit !

Le remède miracle à toute cette gabegie généralisée serait de mettre en œuvre les « réformes structurelles » !

A l’unisson, avec les institutions internationales et bailleurs de fonds, experts, éditocrates et autres élites bavardes en appellent tous à ces réformes, à cor et à cri. Pragmatisme pharisien… oblige !

Resterait cependant à ne plus se contenter des vagues contours à ces changements qui semblent sonner comme inéluctables et de mettre en place des contenus précis permettant d’en mesurer l’impact prévisible !

Réformer une économie…c’est jouer sur des curseurs !

L’action réformatrice consiste donc à modifier certains paramètres-clés qui entravent le dit bon fonctionnement et la reproduction élargie de cette économie de marché.

Par curseur il faut entendre: mesures législative ou réglementaire, arbitrages discrétionnaires, dispositions d’accompagnement… Mais des curseurs qui ne peuvent être déclenchés indépendamment du contexte politique, de sa plus ou moins grande stabilité du moment, de la plus ou moins grande acceptabilité anticipée des différentes parties concernées.

La politique ayant été éjectée de la réflexion économique (exceptées les erreurs des gouvernements) fait alors un retour inattendue et en force.

Comme quoi les réformes sont d’abord et avant tout politiques avant d’être économiques. Elles n’ont rien de neutres car elles affecteront de manière différenciée les diverses composantes de la société.

La plus grande difficulté réside alors dans la capacité du pouvoir et de ses soutiens à présumer (à ses risques et périls) : où mettre le curseur ? Il en va ainsi à tous les niveaux de crise empiriquement observés et retenus.

Réformer les finances publiques consiste dès lors à recréer un surplus primaire en diminuant les dépenses. Les arguments équivoques ne manquent pas: réduire de train de vie de l’Etat, geler les salaires, diminuer les effectifs, réguler les dépenses sociales.

Il convient également d’extraire les dépenses publiques d’investissement de leur carcan législatif et administratif,-sources de lenteurs et de gaspillages- et de les confier à une instance indépendante (sic) garante d’une plus grande efficacité et d’un meilleur rendement (bonjour la démocratie!).

On aura compris que le curseur incline et penche franchement du côté dépenses et non pas du côté recettes. Ces dernières ne peuvent pas être augmentées tantôt pour des raisons de pression fiscale, jugée excessive tantôt d’inopportunité, car cela affecterait la dite « compétitivité du site Tunisie » !

Fatalité irrévocable et indépassable… c’est ainsi, on n’y peut rien… mon bon Monsieur !

Il est possible alors d’égrainer toutes réformes envisagées (effets inégaux sur les différentes couches sociales) qui se profilent à l’horizon.

Il faut bien que quelqu’un paie ! Celles des entreprises publiques de service ou celles des caisses de couverture sociale.

Leurs déficits abyssaux ne peuvent être réduits que par une action énergique de compression des dépenses.

La panoplie des actions « réformatrices » est toujours la même, seul le dosage change: dispositif de départ volontaire voire de licenciement sec, allègement des frais généraux, réduction des prestations, avec possiblement au bout privatisation partielle (les fameux PPP) ou totale!

Il ne peut être envisagé d’accroitre les ressources (allongement de la grille tarifaire, augmentation des cotisations sociales), cela affecterait l’imprescriptible et inaltérable “compétitivité des entreprises “.

Dans toutes les justifications avancées, se niche un axiome convenu mais dit irrécusable, celui du caractère invariablement “vertueux” du secteur privée, de ses pratiques de gestion, de sa responsabilité sociale. Dit autrement, il faudrait réformer à peu près tout, sauf les entreprises privées jugées exemplaires!

Certains ont eu beau mettre l’accent sur l’économie de rente, sur des conduites de connivence, rien n’y fait !

Abus de position dominante, d’optimisation fiscale abusive, de concussions diverses (certaines aux limites de la légalité) sont considérées comme des épiphénomènes qui ne sauraient entacher le mérite, l’efficacité et la vaillance du dit secteur privé (assimilé pour la circonstance aux PME: Small is beautiful).

Ces considérations sont délibérément éludées de l’analyse et du raisonnement macroéconomiques, même si elles sont intimement liées aux mécanismes d’interaction étudiés et même si elles coûtent fort chères à la collectivité (avantages fiscaux : 4% du PIB, contentieux fiscal et social: 6% du PIB).

Sans doute faudrait-il apprécier puis juger la légitimité des taux de profit réalisés par certains secteurs et branches d’activité!

Des taux de profit qui, -compte tenu de l’effet levier-, surpassent à l’évidence les taux d’intérêt et autres agiotages quasi usuraires! Un aspect de la macroéconomie dissimulée, voilée à la connaissance citoyenne!

Les préparatifs vont bon train, les niveaux de curseurs sont testés. Reste à trouver le bon moment (le kairos, disent les grecs) pour passer du fait à accomplir (réformes présentées comme douloureuses mais sans dire pour qui) au fait accompli.

Dit autrement, cette économie mais rassérénée… demeurera à deux vitesses !

Si réforme il doit y avoir, il convient de réaliser a priori et sans détours de véritables études d’impact comme cela a déjà été fait à propos du très controversé accord de libre-échange (ni tout à fait complet ni tout à fait approfondi).

Ou si l’on préfère l’économie est une chose bien trop sérieuse pour la laisser entre les seules mains des experts….Les choix économiques sont toujours politiques !!!

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

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