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Par Hadi Sraïeb – Sortir de la crise par le haut: esquisse d’une trajectoire

Par Hadi Sraïeb – Sortir de la crise par le haut: esquisse d’une trajectoire

Rien n’est simple tant les contradictions sont nombreuses et le climat social délétère et paralysant ! Il y a toutefois deux manières de sortir de ce marasme ambiant : Par le haut ou par le bas !

Ce qui semble se dessiner pour l’heure est la solution par le bas.

N’envisageant pas toucher aux acquis des uns et des autres, par crainte d’être désavoué et subir les assauts de nouvelles frondes corporatistes, le gouvernement semble se résigner à appliquer les recommandations maintes fois répétées par les grandes institutions (FMI, UE, BM), à savoir ; la nécessaire mise en œuvre d’une politique austéritaire. Nous en avons désormais une connaissance assez précise, suite aux promesses écrites faites au FMI.

L’objectif à moyen terme (2025-2026) est d’atteindre l’équilibre des finances publiques (voire dégager un surplus primaire) et de réduire un tant soit peu le déficit extérieur.

Pour se faire, le gouvernement propose 3 réformes majeures.

  1. La première consiste dans la renonciation progressive aux subventions accordées aux produits alimentaires, ainsi que celles octroyées aux produits énergétiques.
  2. La deuxième vise à réduire le poids jugé excessif de la masse salariale des fonctionnaires qui grève et obère l’action publique, empêchant un redéploiement plus efficace de la politique budgétaire en matière d’investissement et de commande publique.
  3. La troisième cherche à réduire les pertes abyssales du secteur public dans ses deux composantes : les organismes de couverture sociale (santé et retraite), et les entreprises à caractère industriel et commercial (électricité, gaz, eau, transport).

Il s’agit donc de trouver les formules adéquates et les plus acceptables socialement en vue de leur restructuration. Raison d’ailleurs pour laquelle le mot même de privatisation est banni, mais qui pourrait tout aussi bien se traduire par le retrait de certaines activités jugées non essentielles (vente par appartement), par la mise en œuvre de PPP sur de nouvelles activités, mais plus surement encore par des plans sociaux de réduction d’effectifs (STEG, TUNISAIR, SONEDE, ONAS…). 

Comme tout cela apparait socialement hautement inflammable et largement impopulaire, le gouvernement tente de négocier la durée effective de mise en œuvre.

Le FMI table sur deux à trois ans avec un engagement fort dès la première année (2023), tandis que le gouvernement souhaite un délai plus long de manière à laisser l’inflation faire son œuvre.

La désindexation des salaires déjà à l’œuvre, complétée par un gel des rémunérations voire la réduction de certaines rétributions devrait permettre de faire une partie du chemin, l’autre partie étant assurée par le relèvement progressif et significatif de tous les tarifs des biens publics (eau, électricité, gaz, transport).

Avec un temps plus long et sous l’effet d’une inflation importante, la perception d’une perte de pouvoir d’achat serait atténuée, y compris en cas de faible augmentation des rémunérations.

Avec une augmentation de l’inflation de l’ordre de 8% sur 4 ans les autorités peuvent espérer une baisse du pouvoir d’achat des revenus de l’ordre de 30% (Un salaire de 1000 DT équivaudrait 735 DT dans 4 ans).

Ce phénomène est bien connu des économistes, il s’agit de « l’illusion monétaire » (une baisse du pouvoir d’achat que les agents ne voient pas lorsque la hausse du niveau général des prix a été plus rapide que celle de leur revenu). Mais où est donc passer le devoir d’information civique de mes chers confrères ?

Il y a une alternative, celle d’une sortie par le haut sensiblement moins douloureuse et plus consensuelle !

Le dialogue comme la négociation sociale se font traditionnellement de manière triangulaire, tripartite.

La révision des conventions collectives, du niveau du SMIG et d’autres dispositions supposent l’assentiment des parties.

En l’occurrence et comme nous l’avions déjà proposé en 2011, il conviendrait, cette fois-ci, de laisser le soin, aux seuls partenaires sociaux, de définir un « Pacte Social » révisable à l’horizon de 2 ou 3 ans. Comme l’UTICA et l’UGTT se regardent en chiens de faïences (méfiance), s’accusant mutuellement de bloquer le nécessaire processus de réformes, il conviendrait de les obliger (quitte à les enfermer dans un luxueux hôtel le temps qu’il faut) à négocier et par là, à trouver les compromis nécessaires permettant de dépasser cette phase d’immobilisme si préjudiciable.

Il n’est bien évidemment pas de notre ressort, de définir quel pourrait être le contenu de ce nouveau « Pacte Social ». Chacun d’eux semble avoir des revendications et des attentes contradictoires sinon radicalement opposées.

L’UTICA attend le retour à une stabilité sociale et à une modération des revendications (traduit sous le vocable de « climat des affaires »), tandis que l’UGTT refuse tout désengagement de l’Etat (subventions, démembrement du secteur public) et exige une revalorisation des traitements et salaires.

L’impasse n’est apparente que si l’on s’en tient au seul objectif autour de la relation prix-salaire.

Or cette négociation, qui exclurait provisoirement l’Etat, pourrait s’appuyer sur une approche « pluri-objectifs », compte tenu de la diversité des questions lancinantes en suspens: chômage, précarité et pauvreté, régimes sociaux, gouvernance.

Il y a fort à parier qu’il en sortirait un compromis probablement douloureux pour chacune des parties mais possiblement original et acceptable que le gouvernement pourrait reprendre alors à son compte.

Il est vrai et à en croire les propos tenus par l’un comme par l’autre, qu’une telle approche est proprement « impensable » inouï, inenvisageable ! UTICA comme UGTT ont pris la « mauvaise » habitude de se défausser sur l’Etat et de s’en remettre à son bon vouloir !

A situation exceptionnelle, méthode exceptionnelle : Le pouvoir central devrait donc forcer les choses obligeant les protagonistes à sortir de leur pré-carré (la défense de leurs acquis), quitte à lui-même compléter les dispositions qui pourraient été arrêtées ! Fantasme, lubie irréaliste… dites-vous !

Les obstacles ne manquent pas à une telle démarche, mais comme dit le dicton qui ne tente rien, n’a rien !

Un accord fusse-t-il imparfait (mieux que pas d’accord du tout) est de nature à faciliter la reprise d’une négociation avec le FMI sur de meilleures bases. Celui-ci met dans ses préalables le consensus des parties !

Parallèlement, le gouvernement se doit également de trouver les solutions à une reprise forte des activités exportatrices à forte valeur ajoutée.

Les prix des hydrocarbures (gaz, pétrole) et des matières premières (phosphates et dérivés) flambent et ne risquent pas de redescendre de sitôt ! L’Etat pourrait, s’appuyant sur ces tendances lourdes (perspectives d’importantes recettes en devises) trouver les solutions, tout à la fois financière et sociale, permettant une relance forte et rapide de ces productions.

Le prix du phosphate (au-delà des 400$/tonne soit 8 fois son coût revient complet), le prix du gaz (5.2$/m3 soit 3 fois son coût d’extraction) le prix du pétrole (autour de 110$ soit près de 2,5 fois son coût de production) laissent augurer des recettes exceptionnelles si l’Etat s’en donne effectivement les moyens. A titre de simple illustration, la CPG-GCT pourrait engranger, en retrouvant le niveau de production de 2008, un montant net de devises proche de 2 Mds US$, soit approximativement la moitié du montant quémander auprès du FMI.

Tout cela bien évidemment suppose un double sursaut: Celui des frères ennemis obligés à se faire mutuellement confiance (une première !) mais aussi celui de l’Etat et de ses ministères pariant sur la mise à disposition des fonds (avances sur recettes) et des autorisations nécessaires, favorisant du même coup une puissante reprise de ces productions !

Un vœu pieux diront certains, tant les égocentrismes nombrilistes sont grands ! Possiblement. Mais arrivés à la table de négociation du FMI sans l’accord des parties prenantes, serait bien plus dommageables !

 

Hadi Sraïeb, Docteur d’Etat en économie du développement

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