Economie

Par Hadi Sraieb : Tout ça …pour ça !

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1.9 Milliards de US$…Tel est le montant de l’accord de prêt que sont disposées à accorder les instances dirigeantes du FMI. Un accord qui porte sur une durée de 48 mois au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) ! Ce qui signifie, -somme toute-, des droits de tirage annuels de l’ordre de 475 MUS$. Une première tranche possiblement en Janvier à la signature définitive de l’accord, puis les 7 suivantes par semestre, confirmées ou ajournées, selon une procédure codifiée et encadrée par les trop fameuses conditionnalités (état d’avancement des dites réformes). Echaudé par les tergiversations et atermoiements du précédent accord de 2.9 Mds US$ signé en 2016 mais brutalement interrompu à mi-parcours, le FMI se réserve « un droit de suivi » qui le met, apriori, à l’abri de critiques malveillantes !

Des tranches annuelles qui couvrent à peine plus de 30 %  des charges de remboursement de la dette extérieure (capital et intérêt) en 2023, et pas plus de 25% de ces mêmes charges en 2024. On est alors et raisonnable en droit de se dire : Tout ça…pour ça !

Que de « bruit et de fureur » (titre du roman de W. Faulkner), n’a-t-on subi tout au long de ces deux dernières années : Sans l’aide massive du FMI le pays courre tout droit à la faillite !

Le pays ne passera pas l’année 2021 ! Le défaut de paiement est imminent ! Des jugements à l’emporte-pièce, plus saugrenus les uns que les autres, rivalisant d’alarmisme et de fébrilité anxiogène. Une énumération inutile, la presse en est pleine…j’en passe des meilleures.

 Tout un petit monde de distingués confrères, de politiques prétendument avisés, nous prédisaient le pire ; au point de pousser les autorités (dont la BCT) à admettre qu’elles tablaient sur une fourchette de 3 à 4 milliards de dollars. « Deux gouvernements et 18 mois entre discussions techniques et négociations pour en arriver là » dit malicieusement un expert de la place !

Nous ne spéculerons pas sur les arrière-pensées du FMI qui a fini par se déterminer sur cette obole en forme de minimum minimorum ! Les desseins de cette institution vénérable sont impénétrables ! En revanche, il est toujours possible de se demander comment la formule « cash-against-reforms », (argent frais contre réformes) va effectivement être mise en œuvre ! La liste-inventaire des projets de réformes (pas loin d’une liste à la Prévert) discutées et acceptées d’un commun accord ne dit rien quant à leur faisabilité, ni quant à la cohérence d’ensemble (la pertinence globale) qui se dégagerait au final de leur mise en œuvre ! Il n’aura échappé à personne que certaines réformes sont contradictoires entre elles !

Les protagonistes (Etat-Patronat-Syndicat) sont eux-mêmes passablement divisés sur les contours et contenus de ces changements socioéconomiques, mais aussi sur leur déploiement séquentiel-lent ou simultané-rapide ! Si l’on avait encore le moindre doute sur l’incompatibilité de certaines réformes entre-elles et donc de la dissonance des objectifs affichés, il suffirait de se reporter au dernier communiqué du FMI.

Une simple illustration devrait suffire. Il est dit : « Le nouvel accord au titre du MEDC appuiera le programme de réforme économique des autorités visant à rétablir la stabilité extérieure et budgétaire de la Tunisie (comprenez : réduire la dépense publique), à renforcer la protection sociale (comprenez : augmenter la dépense sociale), et à promouvoir une croissance plus forte, plus verte, et plus inclusive » ! Excusez du peu !

Il ne faut pas avoir fait un 3e cycle pour observer qu’il y a une contradiction dans les termes !

Peu importe, les initiés de la chose auront compris que le feu vert du FMI augurerait d’un proche réalignement des planètes ! En clair les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux Européens et du Moyen-Orient vont pouvoir de nouveau « offrir leurs services » !

Alors sans doute le pays échappera-t-il à un défaut de paiement, du moins pour un temps.

« Une rude épreuve, des réformes douloureuses » reprennent en cœur nos affranchis technocrates qui ajoutent sans coup férir : « pour des lendemains meilleurs » (Pour qui ?)

A contrario de ce qui est dit, les réformes sont bel et bien en marche. Une politique d’austérité qui ne dit pas son nom, est à l’œuvre, car elle bénéficie d’un effet d’aubaine : le regain d’inflation. Un regain qui va accentuer « la désindexation des salaires et des revenus fixes ». Une austérité quasi imperceptible et lente, étalée sur les années à venir, qui va éroder le pouvoir d’achat des salariés et accentuer les difficultés des couches déjà déclassées !

L’inflation va redessiner le partage du revenu national. La suppression progressive des subventions va faire le reste. Il ne manquera plus alors qu’une seule pierre à l’édifice, celle d’un programme de privatisations. Un programme dont le produit financier permettrait d’accélérer le remboursement des dettes extérieures, un peu à la manière dont avait procédé l’ancien régime ramenant le taux d’endettement à 42%. La boucle est ainsi bouclée !

On ne peut que reprendre alors à notre compte la célèbre phrase de Marx : « l’Histoire se répète d’abord comme tragédie, puis comme une farce » ou si l’on préfère, celle de Churchill affirmant « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ».

Rien n’est, bien entendu, joué d’avance ! Le programme austéritaire (sauf pour les revenus indexés sur l’inflation) a toutes les chances de rencontrer tôt ou tard une vive opposition.

Les prochaines semaines nous éclaireront un peu plus sur la détermination des uns et des autres, avec la certitude que nous n’allons pas aller vers de jours meilleurs ! A contrario de ceux qui soulagés de voir affluer quelques subsides croient que les problèmes sont, -tout de même-, en bonne voie de résolution

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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Publié par
Tunisie Numérique