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Par Hédi Sraiëb : L’Art de gouverner demeurera-t-il encore l’art des expédients ?

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Tout le monde s’accorde, -peu ou prou-, sur l’inventaire des dérèglements, détériorations et dommages socio économiques que connait le pays depuis neuf ans. Les remettre dans un certain ordre logique autrement dit en faire le diagnostic structuré et fléché est une toute autre affaire. Un diagnostic est toujours un parti-pris qui reflète, -en creux-, un certain ordre de la pensée, et énonce par-là, un agencement causal et interprétatif. On l’aura compris il peut y avoir divergence entre des diagnostics.

La formulation d’un diagnostic qui consiste donc à réordonner les faits dans leur ensemble afin d’en dégager des priorités n’est donc jamais une opération totalement exempte d’aprioris voire de préjugés.

Mais de fait, tout diagnostic a vocation à se muer en une thérapie, à expliciter les solutions à mettre en œuvre en vue de se défaire ou de réduire les effets d’un problème ou de conjonctions de problèmes.

Le pays traverse une crise protéiforme encore inconnue jusqu’ici dans son histoire moderne. Pas un seul pan de la société ne semble pouvoir échapper à cette sorte de lame de fond irrésistible qui affecte à des degrés divers et variés les différentes instances: sociale, économique, politique, idéologique.

Dans une telle configuration d’enchevêtrements de difficultés et de processus bloquants ou déstabilisants à tous les niveaux de l’édifice civil et politique, il est particulièrement difficile et complexe de dégager le « bon diagnostic ». Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé !

Troïka majoritaire, Consensus de Carthage, Gouvernement d’indépendants, Gouvernement d’union nationale, pas moins de 9 formules ne sont venues à bout du marasme récessif dans lequel continue de s’enfoncer le pays ! A en conclure sans détour qu’aucune d’elles n’a su faire le « bon diagnostic » !

S’il est vrai que la politique s’apparente bien plus à un « Art » qu’à une « Technicité », trop nombreux sont encore nos concitoyens qui ont le plus grand mal à l’admettre ! Pour eux la politique est un métier comme un autre qui nécessite compétence et expérience, là où la politique est la réalisation d’une fin pensée (finalité projetée) dans un environnement de moyens comme d’obstacles changeants. Ce qui fait la différence, -et elle est énorme-, entre un politique et un politicien est que le premier a une ambition inébranlable et un objectif précis, là où le second se contente de gérer au mieux et d’ajuster son action aux circonstances. Cela bien sûr sans préjuger aucunement de leurs résultats a postériori !

On comprend que la confusion se soit durablement installée dans les esprits dans la mesure où effectivement rien ne distingue de nos jours les deux représentants du politique. Tout se passe comme si nombre de candidats étaient interchangeables entre-eux, le seul véritable critère discriminant étant la proximité ou la distance vis-à-vis de l’idéologie islamiste !  L’actualité en témoigne !

Trois mois de conciliabules et de tractations dans tous les sens en vue de la formation d’un nouveau gouvernement, -sous le regard dubitatif et circonspect d’une population impatiente-, ont finalement débouché sur un lamentable et cuisant échec ! Qu’à cela ne tienne, on prend les mêmes (presque) et on recommence, car au bout du compte et au final ce n’est pas tant le projet politique (par ailleurs inexistant) qu’une distribution acceptable du pouvoir, dont il est question. Il s’agit bien en effet de marchandages mais exclusivement circonscrits à une répartition recevable des postes régaliens (si sensibles) et autres ministères par les différentes factions avides de prébendes et de privilèges.

Il va sans dire qu’il n’est donc nullement question ici de choisir entre les aptitudes, talents, et savoir-faire, avérés ou fantasmées, attribués aux prétendants, mais plus prosaïquement de composer un attelage hétéroclite à souhait capable de passer l’obstacle du vote de l’assemblée nationale.

De fait et contrairement à ce qui est affirmé, le chef du gouvernement voit son rôle limité à celui d’animateur d’une équipe composite et dissonante sans trajectoire commune et partagée.

Un rôle fort éloigné de sa fonction naturelle et légitime qui est de conduire une politique, au sens d’arbitrage entre de multiples priorités, de convergence ministérielle vers des objectifs dûment identifiés, de réformes à mettre en œuvre, de moyens et énergies à mobiliser sur fond de rapports de force mais aussi de soutien populaire, fusse-t-il limité. Or rien de tel ne semble se dessiner !

Pire encore, il y a fort à parier que de trop nombreuses priorités, -souvent contradictoires entre-elles-, soient de nouveau présentées comme tenant lieu de « programme » (souvenez-vous des 6 objectifs et 18 priorités du consensus de Carthage). Un premier ministre qui, de nouveau, va réaffirmer son engagement de lutter contre la corruption, l’économie de contrebande, le chômage et la précarité, le redressement industriel et la restructuration des entreprises publiques, les inégalités régionales, la modération salariale et la réduction de l’inflation, le rétablissement des équilibres des comptes de la Nation, la rénovation de la protection sociale et du système de soins, la refonte du système éducatif…

Nous aurons droit sans nul doute à une nouvelle liste à la Prévert, avec l’espoir puéril et vœu pieux que ce nouveau premier ministre et son gouvernement feront de leur mieux !

Mais il est vrai aussi que les dures réalités n’attendent pas ! Les déficits jumeaux s’accroissent irrésistiblement d’année en année et ont atteint une limite critique que les seules échappatoires de fuite en avant (croissance des impôts et des emprunts) ne peuvent plus contenir ! Il faudra bien trancher, pour restaurer de nouveau des marges de manœuvre. On ne devrait donc pas échapper à la mise en œuvre de mesures austérité et de rigueur budgétaire, sans doute ciblées dans un premier temps, en direction des entreprises publiques et des caisses sociales et de compensation.

Le gouvernement, tentera-t-il, d’aller plus loin en cherchant à obtenir un gel des salaires ou pour le moins une modération de l’ensemble des rémunérations ? Envisagé surement, réalisable, rien n’est moins sûr tant les résistances corporatistes s’annoncent inflexibles !

Retrouver le chemin d’une croissance plus vertueuse suppose de réunir préalablement trois conditions: Restaurer un climat de confiance par l’obtention d’un apaisement social durable. Recréer un horizon prévisible et satisfaisant pour l’investissement (stabilité fiscale, facilitation administrative, accès au crédit, espérance fiable de gain). Réorienter les priorités et la disponibilité des moyens d’une nouvelle stratégie de développement qui s’insère et s’inscrive dans les tendances lourdes qui se dessinent  à l’échelle mondiale : Se prémunir des conséquences désastreuses du réchauffement climatique (pénurie d’eau, recul des terres arables, catastrophes dites naturelles). Construire un nouveau mix énergétique rompant avec les énergies fossiles (Plan soleil et vent). Diversifier le tissu économique autour d’une agriculture vivrière, des bios industries, du tertiaire supérieur (ingénierie, conseil), et du tourisme de proximité (maison d’hôtes, patrimoine, culture).

Réunir simultanément tous ces prérequis relèverait du tour de force, de la prouesse miraculeuse, mais manifestement hors d’atteinte compte-tenu des tribulations de notre société politique actuelle, par trop immature et inconséquente, mais aussi immodérément velléitaire et vénale.

Le nouveau chef du gouvernement et la composition ministérielle qu’il s’apprête à mettre sur pied, sont-ils capables de surmonter et de dépasser le mercantilisme ambiant, le court-terme dominant, le doute est permis ! Il faut se rendre à l’évidence ce nouveau gouvernement n’aura la latitude d’agir que sur les effets pernicieux et délétères d’un modèle de développement à la dérive. Réduire autant que faire se peut les déficits en tous genres et continuer à piloter à vue une conjoncture facétieuse, c’est à peu près tout ce que l’on peut espérer !

Quoiqu’il en soit, on ne peut que souhaiter bon vent à cette nouvelle équipe dirigeante !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement   

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Publié par
Tunisie Numérique
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